Deux pilotes racontent l'enfer du Dakar

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Deux pilotes racontent l'enfer du Dakar

Face à l’extrême chaleur, aux conditions désertiques et aux 9 000 kilomètres de course, les pilotes du Dakar ont besoin de toute leur force mentale et physique.

« Comment est-ce que je décrirais le Dakar ? C'est vachement long. C'est plus épuisant physiquement et mentalement que tout ce que j'ai pu vivre, je ne le recommanderais pas à la majorité des gens. Mais je pense que c'est incroyable et je me considère très chanceux de le faire. »

Ces mots du Britannique Chris Cork résument plutôt bien l'état d'esprit d'un pilote qui participe au Dakar. Certains les trouvent téméraires, d'autres les catégorisent comme suicidaires. Mais pour tous ceux qui ont un côté aventurier, il est impossible de ne pas ressentir un certain attrait.

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Mais quel est exactement ce phénomène qui a vu 352 équipages de motos, de quads, de voitures et de camions rater leur réveillon (et certains même leur dîner de Noël) pour aller vivre deux semaines de punition physique et psychologique en Amérique du Sud ? Et quel cran cela vous demanderait-il pour les rejoindre ?

Le départ, c'était samedi 2 janvier dans la capitale argentine Buenos Aires. A partir de là, le Dakar c'est 9 583 km dans les conditions les plus inhospitalières de la planète. A l'arrivée du rallye à Rosario le dimanche 17 janvier, les coureurs auront bravé des montagnes dangereusement escarpées ainsi que des dunes de sable hautes de 30 mètres dans l'Atacama au moment de faire l'aller-retour en Bolivie.

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Si vous n'êtes toujours pas découragés, félicitations – vous avez peut-être les armes pour concourir au Dakar et rejoindre ainsi toute une liste de superstars qui ont essayé (et échoué pour une majorité) de remporter cet événement gargantuesque, parmi lesquelles figurent même Colin McRae, Jacky Ickx et Ari Vatanen.

Mais le vouloir est bien loin d'être assez. Demandez-vous si votre corps est prêt ? Plus important même, votre esprit l'est-il ?

Cork, dossard 44, raconte : « Je suis plutôt un bon pilote d'enduro, je finis régulièrement dans le top 20 quand je fais un rallye-raid de cinq ou six jours, explique l'amateur de KTM qui a du cran. Mais le Dakar, c'est un autre niveau. C'est trois ou quatre niveaux au-dessus d'ailleurs. Je me suis préparé pendant trois ans pour être en forme physiquement et mentalement. »

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« Ça veut dire des journées à courir, à faire du vélo, à faire de la muscu, à sortir en moto sur les dunes d'Abou Dhabi, et ça n'est même pas suffisant. Je pense qu'il n'y a rien qui puisse vous préparer à ce que vous allez devoir endurer pendant la course. Il fait chaud, c'est épuisant, mais vous devez continuer, toujours, si vous en avez la possibilité ».

« Mentalement, le premier gros objectif à passer pour la plupart des non-professionnels est de réussir à réunir les fonds nécessaires pour s'y rendre. Pour un motard amateur comme moi, on est autour de 70 000 euros. On a vendu notre maison pour payer ça. Pour certains, c'est un énorme frein psychologique. Pour moi, c'était juste ce que j'avais à faire pour accomplir ce que je voulais accomplir. »

« Physiquement, les genoux et les coudes souffrent énormément, six à sept heures par jour sous une chaleur de 40 degrés. Ensuite, dans mon cas, on dort environ quatre heures avant de remettre ça, sans avoir eu le temps de récupérer pleinement. Et c'est comme ça pendant deux semaines. »

Harry Hunt, favori britannique dans la catégorie automobile, va découvrir tout ça.

Hunt, âgé de 27 ans, fait son premier Dakar après une carrière dans le rallye ponctuée de plusieurs titres.

« Ça a été un apprentissage difficile, raconte Hunt. Il y a tellement de choses auxquelles on ne pense pas. On a fait notre premier rallye-raid en mai dernier aux Emirats arabes unis et on a réussi à finir troisième. Un super résultat. Mais je n'avais jamais vécu de telles températures extérieures (45 degrés), tout comme à l'intérieur de la voiture (52 degrés). Et encore c'est un rallye-raid de cinq jours, pas de deux semaines. »

Il poursuit : « La condition physique est tellement importante, et le côté mental peut-être encore plus, puisque la clé, c'est la concentration. Les deux vont ensemble. Par cette chaleur, le corps utilise 75% de son énergie pour se refroidir donc tu peux l'aider en étant fort physiquement, en t'hydratant et en te concentrant vraiment. »

L'importance de ce dernier point n'est pas un handicap pour Hunt, qui dit qu'il a toujours possédé une aptitude naturelle pour les épreuves d'endurance. Pour renforcer cela, son entraînement pour le Dakar a inclus un programme rigoureux d'exercices en chambre thermique.

