LA BIBLIOTHÈQUE DE L’INFÂME – THE STORY OF LITTLE BLACK SAMBO

The Story Of Little Black Sambo est un conte très célèbre parmi les enfants issus du baby-boom ; la majorité d’entre eux l’ont apprécié mais en ont désormais honte puisqu’il est profondément raciste. Quand je l’ai lu, je m’attendais à un florilège de stéréotypes, avec par exemple un magicien qui parlerait super lentement et qui ferait chanter et danser Little Black Sambo à son dîner. Mais l’histoire en elle-même n’est pas vraiment raciste. En fait, c’est l’histoire d’une famille noire, qui pour des raisons qui demeurent inexpliquées vit en Inde, et dont le petit garçon réussi à se montrer plus intelligent que les tigres. Les illustrations, en revanche, sont totalement racistes, tout comme les noms des personnages, mais l’intrigue générale est plutôt bienveillante, à l’exception de cette confusion culturelle et géographique que la plupart des occidentaux faisaient au début du XXè siècle.

C’est Helen Bannerman qui a écrit l’histoire alors qu’elle s’ennuyait dans un train en Inde. Elle a écrit un conte pour sa fille plutôt que de faire comme Adrian Brody dans le dernier bon film de sa carrière, juste avant qu’il ne devienne le complice d’un chanteur pervers pour Stella Artois. On dirait que Mme Bannerman ne percevait que deux couleurs, c’est-à-dire « elle » et ceux qui ont « la peau plus foncée que la sienne ». Ouais, Little Black Sambo et sa famille sont noirs, mais l’histoire se passe en Inde.

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Le pire, ce sont les illustrations du livre. Bannerman a déjà dessiné des caricatures de noirs pour les personnages principaux, mais les autres sont plus infernaux encore ; la mère ressemble à une grand-mère et le père est un petit gaillard fainéant dont les actions se résument à « rentrer du travail ». Les décennies nous ayant ouvert les yeux sur notre conception tout occidentale de l’humanité, les éditeurs ont décidé de sortir une nouvelle version du livre, « moins raciste » apparemment. Il y a donc une version actuelle, plus ouverte à la diversité culturelle, et quelques réécritures qui n’enlèvent rien au charme de l’histoire.

Ce que je ne comprends pas vraiment cependant, c’est l’engouement pour cette histoire en premier lieu. Il y a plein d’autres livres pour enfants beaucoup plus attachants, sachant que le point culminant de l’histoire se résume à des tigres qui mettent un groupe de rats sur leur queue et les font tourner si vite qu’ils se transforment en gâteau. C’est assez pourri. Selon moi, il y a de bien meilleures histoires qui méritent qu’on leur consacre du temps et de l’énergie en réécriture.

Évidemment, les illustrations ne sont pas les seules choses bizarres que l’on retrouve dans ce bouquin. Le titre suppose déjà une injure raciale. Un autre truc, les parents de Little Black Sambo s’appellent Black Mambo et Black Jumbo ; c’est facile à retenir certes, mais personne ne s’est jamais appelé comme ça. Même en Inde.

L’histoire se termine par la famille en train de dévorer une montagne de pancakes (je cherche toujours une interprétation symbolique de cette séquence, mais rien ne me vient là), des recettes qui sont aussi indiennes que la famille de Little Black Sambo. Ce qui m’a paru étrange, c’est que Bannerman a pris le temps d’expliquer que le mot correspondant à « beurre » était « ghee », ce qui prouve qu’elle s’y connaissait au moins un peu en cuisine locale. Plus j’y pense, plus je réalise qu’elle a écrit cette histoire parce qu’elle avait le mal du pays, ce qui rend son histoire de pancakes encore plus ridicule. Bannerman était sans doute dans une grande détresse intestinale à ce moment-là, comme peut l’être une amatrice de thé et de crumpets sur la route du cachemire. L’imaginer avec une vilaine diarrhée ne l’excuse pas d’avoir insidieusement rempli les chambres d’enfants de stéréotypes raciaux odieux. Je ne me souviens pas avoir remarqué les problèmes d’intestins de Kipling en lisant ses livres ; je me demande maintenant si c’est l’une des raisons pour lesquelles il était si prolifique. Pour être honnête, je n’ai pas lu tous ses livres, loin s’en faut. Peut-être que Disney a juste édité les accès de rage dus à ses problèmes de digestion pour le Livre de la Jungle, mais je ne crois pas.

Bannerman a écrit plein d’autres livres, dont environ la moitié débutent par l’épithète « Little » suivi d’un nom de couleur. Son dernier livre, Little White Squibba, reprend l’histoire de Little Black Sambo mais avec une petite fille blanche dans la peau du personnage principal. Elle a sans doute fait ça pour se dédouaner des remarques qu’on lui avait faites à propos de l’interprétation ethno-différencialisante de ses bouquins, et force est de reconnaître que ça ne marche pas du tout – le méchant est un noir, il est spécialement vil, et devinez quoi, il n’a jamais aimé trop travaillé.

SARAH ROSENSHINE