Alors qu’on s’approche de deux dates importantes concernant l’affaire Mawda et l’affaire Lamine Bangoura, un nouveau drame vient ajouter un nom à la liste des personnes mortes aux mains de la police belge.
Samedi soir, Ibrahima est décédé après avoir été interpellé à Bruxelles. Un contrôle de police avait lieu sur un groupe de personnes rassemblées sur la Place du Nord. Selon Sudinfo, Ibrahima filmait la scène – peut-être parce que le contrôle ne se passait pas bien. Il aurait pris la fuite au moment où la police a voulu procéder à son contrôle. À ce stade, on peut déjà rappeler que filmer est non seulement un droit, mais aussi un acte citoyen indispensable et qu’il ne devrait pas faire l’objet d’un contrôle (cf. les affaires sur lesquelles personne n’a jamais enquêté car elles n’ont jamais été filmées).
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Ibrahima aurait ensuite été rattrapé puis emmené au commissariat, où il aurait perdu connaissance dans la salle de fouille. Maître Alexis Deswaef, l’avocat de la famille, affirme que la police l’aurait laissé au sol entre 5 à 7 minutes. Emmené ensuite aux urgences, il est mort à 20h22 – heure confirmée par le médecin des urgences. Âgé de 23 ans, Ibrahima était en bonne santé. Aucune trace de drogue n’a été relevée lors des examens toxicologiques. Une enquête a été lancée, notamment pour savoir si les hématomes sur son corps sont dus à sa réanimation ou non. Entre-temps, la famille a été avertie que l’autopsie avait révélé une anomalie cardiaque. Cela dit, selon Maître Deswaef, le rapport d’autopsie précise aussi que cet élément ne peut être la seule cause de la mort.
Reste que, dans un monde où fuir la police fait de vous un·e coupable aux yeux des ignorant·es, et où un pas de côté peut suffire pour que la police vous bute, un gros malaise est tangible. Une nouvelle fois, une affaire de pratique policière se démarque par son opacité et, surtout, un gros paradoxe : Sudpresse rapporte que la famille d’Ibrahima aurait été informée de la mort du jeune homme comme étant survenue après une interpellation « pendant le couvre-feu ». Sauf que le couvre-feu est fixé à 22 heures à Bruxelles, et Ibrahima est mort peu après 20 heures.
L’affaire divise, sans surprise, les personnes qui veulent comprendre pourquoi autant de gens trouvent la mort suite à un contrôle et celles qui trouvent inlassablement des excuses à la police et n’hésitent pas à pointer un doigt impudique sur le défunt.
Quant aux proches d’Ibrahima, iels ont mis en place un rassemblement non-violent devant le commissariat de la Gare du Nord ce mercredi 13 janvier. Avant les débordements – et le vomi médiatique qui s’en est suivi –, on a parlé à quelques personnes présentes pour qui la réalité des violences policières n’est pas une découverte récente.
Jemima (29 ans)
VICE : Salut Jemima. En quoi cette manif est importante pour toi ?
Jemima : Je me suis fait agresser par des policiers belges près de Willebroek il y a près de dix ans. J’ai été au tribunal, il n’y a pas eu de suite, au contraire : j’ai dû leur verser des dommages et intérêts alors que j’ai subi des agressions et que j’avais des preuves de mon hospitalisation. En fait, la police des polices elle-même m’avait prévenue que, malheureusement, ce genre de chose n’aboutit que très rarement. À l’époque, l’inspecteur de la police des polices était un très bon ami de la famille et avait fait toutes les démarches. Quand j’ai su pour Ibrahima, j’étais choquée parce que je me suis dit que j’aurais peut-être dû faire plus à l’époque.
Et t’aurais pu faire quoi ?