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Certains des chiffres sont surprenants, nous faisant réaliser à quel point les participants du Dakar, peu importe leur catégorie, poussent leur corps jusqu'à ses limites. La température interne de Hunt atteint 37,8 à son maximum normal. Toute température au-dessus de 38 ou en dessous de 36 est considérée comme dangereuse. Il transpirera 65 litres d'eau au cours de la course (si tant est qu'il la finisse), raison pour laquelle lui et son co-pilote Andy Schulz auront chacun, tous les jours, à leur disposition dans la voiture, trois litres de boissons énergisantes conservées dans des contenants en carbone.

« Il est crucial de rester hydraté. Si tu sens que tu as besoin de boire, c'est déjà trop tard, dit-il. Andy le note dans le roadbook pour être sûr que l'on boive bien environ tous les 50km. Il a gagné deux fois le Dakar, donc son expérience des petites choses comme celles-ci peut vraiment faire la différence »

« C'est surtout important si on se retrouve dans la merde à cause d'une collision ou d'un problème mécanique. On a des pièces de rechange à bord et j'ai dû apprendre à faire le genre de réparations qui te permettent de finir l'étape. Ça implique bien sûr de se retrouver à l'extérieur du véhicule en combinaison et ça peut vite devenir insoutenable. »

Dans les zones inexplorées du Dakar, l'accident est une menace constante, au même titre que l'égarement. Si la méthode de Hunt pour remédier aux possibles dégâts semble bien préparée, il en va autrement pour les motards comme Cork, qui sont bien plus vulnérables en cas d'accident.

Cork s'est gravement blessé aux mains et aux côtes au cours de la quatrième étape l'année dernière, l'obligeant à abandonner.

« J'ai eu de la chance, dit-il. On devrait rouler par deux pour être sûr qu'il y ait quelqu'un en cas de désastre. Quand j'ai eu mon accident, ça a vite été communiqué et comme chaque machine est équipée d'un GPS, les organisateurs ont pu nous retrouver facilement et j'ai pu être ramené dans un hélicoptère médical.

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« On doit être capable de réparer sa moto si quelque chose ne va pas. Sinon tu rentres à la maison – voire même pas si tu es blessé trop gravement pour rouler. S'ils ne te trouvent pas avant la tombée de la nuit, tu te retrouves tout seul dans un désert à des températures possiblement glaciales. Ça doit être assez dur à vivre. »

Les risques sont constants. Soixante-neuf personnes ont perdu la vie au cours du Dakar depuis ses débuts. Parmi les victimes, il y eut même son créateur, Thierry Sabine, qui s'écrasa en hélicoptère dans une dune durant une tempête de sable dans le Sahara en 1986.

Le cas de Laurent Guéguen de l'équipe Citroën fut tout aussi tragique. Il roula sur une mine, en 1996, alors qu'il tentait d'échapper à un conflit entre l'armée marocaine et un groupe terroriste de la région au milieu duquel il s'était retrouvé accidentellement.

Les retombées politiques d'incidents comme celui-ci ont fini par forcer le rallye Dakar à laisser tomber son traditionnel itinéraire Paris-Dakar pour s'installer en Amérique du sud en 2009. Mais les risques sont toujours présents. Quatre motards ont trouvé la mort au cours des quatre dernières années – y compris le Polonais Michal Hernik en 2015.

« Heureusement, la géolocalisation est tellement performante qu'il y a de grandes chances qu'on vous retrouve en quelques heures, à moins que votre accident soit particulièrement grave », explique Cork.

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« L'année dernière un motard a eu un accident après un gros coup de chaleur et il s'est tellement déshydraté qu'il n'avait plus l'énergie pour réparer sa moto. Il a envoyé un texto à sa famille pour leur dire qu'il les aimait et puis il s'est littéralement laissé mourir. Il s'est réveillé dans un lit d'hôpital le lendemain, après avoir été retrouvé. Il a été chanceux. »

Il y a déjà eu des incidents cette année après qu'un pilote inexpérimenté a perdu le contrôle de son véhicule et a foncé sur un groupe de spectateurs lors du prologue. Au total, 11 personnes ont été blessées.

Malgré tout ça, Cork et Hunt – sans parler des 350 autres – sont attirés par le défi de la même manière qu'un grimpeur rêve de conquérir l'Everest.

« L'adrénaline prend le dessus », explique Hunt, qui cherche seulement à finir la course plutôt que de tenter de se tirer la bourre avec les favoris que sont Nasser Al-Attiyah, Stephane Peterhansel et Carlos Sainz.

« C'est incroyable jusqu'à quel point on peut pousser son corps dans ces moments-là. Je suis assez bon pour ça. Je pense que je vais en avoir besoin. »

Balaise, c'est même plus le mot pour définir des mecs comme eux non ?