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Pourquoi j’ai détesté être flic

Ou comment j'ai été estropié pendant mon service après avoir passé plusieurs années à bosser avec des lourds.
Illustration : Tyler Boss
Illustration : Tyler Boss

Il fut un temps où enfiler un uniforme de police et un badge représentait pour Raeford Davis un bonheur infini. Faire appliquer la loi à autrui semblait parfaitement convenir à ce natif de Caroline du sud élevé au sein d'une famille entièrement dévouée aux autres. Sa mère était institutrice, son père infirmier.

Davis a sauté le pas en 2002 : il a rejoint le département de police de North Charleston, une petite ville gangrenée par la violence. Les autorités policières de cette ville ont fait l'objet d'une surveillance nationale l'année dernière, après que l'officier Michael Slager a été filmé en train de tirer huit balles dans le dos de Walter Scott, un homme noir non armé, lors d'un banal contrôle routier. (Slager sera jugé au tribunal pour homicide volontaire en octobre prochain, après avoir été libéré sous caution d'un montant de 500 000 dollars en janvier dernier.)

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Dès le début de sa carrière, Davis a été perturbé par la manière dont le département luttait contre la violence découlant du trafic de drogue chez les communautés minoritaires. Les politiques visant à interrompre ce trafic semblaient, au mieux, inefficaces. Au pire, défoncer des portes en uniforme SWAT et enfermer des mineurs qui n'avaient pas d'autre choix que de se tourner vers le monde de la drogue local semblait légitimement dangereux.

Ce conflit moral le rongeait. Davis s'est retiré de son poste d'agent de la sécurité routière après qu'une voiture lui est rentrée dedans pendant son service. Il s'en est sorti avec une jambe cassée. Cet homme de 43 ans travaille désormais avec la Law Enforcement Against Prohibition, une organisation à but non lucratif fondée par d'anciens policiers et agents gouvernementaux opposés à la guerre contre les drogues. Voici le récit qu'il nous a fait parvenir.

Je me souviens d'un jour au début de ma carrière. J'étais en patrouille ; nous arrêtions les gens qui ne mettaient pas leurs clignotants et qui tournaient dans la rue à la recherche de drogue.

Les policiers avec qui j'étais avaient arrêté un gamin noir sur une mobylette parce qu'il n'avait pas mis son clignotant. Nous étions quatre ou cinq gars costauds en uniforme, armés et agglutinés autour de lui. « Ça ne t'embête pas si on jette un œil à ton véhicule pour voir s'il y a de la drogue ? », lui avons-nous demandé. Que pouvait-il bien faire ? Il n'était pas vraiment en position de refuser. Nous avons fouillé sa mobylette. Pas la moindre trace de drogue. Nous l'avons laissé partir, mais j'ai senti que nous avions gagné l'hostilité de ce gamin.

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Une autre fois, je faisais des contrôles routiers aux côtés d'un agent K-9. Nous avons arrêté un mec pour la simple et bonne raison qu'il se trouvait dans un quartier connu pour brasser de la drogue. C'était un homme noir d'âge moyen, au volant d'une jolie voiture. Nous avons fait venir le chien. Il s'est jeté sur la voiture et a gratté la porte. Ensuite, bien sûr, il a sauté à l'intérieur et a arraché les sièges en cuir. Je regardais le chien en me disant Merde ! Nous n'avons rien trouvé dans la voiture, qui était complètement ravagée. Cela revenait un peu à lui dire : « Voilà ta punition pour ne pas avoir utilisé ton clignotant. Sur ce, bonne journée ».

C'était brutal. Tout ça parce qu'il avait éveillé un tout petit soupçon.

Je ne faisais pas partie d'une unité SWAT, mais j'assurais la sécurité du périmètre quand les agents SWAT menaient des opérations de saisies. Ils s'attaquaient aux maisons les plus merdiques dans les quartiers les plus merdiques. Ils défonçaient les portes, débarquaient avec des fusils et fichaient tout le monde dehors, tout ça pour mettre la main sur quelques grammes de coke et 700 dollars en petites coupures. Tous ces efforts pour sauver un quartier déjà rongé par la drogue avant même que je ne sois né me semblaient terriblement dangereux et contre-productif.

Plus tard, j'ai réalisé que c'était un cercle vicieux. On arrêtait des gens à cause de la drogue et on les traitait comme des criminels, les empêchant ainsi de devenir des membres actifs de la société.

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Nous luttions tous contre cela. Certains mecs aimaient vraiment travailler avec les stups et adhéraient à ces pratiques. D'autres essayaient de les éviter en s'engageant dans d'autres services répressifs. Mais il était difficile de dire à son superviseur « Je veux bien faire respecter les lois, hormis celles antidrogue ». Les options sont limitées. Personne ne va s'accorder à dire que c'est moralement inacceptable.

Puis un jour, j'ai été renversé par une voiture pendant que je gérais la circulation. Ma jambe était cassée et n'a pas bien guéri ; j'ai dû arrêter de travailler pour incapacité physique.

Le fait de m'éloigner de ce boulot m'a vraiment libéré d'un poids. Il y a une très bonne citation de Upton Sinclair qui illustre cela : « Il est difficile de faire comprendre quelque chose à un homme lorsque son salaire dépend précisément du fait qu'il ne la comprenne pas ».

Je comprends enfin pourquoi les policiers ne veulent pas admettre que certaines des politiques qu'ils soutiennent sont contre-productives. Mais je sens que cette tendance est en train de s'inverser. Prenons les fondateurs de la Law Enforcement Against Prohibition – au début des années 2000, ils n'ont pas hésité à prendre position contre la guerre contre les drogues. Ils auraient presque pu prôner la légalisation du cannabis, mais ils ne pouvaient pas entrer dans l'aspect moral. Maintenant, nous pouvons le faire. Le cannabis va ouvrir la voie à de plus grands efforts de légalisation.

Au départ, j'avais un peu peur de briser le silence sur le sujet, mais je ne veux plus voir de policiers se faire tuer à cause de cela. Ils se mettent dans des situations dangereuses, tout ça pour une guerre complètement vaine.

90 % du temps, les flics que je rencontre tiennent le même discours aux dissidents : « tu n'as jamais servi », ou « tu ne sais pas ce que c'est que de marcher dans les souliers d'un flic ». Eh bien, non seulement j'ai été flic, mais j'ai aussi été estropié pendant mon service – comme en témoigne la chaussure qu'ils ont coupée autour de mon pied à l'hôpital. Je suis doublement sacro-saint. Et ça les trouble.

Je tiens à présenter mes excuses aux personnes qui ont été blessées par la police et qui éprouveraient toujours de la haine ou de la rancune : j'ai eu tort d'utiliser la violence contre vous pour des questions de trafic ou de possession de drogue. Mes intentions, bien que nocives, n'étaient pas malveillantes. À l'époque, je pensais agir pour le plus grand bien de notre communauté.

Il ne me reste plus qu'à implorer un plus grand pardon que celui que l'on vous a accordé.