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Culture

Vingt ans plus tard, « Dix choses que je déteste de toi » est plus pertinent qu’on le pense

Malgré ses défauts, le film a marqué un tournant pour le féminisme et la représentation des femmes dans les comédies romantiques pour ados.

L’article original a été publié sur VICE États-Unis.

Pour moi et tous les autres milléniaux nés au milieu des années 80, 1999 n’a pas marqué la fin d’une époque. C’était le début des années déterminantes de notre adolescence, riches en drames nourris aux hormones qui ont façonné les adultes qu’on allait devenir.

C’est l’année où je suis entré au secondaire. L’année où j’ai eu un lecteur CD à la fine pointe de la technologie pour l’époque, avec lequel j’ai fait jouer très fort FanMail de TLC, Millennium des Backstreet Boys et 14:59 de Sugar Ray, en boucle, à l’infini. Et l’année où est sorti Dix choses que je déteste de toi.

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En 1999, je pense que beaucoup d’adolescentes, et d’adolescents aussi, pouvaient s’identifier à au moins un des dix personnages principaux du film. Il y avait l’acolyte rusé, Michael (David Krumholtz), le candide petit nouveau, Cameron (Joseph Gordon-Levitt), la fille souvent trop gentille sans effort, au point d’en être exaspérante, Bianca (Larisa Oleynik), la tragique et sous-estimée Mandella (Susan May Pratt), et bien sûr, la désabusée et intraitable Kat (Julia Stiles).

Comme Kat, je vivais en marge de la société étudiante plutôt riche et surtout blanche de mon école publique, mais mon exclusion était moins auto-infligée que le sien. Je hantais les librairies dans mes temps libres et je tapissais les murs de ma chambre de pages du magazine Bust et du catalogue dELiA*s, mais je n’étais par contre ni mince, ni blonde, ni volontairement membre d’une équipe sportive. Et je n’arrivais pas à comprendre qu’une fille avec un ventre joliment tonifié snobe l’attention masculine, qui était la seule attention que moi, jeune fille basanée de 13 ans qu’aucun gars n’avait encore embrassée, je désirais ardemment.

Mais son mépris des attitudes féminines conventionnelles m’a fascinée. L’idée qu’on puisse suivre ses propres idéaux plutôt que de se conformer aux attentes des autres était totalement nouvelle pour moi, à un moment où l’exploration de soi ne faisait que commencer. J’étais loin de me foutre de ce que les autres pensaient, mais je découvrais que ce n’était pas impossible.

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En 1999, le féminisme de Kat semblait extrême. Mais, 20 ans plus tard, il est surprenant de voir combien certains de ses aspects paraissent maintenant communs.

« Chaque fois que je regarde ce film, je trouve qu’il est plus facile de s’identifier à Kat », me dit Sarah Barson, coanimatrice de Bad Feminist Film Club , un podcast de critique de films dans une perspective féministe. « Au moment de la sortie du film, je pense que Kat était censée être une féministe radicale extrême, mais ce qu’elle dit est très proche des conversations modernes sur la culture populaire et le droit des femmes, ou de leur responsabilité, de s’exprimer et de remettre en question les normes sociales. »

D’après les auteures de Dix choses que je déteste de toi, Karen McCullah et Kirsten « Kiwi » Smith, Kat aurait d’ailleurs été différente si le film avait été écrit pour le public d’aujourd’hui.

« Je pense que la rébellion de Kat devrait avoir une forme plus extrême, dit Kirsten. Il faudrait creuser encore plus profondément dans une contre-culture, parce qu’à cette époque, c’était assez simple. » Plutôt que de seulement rêver de jouer dans un groupe de riot grrl, elle imagine que Kat gratterait déjà sur sa Stratocaster blanc perlé et jouerait ses chansons angoissées dans des bars.

Si Dix choses que je déteste de toi avait été écrit en 2019, Karen imagine une version de Kat proche de l’activisme des adolescents d’aujourd’hui. « Un peu dans l’esprit des étudiants de Parkland, je pense. On ajouterait un peu de ça, dit-elle. Je pense que ces jeunes sont super. Ce qu’ils ont accompli, quand je pense aux ados d’aujourd’hui, c’est là que mes pensées m’amènent en premier. »

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Kirsten est d’accord. « C’est un bon point, oui. Quand on l’a écrit, on était dans notre bulle des années 90, on ne pensait pas vraiment au reste du monde. Maintenant, comme dit Karen, l’expérience des jeunes est très différente. Ils sont beaucoup plus internationaux qu’on l’était. »

Dix choses que je déteste de toi a ses points faibles, mais il a traversé l’épreuve du temps mieux que d’autres films d’ados précédents, comme Sixteen Candles. Je suis prête à parier qu’un public d’aujourd’hui ne rirait pas aussi fort quand Kat détourne l’attention de son coach de soccer en levant son chandail pour aider Patrick (Heath Ledger) à s’échapper, ou resterait impassible quand Bianca emploie le mot « retardé » au cours d’une dispute avec Kat. Et n’oublions pas que le « gentil » Cameron a manipulé tout ce beau monde pour avoir une chance de sortir avec la plus jeune des sœurs Stratford.

Malgré tout, les relations entre les personnages et même leurs failles personnelles paraîtraient encore aujourd’hui assez actuelles, ce qu’on peut dire de peu d’autres films.

« Magie noire était le film parfait pour beaucoup de filles qui se sentaient exclues, et Un baiser, enfin! a réellement montré l’importance de la confiance en soi et de l’acceptation de soi, mais Dix choses que je déteste de toi présentait des personnages réalistes à qui des filles de tous les jours pouvaient s’identifier », dit Randall Clark, auteur de At a Theater Or Drive-In Near You: The History, Culture, and Politics of the American Exploitation Film et professeur agrégé de communication et de médias à l’Université Clayton State.

