Maik Maetzke n’a pas choisi de devenir expert ès cornichons, c’est le destin qui lui a fait épouser cette fonction. On peut dire qu’il est pratiquement né dans les cornichons puisqu’il a grandi dans la région du Spreewald, en Allemagne : cette contrée forestière et humide connue pour avoir une terre riche en minéraux et propice à la culture de magnifique cornichons dont elle tire principalement sa réputation. Préservés dans du vinaigre, ils perdent leur caractère saisonniers et sont vendus toute l’année.
Outre-Rhin, les cornichons du Spreewald sont ultra-célèbres. Ils font partie de ces quelques produits typiques d’Allemagne de l’Est toujours commercialisés aujourd’hui – et c’est peu dire qu’on a pu les voir à l’écran dans une scène du film Good Bye Lenin!. C’est un vrai produit-phare pour la région, sur le plan culturel mais aussi économique : les cornichons sont protégés par une IGP reconnue dans toute l’Union Européenne et ils constituent l’un des produits du Brandenburg les plus exportés à l’étranger.
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Maik bosse chez Rabe, une boîte familiale qui met en conserve des cornichons depuis plus d’un siècle. Ils sont installés à une heure en train de Berlin, dans la ville la plus touristique de la région : Lübbenau. Chargé du pôle développement de produits, une partie de son job consiste à déguster des cornichons pour vérifier leur qualité et développer de nouvelles saveurs.
Chaque année, quelques 2 000 tonnes de petits concombres en saumure sont préparées avec la recette secrète de la famille Rabe – et le bon goût de Maik. MUNCHIES est allé à la rencontre du pro pour tout savoir sur ses critères d’appréciation d’un bon cornichon.
Tu te rappelles de la première fois que tu as goûté un cornichon ?
Maik Maetzke : Franchement, j’ai toujours connu les cornichons. Mes grands-parents m’ont raconté que le premier mot que j’ai sorti, c’était « cornichon ». Et j’ai failli mourir étranglé par un cornichon coincé dans ma gorge. Avant, à l’époque de l’Allemagne de l’Est, mes grands-parents en vendaient sur les marchés. C’est pour ça que les cornichons font tellement partie de ma vie quotidienne. C’est ainsi.
Et comment tu en es arrivé à ce métier, testeur de cornichons ?
J’étais cuisinier à Berlin avant donc j’avais déjà pas mal développé mon palais. Et je suis finalement rentré dans le Spreewald où j’ai commencé à travailler ici en tant que Junior pendant trois ans – c’est là que j’ai appris mon métier d’aujourd’hui. Ça fait maintenant huit ans que je travaille chez Rabe.
Pour toi, qu’est-ce qui fait un bon cornichon ?
Ça va dépendre du parfum. Ici nous produisons un cornichon à l’aneth, un cornichon amer [lacto-fermenté et saumuré sans sucre ni vinaigre] et un à la moutarde. On a aussi de nouvelles saveurs, comme celle au piment doux et un autre au curry.
Il faut voir s’ils sont assez sucrés ou assez salés, si le niveau d’acidité est au point et surtout : s’ils sont bien croquants. Les cornichons du Spreewald se doivent d’être croquants. Il faut que le cornichon soit harmonieux en bouche, que les épices soient équilibrés. Je ne saurais pas dire mieux les choses –quand un cornichon est bon, on le sait tout de suite.
Tu es déjà tombé sur un bocal dégueulasse ?
Je n’ai jamais vraiment goûté de mauvais cornichon. Parfois, ça manque d’un peu de poivre ou d’aneth ou d’une autre petite touche qui pourrait rendre le cornichon parfait. L’équilibre des épices varie toujours entre les différents bocaux – ce n’est pas grave du moment que c’est bon. En plus, les goûts varient au fil des ans. Je dirais qu’on préfère les cornichons un peu plus sucrés maintenant.
Tu peux nous parler un peu de ton travail de dégustation ?
Nous testons nos produits tous les deux mois. On se réunit à au moins cinq dans le labo. On ouvre des bocaux et on goûte les cornichons pour vérifier qu’ils sont bien bons. Et comme Rabe se base sur une recette de famille tenue secrète, la famille des propriétaires vient aussi parfois vérifier la production.
Et comment on développe de nouvelles gammes de parfum ?
Les cornichons doivent passer par au moins une dizaine de séances de dégustation. Il y a toujours l’un d’entre nous qui trouve ça trop fade et un autre pas assez acide. Tout le monde voudrait un cornichon différent. On a pris beaucoup de temps pour développer nos deux nouveaux parfums, piment doux et curry. Pas facile d’arriver à un terrain d’entente.
Comme nous ne sommes que cinq dans le pôle Développement, on essaye d’avoir aussi l’avis des autres employés. Une fois qu’on s’est mis d’accord sur un parfum, on laisse des bocaux à disposition à la cafétéria avec un formulaire à remplir pour récolter leur avis.
Quel est le parfum qui a été le plus difficile à élaborer ?
Celui au piment doux est celui qui a suscité le plus de débat. C’est un produit innovant que personne n’a jamais produit dans la grande consommation. On a eu du mal à fixer le niveau de sucre. Certains trouvaient les cornichons trop sucrés, d’autres pas assez. Et il fallait aussi trouver exactement le bon degré de piquant. Le résultat final est très démocratique.
Comment on se nettoie le palais, après avoir goûté un produit aussi fort en goût ?
En général, on se contente de boire de l’eau entre chaque parfum. Mais il faut dire que les cornichons épicés ne nous permettent pas vraiment de sentir quoi que soit après les avoir dégustés. On les réserve donc pour la fin de la session.
Tu ne te lasses jamais de tous ces cornichons ?
On ne les déguste qu’une fois tous les deux mois donc ça va. Et j’ai l’habitude de ce goût. J’en mange encore à chaque fois que je fais du barbecue. C’est parfait comme accompagnement.
Est-ce que n’importe qui pourrait être un testeur de cornichons ?
Je pense qu’il suffit d’être un bon cuisinier. Il faut avoir un bon palais et savoir choisir les bons ingrédients.
Merci pour ces renseignements, Maik.