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Week-end pas banal au pays du Black Metal

C’est au dernier des trois soirs que compte by:Larm, festival à la programmation foisonnante, qu’elle nous a pris par totale surprise. Trois soirs, une quinzaine de salles situées pour la plupart dans un quartier en reconstruction de la capitale norvégienne, une neige qui tombe bien épaisse en ce début mars : il a fallu un sérieux mélange de flair, de chance et de bons conseils pour tomber sur elle. Elle, c’est une voix qu’on pourrait détester, mélange d’une Björk qui braillerait encore après lui avoir coupé la carotide ou d’un croisement atroce entre Soko et CocoRosie – SokoRosie donc, me souffle ma voisine. Mais le fait est que Daniela Reyes Holmsen se fout de vos comparaisons plutôt moches.

Daniela Reyes Holmsen

À tout juste 18 ans, cette Norvégienne d’origine colombienne sait tenir la scène et faire chialer tout ceux qui se pressent autour. Ça tombe bien car c’est un peu tout ce qu’on demande à un artiste. Archi bavarde entre ses morceaux, du genre à faire marrer le public en racontant en norvégien ses déboires avec la technique et avec sa courte existence, la gamine-orchestre lance des boucles de batterie électronique, et d’accords de guitare, chante comme un gentil petit démon et s’empare d’un accordéon comme dans le port d’Amsterdam (ou celui de Cork si vous préférez les Pogues, ce qui est votre droit le plus absolu), pour arroser d’une pinte de joyeuse mélancolie ses récits faussement enfantins en anglais dans le texte. Faussement car elle met la claque à toutes les apprenties Madonna et Beyoncé nordiques croisées par ailleurs.

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Car à by:Larm, c’est un peu ça le seul souci : beaucoup d’artistes scandinaves aux qualités indéniables, qu’on n’a pas forcément envie de laisser moisir chez eux, mais dont on n’a pas besoin chez soi. Pas parce qu’on s’applique les lois dingos de Trump, non, juste parce qu’on se tape les originaux et que ça va aller comme ça. Avec 21 millions d’habitants sur les trois pays que compte la Scandinavie, un potentiel plutôt faiblard pour faire vivre l’artiste du cru vu le prix élevé de la bière et du saumon fumé, le festival se destine à exposer les jeunes artistes susceptibles de passer les frontières, avec quelques exceptions de vieux pingouins sur le retour comme Sondre Lerche ou Bernhoft. Son affiche se classe donc en plusieurs catégories carrément inévitables.

Dans celle à succès de la « folkeuse délicate qui a opté pour l’électro-pop pour vivre avec son temps », Anna Of The North est celle qui s’en tire le mieux, peut-être parce que le duo entre la chanteuse et son pote producteur australien a su trouver le bon équilibre entre eurodance et songwriting au piano. Mais il lui faudra jouer des moufles pour se faire un chemin sur une autoroute déjà bien embouteillée par toutes celles qui peinent déjà à sortir la Saab du garage comme Susanne Sundfør, Emilie Nicolas ou Farao. Alors pour les autres comme Sigrid ou Fieh vues vite fait, bon courage. Sinon, faites comme l’Américaine Maggie Rogers, faites-vous repérer par Pharrell Williams dans une émission TV pour bénéficier d’un bon buzz. Mais par pitié, ne sombrez pas illico dans la variétoche à l’américaine sous prétexte qu’on vous a dit que votre voix assurait grave. Trump fait peur mais quand même, rien ne force à lui faire des courbettes.

Côté voix justement, celle de la chanteuse des Danois d’Irah fait aussi le taff, genre Liz Fraser version discount, sur un électro-shoegaze atmosphérique. On aurait aimé juste voir le trio dans une mise en scène qui vendrait un peu plus de rêve. L’inverse de cette stagiaire au poste de diva, Myra, parfaitement présentée comme grande sensation soul R’n’B de Norvège : un bel organe pour un bel album bientôt dans tous les supermarchés. Rayon pizzas surgelées.

Dans la famille des barbus indie sympas, la Scandinavie se montre clairement à la pointe avec quelques arguments plutôt sympathiques, et pas qu’en termes de pilosité. Avec sa voix entre Connan Mockasin et Erlend Øye, le Norvégien Jakob Ogawa a déjà gagné un statut de star locale du haut de ses 19 ans tandis que son compatriote Andreas Doif surnage sans souci dans une vague pop-rock qui accumule les miles par ses accents tropicaux, brésiliens et orientaux. Encore plus excitants, les trois filles et les deux gars de Broen proposent un réjouissant carnaval à base de R’n’B, rock psyché, free-jazz et pop synthétique, déguisés sous des masques bizarres qui ne les empêche pas prendre un plaisir fou à irradier le monde de leur joie – à commencer par le label anglais Bella Union qui vient de leur mettre le grappin dessus.