Déjà, organiser ma propre manifestation. Il y a tellement d’asbl qui actent pour ces causes que j’aurais pu faire appel à elles. J’avais fait appel à l’Égalité des chances à l’époque mais vu que les médias n’avaient pas relaté l’histoire, c’était pas intéressant. Finalement, ce genre d’histoire arrive tout le temps. On est des millions à n’avoir jamais rien dit. Là, pour une fois, en partie grâce au mouvement Black Lives Matter, il y a une émergence de personnes de tous âges qui se sentent concernées par cette problématique. C’est déjà beaucoup. Mais, par exemple, le fait que la police arrive maintenant, je trouve ça complètement stupide (15h55 : un dispositif anti-émeutes prend place alors que la manifestation était autorisée jusqu’à 17h30, NDLR).
« Je me suis fait agresser par des policiers, j’ai été au tribunal, il n’y a pas eu de suite. Au contraire : j’ai dû leur verser des dommages et intérêts alors que j’avais des preuves de mon hospitalisation. »
On peut faire quoi pour la cause ?
Relayer un maximum les informations à travers les médias. Après, il y a aussi plein d’associations en Belgique. On doit militer et travailler avec elles. J’ai moi-même une association. Il n’y a pas forcément de fonds derrière, et le fait d’avoir des bénévoles, ça change les choses.
Tu penses qu’on se dirige vers un État policier ?
Concrètement, oui. On est à la merci de la police.
Queen (22 ans)
VICE : Comment t’as reçu l’annonce de la mort d’Ibrahima ?
Queen : C’est honteux, déjà vis-à-vis de la famille. Elle a le droit de savoir ce qui s’est réellement passé, au lieu d’avoir différentes versions de la police.
Selon toi, que concentre cette affaire ?
C’est un mélange de racisme et d’abus de pouvoir. Je crois que la Belgique est un pays raciste, mais qu’elle montre une autre image pour le cacher. Là, on cache une mort par une crise cardiaque. C’est toujours les mêmes excuses. C’est lassant.
Comment ça « les mêmes excuses » ?
En France, Adama Traoré est aussi mort d’une crise cardiaque ; alors qu’il avait aussi des hématomes. C’est toujours les mêmes histoires qui se répètent. Et au final, personne ne paie. Ça passe.
« Mon frère a aussi été victime de violences policières, et au final, c’est ma mère qui a dû payer plus de 5 000 euros pour le policier. »
Tu fais confiance à la justice belge ?
Non. Mon frère a aussi été victime de violences policières, et au final, c’est ma mère qui a dû payer plus de 5 000 euros pour le policier, alors que c’est mon frère qui a été blessé.
Tu comptes agir comment alors ?
Déjà ça, la manifestation, c’est bien. Avant, on n’en faisait pas. Il y a eu des morts et personne n’a réagi. C’était « une habitude ». Là, beaucoup de personnes se réveillent et se rendent compte que c’est pas normal ; que ce soit pour la communauté noire, arabe, ou autre.
Hamid (23 ans)
VICE : Hamid, quelle a été ta réaction quand la nouvelle est sortie ?
Hamid : J’ai vu ça sur Facebook. J’ai ressenti de la rage, de la haine. C’est pas la première fois qu’un jeune en Belgique meurt aux mains de la police. J’étais obligé de venir.
T’es Français ?
J’habite à Lille. Ça fait cinq ans que je milite au sein du collectif Urgence notre police assassine pour dénoncer les crimes policiers.
« C’est toujours les mêmes choses qui arrivent, toujours les mêmes qui meurent et, ensuite, c’est toujours le même système judiciaire qui se met en place pour protéger la police. »
Qu’est ce que cette affaire représente pour toi ?
C’est toujours les mêmes choses qui arrivent, toujours les mêmes qui meurent et, ensuite, c’est toujours le même système judiciaire qui se met en place pour protéger la police.
Comment faire face au flou qui entoure souvent ce type d’histoires ?
Je sais pas, c’est tout un système. En fait, on est là à chercher la justice, mais on sait très bien qu’on ne va jamais l’avoir. La famille doit mettre la pression, notamment sur les médias, pour diffuser leur message. Et puis il y a une cagnotte pour la famille.
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