Depuis plusieurs mois, la folie Star Wars est à son paroxysme. Non pas qu’elle se soit arrêtée un jour mais tout a été relancé par la sortie de l’épisode 7 en décembre dernier. Annoncé en grande pompe par la machine de guerre marketing, le film est vendu comme le blockbuster de l’année, voire le film le plus attendu du siècle. Ce week-end, il a continué de battre des records. La barre du milliard et demi de dollars de recettes a été franchie en moins de 20 jours ; sur le sol américain, Star Wars 7 est passé devant Titanic et talonne maintenant Avatar ; en France, il est depuis mercredi dernier le plus gros succès 2015 avec 6,8 millions d’entrées en deux semaines.
Sachant que sa vie en salles est loin d’être finie (le film sortira seulement le 8 janvier en Chine), les experts les plus optimistes pensent que Le Réveil de la Force pourrait devenir le film le plus rentable de tous les temps. Pour finir, il y a trois jours, George Lucas s’est excusé du parallèle où il assimilait la vente de Star Wars à « céder ses enfants à des esclavagistes » avec de plates excuses. Bref, c’était pour moi l’occasion d’essayer de comprendre pourquoi je suis si insensible à cette saga – et ce depuis les premiers longs-métrages.
C’EST UN CONTE POUR ENFANTS
On va faire semblant d’oublier que « l’intrigue » de Star Wars n’est rien d’autre qu’un assemblage de plusieurs histoires préexistantes et que c’est donc un gros recyclage décomplexé. Si on se concentre sur les spécificités de la saga en elle-même, on a l’histoire d’un jeune crétin qui s’emmerde chez les bouseux et part à l’aventure parce qu’il veut baiser une princesse qui est en fait sa sœur, des vieux gâteux qui lâchent des perles de sagesse par-ci par-là, un seul twist digne de ce nom en trois films, des nounours qui parlent et une version robotisée de Laurel et Hardy. Les héros sont au niveau de ceux d’un conte pour enfants ou d’un stoner movie qui s’ignore, donc complètement idiots pour la plupart. Ce n’est pas la faute de Mark Hamill, puisque son interprétation vocale du Joker prouve quand même que le mec sait bien jouer – non, c’est juste que Luke est un débile profond animé de bonnes intentions et rien d’autre. À la limite, le seul élément cool est Han Solo, mais dans ce cas-là autant mater les premiers Indiana Jones. Dépassé un certain âge, tout devient très risible, mais ce n’est encore rien à côté de la prélogie.
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LA PRÉLOGIE EXISTE
Et ce n’est pas un reboot, un remake ou autre. C’est bien le même univers, à prendre en compte au même titre que les autres longs-métrages. Prenez le petit emo à la limite de la déficience mentale dont la seule motivation est de se taper sa baby-sitter du premier épisode, faites-le ensuite jouer par un comédien qui redonne tout son sens à l’expression « roue libre » – et vous obtenez Dark Vador. L’explication biscornue de la Force à base de simili-test du VIH, le ratio 3/4 de dialogues soporifiques sortis tout droit de LCP pour ¼ d’action médiocre, les persos secondaires insupportables, la fin bâclée… Ça ne sert à rien de vivre dans le déni, ça reste là, et c’est raté sur toute la ligne. Quand tes seules bonnes scènes sont un combat contre un muet en cosplay d’halloween, une course et Yoda qui fait des roulades dans les airs, c’est que le point de non-retour est lui aussi très, très lointain.
