Société

À la recherche de gynécologues féministes

Charli travaille en planning de naissances. Elle raconte avoir entendu plusieurs histoires similaires de ses collègues et clientes, ainsi que dans son entourage personnel. « La misogynie n’est pas terminée, dit-elle. On est encore dans un système patriarcal. »

Aux commentaires déplacés sur les pratiques sexuelles, le corps des patientes et les choix reproductifs s’ajoutent des histoires d’examens vaginaux douloureux, de demandes de se déshabiller pour des examens qui ne nécessitent pas une complète nudité et de mauvais traitements durant des accouchements. « J’ai rarement entendu des histoires positives face à la gynécologie », dit-elle.

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Selon Charli, la gynécologie est ancrée dans une histoire d’oppression destinée à contrôler le rôle sexuel et reproductif des femmes depuis des siècles. Les expériences négatives dont elle entend fréquemment parler exposeraient un décalage entre les pratiques gynécologiques et les différentes réalités sexuelles et reproductives des femmes. Par exemple, qu’une femme célibataire tente d’avoir un enfant seule, ça ne devrait plus surprendre.

À la suite de recherches sur internet, elle a découvert des sites français et suisse qui répertorient les praticiens en gynécologie avec des principes féministes. De là est née l’idée derrière le site Gynéco Positive, qui permet aux usagères de recommander des praticiens en soins gynécologiques (gynécologues, omnipraticiens, ostéopathes) avec des valeurs positives, féministes et non oppressives.

Plus d’une centaine de recommandations ont déjà été faites. À deux occasions, des femmes l’ont contactée pour lui demander de retirer un nom de médecin avec lequel elles avaient vécu des « histoires d’horreur ». Lessard a accepté les deux fois.

« Si j’ai des contre-recommandations, je m’oblige à retirer [les noms des praticiens en cause] de la liste. Je n’ai pas mon mot à dire si les gens ne se sentent pas à l’aise avec le fait que cette personne-là soit sur le site web. »

Les pratiques sexuelles particulières à la communauté LGBT et les enjeux de santé qui en découlent seraient peu ou pas connus par les praticiens de soins gynécologiques, selon Charli. Peu d’études ont été réalisées sur ceux-ci.

Dans un rapport publié en 2003, le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF) évoquait des craintes par rapport à la qualité des soins gynécologiques pour les femmes lesbiennes et personnes trans, notamment en ce qui a trait à la prévention des maladies transmissibles sexuellement (MTS). Le RQASF faisait aussi état de la difficulté d’accès à la maternité pour ces femmes.

En France, près de 50 % des femmes confrontées à des situations de lesbophobie disent l’avoir été avec des gynécologues, selon une étude publiée en 2008 par SOS Homophobie. Au Canada, les personnes bisexuelles sont plus susceptibles de déclarer des besoins de soins de santé non satisfaits que leurs homologues hétérosexuels, selon un rapport de Statistique Canada de 2008.

« L’homophobie est une des raisons pour lesquelles les membres de la communauté LGBT n’ont pas accès à de bons soins, explique Charli. De un, [les professionnels de la santé] ne sont pas au courant de ce qui se passe [dans la communauté LGBTQ] et de deux, ils sont souvent homophobes. Ce n’est pas nécessairement mal intentionné, c’est juste mal informé, mal éduqué. Il y a un manque de curiosité intellectuelle. »

Le Dr Fabien Simard, président désigné et secrétaire de l’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec, ne partage pas les conclusions de Charli, soulignant du coup que la spécialité a pour but d’améliorer la condition des femmes. Il ne constate pas de discrimination envers la communauté LGBTQ : « Les gynécologues, ce sont des hommes et des femmes aussi et ils ont leurs propres valeurs. Mais je suis surpris qu’il y ait des gens, lesbiennes, homosexuelles ou transgenres, qui ne sont pas bien reçus dans des bureaux de gynécologues. »

Quant à la formation des gynécologues-obstétriciens, il affirme que les cinq ans d’études de la spécialité préparent bien les praticiens, même s’il concède qu’on pourrait mieux sensibiliser les enseignants dans les universités québécoises. « Il y a probablement de la place pour une ouverture d’esprit sur ces choses-là. »

La directrice générale de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, la Dr Jennifer Blake assure pour sa part que son organisation donne des formations en continu sur plusieurs enjeux médicaux, dont ceux touchant la communauté LGBTQ et note que ses membres ont mentionné vouloir plus d’information sur ces derniers.

Charli Lessard aimerait que les informations qu’elle recueille avec Gynéco Positive servent un jour pour documenter la recherche sur le sujet, même si ce n’est pas le but premier de son projet. « Je pense qu’à un moment donné, il faut faire une introspection, mettre ses connaissances à jour et prendre le pouls de la population », dit-elle.

Mais pour l’instant, elle se contente de fournir un service qu’elle juge essentiel aux femmes du Québec. « On a le système qu’on a et il faut le valoriser aussi. Et c’est pour ça que je voulais que ça soit une liste positive et non pas une liste négative. Je suis tannée de dénoncer, dit-elle. J’avais envie d’avoir une solution concrète pour un problème concret. »