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Ses étudiants se sont montrés étonnés que Kat parle de son aventure et échappe néanmoins à certaines des conséquences que la société a tendance à infliger aux filles qui ont des relations sexuelles à un âge considéré comme précoce. « C’était simplement un fait dans sa vie », dit-il, reconnaissant que le film n’est « pas du tout critique envers son passé ».

La représentation non superficielle d’une féministe active sexuellement (une fois) et qui s’assume était pour les cinéastes avant-gardiste à une époque où peu d’autres osaient explorer la complexité des relations amoureuses dans la vie d’une adolescente. Dans les années 90, et jusqu’à un certain point encore aujourd’hui, le féminisme est souvent confondu avec la haine des hommes, une idée que les deux auteurs rejettent fermement.

« Les féministes ont aussi besoin d’amour », lance Kirsten en riant.

Les précédentes comédies pour ados, comme Les Collégiennes de Beverly Hills en 1995, ont contribué à préparer le terrain pour Dix choses que je déteste de toi en combinant des scènes de la vie courante à l’humour pour divertir, mais aussi pour faire ressortir les fondements du féminisme moderne. Que ces deux films qui tournent autour de filles avec un fort caractère soient des adaptations de classiques ( Les Collégiennes de Beverly Hills est une adaptation d’ Emma de Jane Austen, et Dix choses que je déteste de toi est une adaptation de La Mégère apprivoisée de Shakespeare) n’a rien d’étonnant. L’histoire de la femme qui tente de se faire une place dans le monde et de l’homme qui essaie de l’« apprivoiser » n’est pas neuve.

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La chose qui manque aux films emblématiques de la fin des années 90 et du début des années 2000, c’est l’intersectionnalité. La coanimatrice de Bad Feminist Film Club Kelly Kauffman donne Le Tout pour le tout comme exemple de film de cette époque portant sur la discrimination raciale et socio-économique qu’évitent les autres films, y compris Dix choses que je déteste de toi.

« Il y a certainement aussi des parties qui ont mal vieilli, mais quand je l’ai regardé de nouveau récemment, j’ai été frappée de voir comment le film [ Le Tout pour le tout] traite de sujets sensibles que la plupart des films essaient activement d’éviter », dit-elle.

Dix choses que je déteste de toi pourrait avoir contribué à définir le « girl power » et avoir inspiré des films comme Joue-la comme Beckham, en s’éloignant des stéréotypes féminins, mais il n’est pas parfait. Le thème majeur que j’ai trouvé problématique en le regardant de nouveau, c’est l’apparent manque de compréhension du consentement tout au long du film. Le père de Kat et de Bianca, Walter (Larry Miller), ne semble pas comprendre le concept voulant que les relations sexuelles surviennent généralement entre deux personnes qui choisissent de s’y livrer. Sa peur est exagérée pour produire un effet comique, évidemment, mais, par sa perception erronée, il tient ses filles en otage (comme le dit Bianca) plutôt que de rendre leurs partenaires responsables.

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C’est également le cas dans la scène du bal de finissants quand la meilleure amie devenue ennemie de Bianca, Chastity (Gabrielle Union), lui annonce que le vilain beau gosse Joey (Andrew Keegan) allait coucher avec elle à la fin de la soirée, comme si Bianca n’avait pas son mot à dire.

Dans la pièce qui a inspiré de l’intrigue, La Mégère apprivoisée, un homme « dresse » une femme pour qu’elle soit soumise et obéissante. Mais il n’était pas question pour les auteures de transposer ce « dressage » dans leur film. « Je pense qu’à la fin du film, on n’a jamais l’impression que le personnage sera docile envers Patrick, comme dans La Mégère apprivoisée, dit Karen. Évidemment, elle n’est pas apprivoisée et on ne pense pas que Patrick soit le genre de gars qui voudrait la contrôler. C’est pourquoi il lui plaît. » Elle le voit comme un allié, ou au moins comme le prototype d’un allié.

Voir une fille blanche privilégiée en colère affronter des problèmes comme la confiance, l’amour et la connaissance de soi m’a incitée à moi-même suivre une voie moins conventionnelle. À la fin de 1999, j’ai remplacé Sugar Ray par le crust punk, j’avais les cheveux coiffés en pics et je portais des Converse décorées au stylo. J’ai commencé à sortir avec des gars et je suis allée dans une école d’art, mais, malheureusement, je n’ai pas fait partie d’un groupe de musique. Voir quelqu’un poursuivre des rêves peu orthodoxes dans un monde qui étouffe la marginalité m’a permis de faire de même, ce que je n’avais jamais vu avant.

Comparativement à 2019, en 1999, les femmes étaient relativement absentes des écrans. « Il n’y avait pas beaucoup d’équipes d’auteures quand on a commencé, se rappelle Kirsten. Aujourd’hui, il semble que l’envie d’entendre des voix de femmes et de regarder des histoires de femmes ne cesse de croître. »

Des films comme Mad Max : La route du chaos et Capitaine Marvel, première héroïne principale d’un film de Marvel, interprétée par Brie Larson, prouvent qu’on a fait beaucoup de chemin dans la représentation des femmes. Karen et Kirsten souhaitent que la tendance se poursuive, dans le monde du divertissement en général, ainsi que dans les échos de Dix choses que je déteste de toi.

« J’espère, dit Karen, qu’il continuera d’inspirer de jeunes filles à être des badass et à ne pas se laisser définir par les autres. »

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