AU TOTAL, LA SAGA NE COMPTE QUE DEUX BONS FILMS
La prélogie est disqualifiée d’office, et les nounours des bois du Retour du Jedi avec l’ancêtre de tous les happy ends forcés constituent aussi un grand « non ». On peut garder L’Empire contre-attaque. En revanche il faut se limiter à seulement une moitié d’Un Nouvel Espoir , parce que le film entier se résume aussi à pas mal de moments de solitude. On arrive péniblement à un film et demi, auquel il faut ajouter une autre moitié, celle du Réveil de la Force , uniquement parce que c’est une bonne update de l’épisode 4. C’est pas brillant, c’est même assez léger et on se rend compte que le dernier a totalement triché, en plus de bénéficier d’un dégât collatéral : les premiers films ont sacrément vieilli. Ce n’est de la faute à personne, mais c’est un fait. Ce qui était un ensemble d’inventivité et de prouesses techniques il y a plus de 35 ans est au mieux mignon à revisionner et instructif. Il faut ensuite éviter de tomber sur les versions retouchées par George Lucas alias le mégalo le plus lourdingue du cinoche, parce que le décalage entre les ajouts numériques et les plans d’origine, c’est rabaissant pour tout le monde.
LES MÉCHANTS SONT PATHÉTIQUES
Oublions l’armée de troopers qui semble s’être trompée de film tant ils ne savent pas se battre, tirer ou simplement marcher convenablement. Si on prend les « naissances » cinématographiques des bad guys, c’est lamentable pour l’Empereur puisque le moment où Palpatine s’avère être le boss de fin ressemble énormément à une sorte de Keyser Söze version maternelle grande section, avec toute l’absence de surprise que ça implique. Pareil pour le pauvre Dark Vador, devenu méchant deux secondes après avoir parlé à un vieux qu’il ne connaît que vaguement et transformé physiquement suite au combat le plus involontairement comique de tous les temps – où, concrètement, il se casse la gueule presque tout seul après avoir été prévenu qu’il allait prendre cher. Reste l’agonie touchante de Skywalker senior, mais c’est tout. À noter que l’épisode 7 reste cohérent puisque le méchant est une sorte d’emo pleurnichard qui joue aussi dans Girls. Même le Vatican s’est foutu de sa gueule.
IL N’Y A AUCUN ALIEN
Même tout petit, j’étais déjà un connard et je trouvais ça très frustrant d’avoir d’un côté des blasters et des sabres laser et de l’autre, des méchants civilisés armés de manière à peu près similaire. Mais aucun alien digne de ce nom. Parmi toutes les races d’extraterrestres inutiles, moches et consternantes qu’on trouve dans l’univers Star Wars, aucune n’est vraiment dégueulasse ou dangereuse comme les xénomorphes. Alors que ça aurait clairement sauvé la saga de sa niaiserie. D’ailleurs, cette phrase marche aussi pour Gravity, Seul sur Mars et à peu près tous les films qui se déroulent dans l’espace sans aucune créature hostile.
LE DERBY AVEC STAR TREK
Si on juge la valeur de quelque chose en se référant à celles de ses adversaires, c’est la déprime totale. Les rivaux historiques de Star Wars, c’est Star Trek, or Star Trek c’est un combo de l’enfer, que l’on parle des films ou des séries (parce qu’ils nous ont tout fait ces cons-là) : ça se prend au sérieux dans des décors de Club Med de l’espace avec des masques et des postiches dignes des films Tortues Ninja, c’est chiant, interminable, ringard, avec des fans presque pires que ceux de Star Wars. Je ne comprends pas d’où est partie l’opposition entre les supporters de l’un ou de l’autre, à part d’un concours type « quel camp a le moins de rapports sexuels ? ».
L’ASTUCE DU SPECTATEUR MOURANT
Grand seigneur, l’équipe de Star Wars a laissé voir le film avant tout le monde à un fan atteint d’un cancer en phase terminale. C’était mimi tout plein, et puis ça a permis d’instrumentaliser l’agonie de ce bon petit gars à des fins promotionnelles. Si c’est un hommage à l’histoire du film Fanboys, c’est la classe, sinon c’est abject. Mais le fan n’aura pas eu le temps de spoiler quoi que ce soit, puisqu’il est mort quelques jours après – ce qui donne une idée des vertus thérapeutiques de ce 7e épisode, mais c’est pas le sujet. J’imagine que des champions ont défendu l’initiative en disant qu’il faudrait vraiment être un vilain pour ne pas céder à la demande du fan, et c’est vrai. Par contre ça me paraît pas être une obligation de le médiatiser – ils auraient tout aussi bien pu la jouer discrète et accessoirement ne pas être des sous-merdes opportunistes.