Parmi le maigre bataillon anglo-saxon, on fait volontairement l’impasse sur Shame, déjà subi en novembre dernier à Paris, de jeunes Anglais qui cherchent à (se) faire peur en se prenant pour Mark E. Smith alors qu’ils n’en ont que le costard – mais acheté trop grand et en solde chez Prisu. Beaucoup de bruit pour pas grand-chose comme disait William. Plus intéressantes, leurs copines de Goat Girl balancent un set de 20 minutes et se barrent sans prononcer le moindre mot. Toutes aussi arrogantes, au moins leurs chansons ont-elles le mérite d’éviter les raccourcis faciles. Mix juvénile entre une Cat Power enrouée et un Birthday Party joué sur console 8-bit ? Elastica détendu du string ? Sympas tes vannes mais faut pas rester là.

Goat Girl

Comme si la famille de PNL galopait jusqu’au cercle polaire, on note la présence de quelques artistes en survêtements s’activant sur un cloud rap avec plus ou moins de bonheur. Déjà gros en Norvège au vu de la salle et de son public, Store P fera bien d’y rester. A ce petit jeu, la Française Oklou, seule tricolore du festival, s’en sort tout juste avec la moyenne, courageuse dans sa solitude avec ses machines en terres étrangères mais trop à la solde d’un autotune qui finit par uniformiser une matière électro pourtant pleine de ressources. Copine de Mica Levi, Tirzah avait l’air de proposer une électro-pop typiquement londonienne, entre beats ensoleillés et soul pluvieuse. Manque de bol, trop de monde dans le bar Verkstedet. Un aquavit et salle suivante.

Marrant que dans un tel contexte nordique, ce soit l’Australien Alex Cameron qui s’affirme comme l’une des réussites du festival avec sa glam-pop en rut. En solo, l’ex-Seekae a eu le temps de peaufiner une formule sexy et synthétique minimale mais idéale, comme si Springsteen croonait avec Suicide pour taper les hits des Cars.

Alex Cameron

Non content de figurer parmi les festivals les plus hospitaliers, by:Larm accueillait aussi un excellent régional de l’étape pour un DJ set de 8h présenté comme un « goulash paradise » dans un bar version assise. Autant dire que Prins Thomas s’est fait une joie de se mettre dans la peau d’un chef pour aller chercher des ingrédients dans tous les continents que traverse sa discothèque, en cherchant moins à faire danser qu’à faire voyager. L’occasion de croiser le staff du label électro local Smalltown Supersound (Lindstrøm, Todd Terje, Bjørn Torske, Jagga Jazzist…) et de féliciter le jeune André Bratten pour son excellent album Gode de l’an dernier.

ELOQ

Quant à la vraie fin du festival, elle se fera sous les beats d’ELOQ, producteur danois dément de 23 ans qui fait souffrir les boomers de la sono à grands coups de bass music, hip-hop et pop survoltée, le tout au Kulturkirken Jakob, ancienne église reconvertie en salle d’expos et de concerts. La culture serait donc une religion en Norvège ? Ne me faites pas dire n’importe quoi. D’autant plus que la Norvège est, était et reste avant tout le pays du black metal – auquel by:Larm consacrait deux soirées entières. 

L’occasion d’un bonus final en forme de sélection des meilleures prestations metal par Yoann Le Nevé, co-fondateur du Hellfest, qui participait lui aussi au festival :

Okkultokrati (Norvège)
C’est la deuxième fois que je les vois et encore un coup de cœur, tant sur le plan musical qu’au niveau de l’attitude.

The Good, The Bad and The Zugly (Norvège)
Les héritiers de Turbonegro : tubes à tout va, singalong et grosse énergie sur scène qu’ils transmettent à la perfection au public.

Sibiir (Norvège)
Un mélange de hardcore et de black metal, parfaitement maîtrisé, avec une véritable urgence. Impressionnant.

Alfahanne (Suède / Norvège)
Un autre mélange, nettement plus surprenant… entre glam et de black metal ! Improbable mais terriblement efficace. À noter un featuring de Hoest, le chanteur de Taake, pas franchement déplaisant.

NAG (Norvège)
Un trio ultra brut de décoffrage, du punk crust qui ne fait pas dans la dentelle mais qui frappe fort et juste.

Dreamarcher (Norvège)
Un groupe qui devrait vite se faire remarquer, dans un style post-metal à la Cult of Luna.


Toutes les photos sont de l’auteur, exceptée l’image d’en-tête, fournie par le festival.

Påscål Bertæn est sur Twitter.