Les banlieues de Stockholm brûlaient sous nos yeux

La semaine passée, et après l’épisode français en 2005 et l’épisode britannique en 2011, le troisième volet de la série « émeutes de banlieue » est arrivé dans la rue, et il a eu lieu en Suède, ce pays qu’on nous vend généralement comme un modèle de vertu et de tolérance, étonnant les ménagères de l’intégralité du monde occidental en faisant la Une de tous les JT pendant quelques jours.

L’étincelle s’est produite dans la banlieue de Stockholm, à Husby. Un type a été tué d’une balle par la police et les habitants du quartier ont manifesté. Ce mouvement de foule spontané a rapidement dérivé vers des émeutes, des incendies qui se sont propagés dans les différentes banlieues de la ville.

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Lasses de voir ou de lire des infos sensationnalistes sur la dangerosité et la folie des banlieues d’aujourd’hui, on a planté notre appareil photo au cœur de Husby, cette banlieue de Stockholm désormais tristement célèbre.

On a d’abord fait un tour en voiture dans Husby, Jakobsberg, Akalla et Tensta, des banlieues toutes habitées d’un calme sinistre. On est tombés sur différentes personnes qui se promenaient sous une capuche, mais les lieux étaient quasiment déserts.

On a aperçu quelques restes des violences de la nuit précédente, des carcasses de voitures calcinées.

Après quelques heures, on a aperçu un gros nuage de fumée à l’horizon. Après quelques détours, on a réussi à trouver l’origine de ce panache de mauvais augure dans un parking de Rinkeby, une autre banlieue, non loin de là. 

Quelques centaines d’habitants du quartier étaient rassemblés autour de cinq voitures en flammes. Alors qu’on avait rejoint la foule de badauds qui regardaient les pompiers s’affairer à essayer d’éteindre le feu, des gamins se sont approchés et nous ont demandé pourquoi on était venus faire des photos.

« C’est pas marrant du tout », m’a lancé un des gosses.

Je lui ai expliqué que je voulais découvrir pourquoi ces événements avaient lieu et qui était derrière ces incendies.

« Bon, faites ce que vous voulez mais, s’il vous plaît, écrivez pas que c’est des émeutes, parce que c’est pas vrai. »

Je lui ai redemandé s’il savait qui aurait pu faire ça. Ses amis se sont mis à rire.

« C’est juste la suite de ce qui s’est passé à Husby. Je crois pas que quelqu’un de Rinkeby ait fait ça. »



Comme ils partaient, d’autres gamins nous ont abordés. Eux aussi m’ont demandé de ne pas faire de papier négatif sur ce que j’avais vu parce que les gens du coin n’auraient jamais mis le feu aux voitures de leurs voisins. Je leur ai demandé ce qu’ils pensaient de la situation.

« Les feux sont plutôt cool. Mais putain, en même temps, bien sûr que c’est horrible », m’a répondu l’un d’eux.

Ensuite, j’ai rencontré Max (ce n’est pas son vrai prénom), un jeune garçon de 16 ans qui habite dans la banlieue voisine de Tensta. Il m’a dit qu’il jouait au football à quand il a vu la colonne de fumée dans le ciel.

« Je suis vraiment triste de ce qui se passe parce que mes potes détestent la police, et j’aimerais beaucoup devenir policier plus tard. Mais j’ai l’impression que je pourrai pas, à cause de cette histoire. » Un petit gars de 11 ans était juste à côté de Max. Lui habitait Rinkeby. Il m’a dit que c’était la quatrième fois qu’il regardait une voiture partir en fumée.

« Je veux dire, ça arrive tout le temps. Et je sais pas pourquoi, mais maintenant, les journaux en parlent. »



Une fonctionnaire de police essayait de garder les gens à bonne distance du feu. Sorti de nulle part, un type s’est mis à lui beugler dessus. Elle lui a dit qu’il n’aurait pas dû gueuler ce qu’il venait de gueuler, quoi que ç’ait été (on n’a pas réussi à discerner), parce que c’était illégal. Mais ça n’a pas calmé le gars.

Il lui a crié « Espèce de putain suédoise ! » et quelques personnes ont essayé de le calmer.

La femme lui a répondu « Je suis là pour protéger les gens du feu ! » mais le type a continué d’agir comme un trou du cul et des gens du quartier l’ont traîné un peu plus loin.

Je me suis approché de la policière et je lui ai demandé si ce genre de trucs arrivait souvent.

« Tout le temps », a-t-elle soupiré. Ses yeux peinaient à contenir ses larmes.

« Alors pourquoi vous ne l’arrêtez pas ? » ai-je poursuivi.

« Je crois qu’il est malade, il ne doit pas se sentir bien. Alors on laisse couler. Surtout maintenant que tout Stockholm est en flammes. »

Elle m’a confié qu’elle avait travaillé sans interruption depuis que la ville s’était embrasée, et que là, elle commençait vraiment à fatiguer.

