Sam, le héros du film Under the Silver Lake, de David Robert Mitchell, qui sort en salle mercredi 8 août, doit résoudre une série d’énigmes pour retrouver la trace de sa voisine Sarah. Brusquement volatilisée, la seule piste de Sam est un étrange sigle peint sur l’un des murs du salon de son amie : deux losanges contigus. Il s’agit d’un pictogramme du « hobo code », ou « code des vagabonds » en français. En l’occurrence, il signifie : « Silence » – et pour Sam, le mystère s’épaissit.
Prévenir de la présence d’un chien méchant, d’un docteur ou d’un téléphone gratuit… À travers une trentaine de sigles, le hobo code a servi à rendre la vie des vagabonds américains du tournant des XIX et XXe siècles plus facile. Mais pas que : ce langage secret a connu une seconde jeunesse dans notre histoire moderne.
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Malgré lui, il a été le sujet d’une fake news répandue. En 2012, le site Hoaxbuster publiait un article de démenti : non, le hobo code, tracé à la craie sur des pavillons, ne serait pas utilisé par les cambrioleurs ou les « gens du voyage » délinquants pour marquer les maisons à voler. Cela n’a pas empêché la gendarmerie nationale de publier deux ans plus tard sur les réseaux sociaux les soi-disant « signes du cambrioleur » que ces derniers laisseraient « lors de leurs repérages, sur la façade, le portail, la boîte aux lettres ou un endroit visible à l’extérieur des habitations ».
Bien qu’il soit probable que les cambrioleurs n’y aient pas recours, ces signes cryptiques ont bien été authentiquement utilisés un siècle plus tôt. Si l’étymologie du terme « hobo » est flottante – contraction de « ho boy ! », de « hoe boy » (« hoe » désignant une « binette », un outil agricole) ou encore « homeless boy » (« garçon sans maison »), il renvoie beaucoup plus à la vision romantique du vagabond que les désignations « tramp » ou « boe ». Et l’émergence de ces hobos a été bien documentée. Alice Béja, enseignante d’anglais à Sciences Po Lille, a travaillé sur le sujet.
Elle rappelle que les premiers hobos apparaissent aux États-Unis vers les années 1860-1870. « Ce sont des soldats de la guerre de Sécession [guerre civile américaine, de 1861 et 1865, qui opposait États esclavagistes et abolitionnistes, NDLR], qui vivent ce qu’on appellerait aujourd’hui un « stress post-traumatique », et qui n’arrivaient pas à se réinsérer dans leur vie sociale ou professionnelle. » Et pour cause : avec la précarisation des métiers, due au développement de certaines industries de plus en plus automatisées, le chômage devient un fléau.
« Cela peut paraître contradictoire, mais les hobos ne sont, à l’origine, pas des sans-abris. Ce sont des travailleurs itinérants qui retrouvent leurs pairs dans des lieux de vie temporaires où ils construisent une sociabilité », raconte Alice Béja. Après que des nœuds se sont formés dans les grandes métropoles américaines comme Chicago et New York, saturées de personnes au chômage, le phénomène social prend de l’ampleur. De nombreux hommes seuls sont jetés sur les routes à la recherche de petits boulots.
Il faut alors se serrer les coudes. « Ce n’est pas parce qu’il n’est pas institutionnalisé qu’il n’y a pas de groupe social ! Et dès qu’il y a un groupe social, il y a une forme de communication », analyse la maîtresse de conférences en linguistique et sémiologie à l’université de La Rochelle Laurence Brunet-Hunault. D’où l’apparition du hobo code, un système solidaire qui remplit parfaitement son rôle : « C’est à la fois iconique – ce qui est très important car on n’est ni obligé de savoir lire, ni de parler une langue commune – et économique. » Ce langage codé se transmet petit à petit par le bouche-à-oreille. « Il faut rappeler que, souvent, l’émigration aux États-Unis se faisait par groupes de deux ou trois personnes. Il y avait également des lieux de rassemblement, comme les trains ou les hôtels, où ce code pouvait être enseigné. »
Les hobos sautent de train en train à la recherche de travail jusque dans les années 1930, après le krach de 1929. C’est alors le début de la période dite de Grande Dépression aux États-Unis. Avec une nouveauté : ce ne sont plus seulement des hommes seuls qui sont sur les routes, mais des familles entières – comme le décrit le roman de John Steinbeck Les Raisins de la colère, paru en 1939. Logiquement, et avec la démocratisation de nouveaux moyens de communication, le hobo code tombe progressivement en désuétude.
Mais pour Laurence Brunet-Hunault, on pourrait encore en trouver aujourd’hui « près de voies ferrées, d’endroits de rassemblements pour les marginaux ». Elle poursuit : « Vous pouvez voir un symbole sur un mur et ne pas vous rendre compte qu’il véhicule une information. Les signes sont placés dans des endroits spécifiques qui font, en quelque sorte, eux-mêmes partie du code ce qui permet de protéger le marquage. Imaginez : un gros tag à la bombe aérosol sur un mur d’un supermarché serait facilement effacé. »
À défaut de les apercevoir peinturlurés sur les murs des métropoles, la pop culture, à l’instar d’ Under the silver lake, s’est largement emparée du hobo code. Il faut dire que la figure du vagabond américain a été sacralisée au début du siècle passé par les récits de Jack London, lui-même hobo, puis, cinquante ans plus tard, par ceux de Jack Kerouac. « Au moment où les vrais vagabonds disparaissaient, la Beat Generation [des écrivains américains des années 60 comme Kerouac, Allen Ginsberg ou William Burroughs, rassemblés autour de la prose spontanée et du surréalisme, NDLR] a récupéré le mythe ! », s’exclame la professeure d’anglais Alice Béja.
Dans le film Under the silver lake, justement, le héros Sam découvre que toute la culture moderne recèle de messages cachés. De la même façon, le hobo code, et plus largement la figure du hobo, infuse la pop culture moderne. De nombreux films y font référence, comme L’Empereur du nord de Robert Aldrich en 1973, ou Les Moissons du ciel de Terrence Malick, en 1978. À la télévision, « The Hobo Code » est le nom du huitième épisode de la saison 1 de la série américaine Mad Men. Toujours sur les écrans, le célèbre jeu vidéo Skyrim s’en inspire pour le langage d’une des guildes. Quant à la musique, elle n’y coupe pas : Louis Armstrong, Moondog… Même ce bon vieux Charlie Winston chantait « Like a hobo » en 2009 – sur l’album lui-même intitulé Hobo. Sans compter une discothèque parisienne hype, nommée le « Hobo Club », posée au beau milieu du Triangle d’or.
« L’ultralibéralisme laisse beaucoup de gens sur le côté. Réutiliser le hobo code est une façon de se réapproprier ce qui fait résistance », explique Laurence Brunet-Hunault, qui rappelle par ailleurs que « ce style du langage était une façon de créer une microsociété pour se rebeller ». Et avec cette réappropriation, peut-être que le code des vagabonds n’a pas tagué son dernier sigle. « Tout comme le code de la route, il peut très bien être remis au goût du jour ! », s’émerveille-t-elle. On peut facilement imaginer le hobo code enrichi d’un signe pour désigner le Wi-Fi ou la clim.
Mais avant de vérifier qu’un sigle hobo ne se cache pas dans votre rue, vous pouvez jeter un coup d’œil à la bande-annonce d’Under the Silver Lake :
Cet article vous est présenté par Under the Silver Lake, au cinéma le 8 août.