LE PUBLIC N’A PAS DE RÉELLE EXIGENCE
C’est peut-être l’aspect le plus triste de la chose. Avant la sortie du Réveil de la Force , beaucoup pensaient que Luke avait sombré du côté obscur, ce qui expliquait son absence dans les extraits du film. Là où ça pose problème, c’est que cette idée était considérée comme un truc classe. Alors que cela aurait juste été la même histoire répétée trois fois de suite. Plus généralement, même après trois films reconnus comme des ratages stratosphériques, ça n’empêche pas des suites de débarquer 10 ans après en étant les-films-les-plus-attendus-de-tous-les-temps, et si le 1er volet de cette trilogie s’avère naze, ça n’entrave toujours pas l’optimisme des spectateurs qui peuvent donner de sérieuses leçons à Schopenhauer sur l’art d’avoir toujours raison.
Il existe cependant un moyen infaillible de calmer l’enthousiasme d’une partie du public : annoncer un héros noir, un grand classique qui marche toujours. Pour le reste, les « fans » ne demandent pas de nouveauté, pas de prise de risque, juste une version 2.0 de ce qu’ils connaissent déjà et ont aimé dans la trilogie d’origine, mais rien d’autre, un peu comme Rain Man qui panique dès lors qu’on change sa routine d’autiste.
LES FANS
Ils sont adorables, souvent plein d’esprit, de bons mots, drôles et attachants – mais seulement dans des films comme Clerks. Dans la réalité, c’est juste un troupeau de doux débiles capables de s’emballer sur un débat sans fin autour de la couleur du placenta de Padmé. Les théories qu’ils chient à longueur d’année sont toutes plus stupides les unes que les autres mais continuent d’alimenter forums et sites de fanatiques. Ça fait longtemps qu’ils ont fait un choix entre avoir une vie sociale et savoir si Han Solo a tiré le premier. Les plus hard-core ressemblent à une secte qui ne remet jamais en question Lucas, considéré comme un créateur de génie même lorsqu’il fait ouvertement n’importe quoi et que ses propres acteurs le font remarquer. Concrètement, ils sont semblables aux autres hordes de fanatiques mais en bien plus nombreux, ce qui leur donne des allures de Beliebers avec une moyenne d’âge de 30 ans de plus : une certaine vision de l’enfer.
L’ÉPISODE 7
Abrams s’est adapté à ce que les tarés susnommés attendaient : une copie précise et updatée de la 1ère saga. Les personnages sont un peu moins niais, le rythme est celui de 2015 et on a même des troopers qui savent viser. Le réal est un élève studieux, ce qui n’en fait pas un grand cinéaste (0 scène marquante, 0 émotion quand X se fait tuer) mais le produit, efficace, touche sa cible, comme un Whedon pour des fondus de Marvel. Et, assurance-vie du film : les inévitables clins d’œil, aussi subtils que les coups de coude d’un voisin qui hurlerait « Ah putain ça fait du bien d’être entre nous, non ? NON ? »
Ce qui est assez cocasse, c’est que pas mal de gens nient la similarité de la démarche avec Jurassic World (alors que ça pourrait être pire, on aurait pu comparer ça à Indiana Jones 4), reposant lui aussi entièrement sur un hommage de gosse de Colin Trevorrow au film d’origine. Évidemment, Jurassic World fait pâle figure devant SW7, vu qu’il a de toute façon un univers moins riche au départ. Ce même Trevorrow a été choisi pour réaliser l’épisode 9, le dernier de la nouvelle trilogie, donc s’il existe encore des gens pour croire que les intentions du studio sont autres que livrer un produit calibré sur la nostalgie sans prise de risque, vous pouvez vous la mettre sous le bras. On ne va pas faire semblant de découvrir que tout est toujours une histoire d’argent à Hollywood, mais c’est vrai que parfois, ça se voit un peu beaucoup.
Yérim est sur Twitter.