« On est là pour aider et protéger les gens, et puis, ce genre de truc arrive, un type se comporte bêtement, et c’est vraiment fatigant. »



Quand le feu a été éteint, les gens se sont réunis autour des épaves carbonisées. J’ai demandé à des gamins s’ils avaient vu quelque chose ou s’ils savaient qui avait fait le coup. Un des gosses m’a dit qu’une seule voiture avait d’abord été incendiée, et que le feu s’était ensuite propagé aux autres voitures. Ses amis l’ont interrompu : « On sait rien, on a rien vu, rien entendu. » Et ils ont tracé.

On prenait d’autres photos quand une femme s’est approchée de nous en criant qu’on ne devrait pas faire de photos des habitants du quartier parce qu’ils avaient déjà eu à encaisser pas mal de merdes de la part des médias. Elle nous a dit que cet incendie criminel n’avait rien à voir avec des émeutes.

Les gens sont tous partis quelques minutes après que les flammes des voitures ont été éteintes. Alors qu’on marchait vers notre caisse en espérant la retrouver indemne, une vieille dame a gueulé aux enfants : « Ça va maintenant ? » Et quelques gamines, des adolescentes, ont répondu : « Ça va toujours. C’est rien par rapport à d’autres pays. »

On est montés dans la caisse, mais juste quand on allait partir, on a entendu qu’une école flambait à Tensta.



On est arrivés en même temps que d’autres reporters. Un flic nous a dit de faire attention parce que les collines qui entouraient l’école étaient d’excellents spots depuis lesquels balancer des pierres. Il faisait sombre maintenant, et les policiers portaient leurs uniformes anti-émeutes. On a regardé les pompiers qui rentraient par la force dans l’école et éteignaient le feu. On respirait difficilement.



D’un coup, tous les journalistes avaient quitté les lieux. Ils étaient tous branchés sur la fréquence de la police. Nous, on suivait les événements sur Twitter et via des forums sur le Net. Il commençait à se faire tard, et on se dirigeait vers la caisse quand on a découvert que les flammes gagnaient Älvsjö, dans la banlieue sud. Apparemment, une bibliothèque était en proie aux flammes.

Sur une artère importante, un camion de pompiers nous a doublées. On l’a suivi dans Hagsätra, où deux voitures étaient en train de brûler. Sur Internet, on a lu des rumeurs disant que les pompiers avaient pour ordre de ne plus éteindre les voitures en flammes parce que la situation présentait un danger pour eux. Ils ont marqué une pause, une opportunité d’approcher des voitures. Les gens du quartier se réunissaient autour du feu, confus et étonnés que personne ne vienne l’éteindre. Un homme avait amené son propre extincteur. Il avait l’air vraiment contrarié mais il ne voulait pas discuter avec nous. On a commencé à sentir un certain malaise, comme si notre présence et notre appareil photo étaient une provocation. On s’est mis en route pour Älvsjö.

Les pompiers étaient occupés à finir d’arroser un bâtiment qui abritait une bibliothèque et un commissariat. Les vitres de la banque voisine avaient essuyé quelques jets de pierres.



Alors qu’on montait dans la voiture, la police interrogeait deux types à quelques mètres de là. Les flics avaient confisqué deux battes de base-ball. Il était maintenant plus de minuit et on est tombés sur une bonne dizaine de camions de flics dans un parking. On est sortis de la caisse pour apprendre que deux personnes avaient été arrêtées pour l’incendie du commissariat/bibliothèque.



L’incendie vers lequel on se dirigeait maintenant était celui d’une école élémentaire dans le quartier de Kista, une banlieue du nord-ouest de Stockholm. On se préparait déjà à y passer une partie de la nuit. Après une longue vadrouille en voiture et des accidents évités de justesse avec un cerf et un renard, on a finalement atterri à l’école. Là, on a appris que deux tortues, des mascottes des enfants, avaient péri dans l’incendie.



Quand on est arrivés, le feu était sous contrôle. Quelques habitants du quartier, écœurés, observaient l’animation. Un pompier nous a dit que c’était son premier feu de la soirée et qu’il venait de prendre son poste. Un type qui vivait près de l’école nous a expliqué à quel point il était fatigué de cette situation. « Ça n’a rien à voir avec un gars qui se fait tirer dessus par la police. Ni avec des gamins de banlieue qui déclenchent des émeutes. C’est juste des gens qui s’en prennent à d’autres gens qui souffrent déjà assez. »

Ma montre indiquait presque 3 heures du matin, et on a décidé de rentrer à la maison. On a aperçu de la fumée à l’horizon mais on n’a pas réussi à en localiser la source. Les rues étaient vides, les grandes routes sombres, et on en avait vu suffisamment en quelques heures, mais aucune émeute ni aucun gamin de banlieue qui foutait la merde. Soit ils avaient un train d’avance sur nous, soit il n’y avait pas du tout d’émeutes et seulement quelques pyromanes qui s’ennuyaient et qui s’étaient montrés foutrement efficaces.

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