Société

Faire du harcèlement scolaire un délit va-t-il vraiment changer les choses?

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« J’ai pensé à porter plainte à l’époque, mais j’avais tellement envie de passer à autre chose que je ne l’ai pas fait », raconte Robin, ancien élève harcelé. Contrairement à la plupart des cas d’élèves où le harcèlement se passe entre la primaire et le lycée, il a été tourmenté par ses camarades de classe en licence. Après une autre formation et différentes expériences professionnelles, il a intégré cette école, idéale pour son projet professionnel. « J’avais seulement un an d’écart avec ceux de ma promo mais je n’avais pas la même approche que les autres qui sortaient juste du lycée. C’était ma troisième année d’études, pour eux c’était leur première. »

Très rapidement, les relations avec ses camarades se dégradent. Insultes au quotidien, menaces et cyberharcèlement font des études de rêve de Robin un enfer. Il alerte le directeur de l’école qui le convoque et l’écoute mais rien ne change. « J’ai une maladie auto-immune qui me provoque des kystes lorsque je suis stressé. À cette période, j’en avais toutes les deux semaines, je devais prendre des antibiotiques et de la codéine pour éviter de faire une septicémie, ce qui me faisait louper pas mal de cours. » Ses absences accentuent le harcèlement des élèves qui pensent que Robin « se croit tout permis ». Jusqu’au jour où il manque un partiel pour aller voir un médecin. Son professeur et la direction sont au courant et lui promettent un rattrapage. Mais aucun partiel ne sera organisé pour qu’il le repasse malgré ses demandes, qui permettra à l’établissement de l’exclure. La direction ira même jusqu’à menacer Robin sur les réseaux sociaux après avoir raconté son histoire sur Twitter.

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Si Robin avait été accompagné par le corps pédagogique, il aurait porté plainte affirme-t-il. Mais plainte pour quoi ? Aujourd’hui, il n’existe pas de délit pour le harcèlement scolaire. Il y a quelques semaines, la mission « Comprendre et combattre le harcèlement scolaire » a été remise au gouvernement. 120 propositions y sont abordées pour lutter contre le harcèlement scolaire. Point crucial de ce rapport : la création d’un délit spécifique pour le harcèlement scolaire à l’égal du délit de harcèlement au travail qui est passible de deux ans d’emprisonnement de 30 000€ d’amende.

En France, 700 000 élèves sont concernés par le harcèlement scolaire

Pour Robin, cette idée d’en faire un délit à part entière peut encourager certains harcelés à porter plainte : « Ça peut détruire des vies. Dans mon cas, je m’en suis bien sorti mais ça peut être terrible pour des personnes plus fragiles. Ça peut aussi avoir des conséquences sur la vie future comme moi qui n’a pas été diplômé. » Mais la plupart des harceleurs ne sont pas majeurs comme ceux de Robin. En France, 700 000 élèves sont concernés par le harcèlement scolaire. Entre deux et trois élèves par classe sont ou ont déjà été harcelés. Des chiffres qui datent de 2013 et qui n’ont jamais été mis à jour.

Le député MoDem du Finistère, Erwan Balanant à l’origine de ce rapport, veut justement mettre en place un décompte annuel du nombre d’harcelés en France. Son souhait : moderniser la lutte contre le harcèlement scolaire en France : « Pendant très longtemps, ce mot n’existait même pas, on parlait de chamailleries entre enfants. Depuis quelques années, on est sorti d’un déni, il faut maintenant former pour lutter le plus efficacement. » Pour le député, créer une qualification pénale pour le harcèlement scolaire permet de mettre fin à ce déni français.

Aujourd’hui, lorsqu’un élève souhaite porter plainte pour harcèlement scolaire (ce qui reste rare), les condamnations sont faites sur du harcèlement moral, cyberharcèlement ou encore pour violences physiques. « À partir du moment où on définit le harcèlement scolaire dans le code de l’Éducation, pour moi, c’est logique de le définir dans le code pénal », affirme le député. Mais comment appliquer une telle condamnation sur des mineurs ? Rien n’est encore sûr. Seul le code de la justice pénale des mineurs apporte quelques pistes puisque les enfants de plus 13 ans sont présumés capables de discernement et les mesures éducatives sont toujours privilégiées face aux peines.

« J’espérais traverser la route et qu’une voiture me fauche »

Louise, harcelée entre ses 9 et 14 ans, craint un simple effet d’annonce : « J’ai peur que ce soit juste symbolique. Pour un enfant ou un ado, mettre les mots sur ce qu’il subit c’est déjà compliqué alors aller jusqu’à porter plainte, rassembler les preuves pour prouver qu’on subit des brimades surtout si c’est du harcèlement moral ça me paraît dur. C’est plus pour rassurer les parents » Après avoir pensé au suicide lors de ses années de harcèlement scolaire, Louise estime que son inscription dans la loi permet au moins de mettre un nom sur cette pratique. « J’espérais traverser la route et qu’une voiture me fauche. » Dans son collège, malgré son appel à l’aide, tout le corps enseignant parlait seulement de mouton noir et jamais de harcèlement scolaire.

Le député à l’origine des propositions tient à rappeler que ce délit se trouve parmi 119 autres idées présentées à l’État. Parmi elles, des formations à la prévention et surtout une régulation ainsi qu’une meilleure connaissance des réseaux sociaux. À commencer par les parents selon Erwan Balanant : « Ils connaissent bien internet mais leur utilisation des réseaux sociaux se limite à Facebook, ils ne connaissent pas TikTok ou Snapchat. Il faut que tous les adultes référents, du CPE, aux professeurs jusqu’aux parents soient formés à leurs utilisations. » Une proposition avance même l’idée d’une taxe sur les GAFAM (Géants du Web) qui financerait en partie des programmes de sensibilisation et de bonnes pratiques. Mais encore faut-il que les GAFAM ne trouvent pas de parade pour éviter de payer.

« Il y avait une ou deux têtes pensantes et le reste suivait, pensant ne pas avoir le choix mais ce n’était pas aussi volontaire et malsain que les meneurs. C’est un peu le dilemme entre harceler ou être harcelé »

Certains anciens harcelés que nous avons interrogé, comme Laura*, pointe du doigt la difficulté à distinguer harceleurs de suiveurs. « Lorsque j’étais harcelée au collège, il y avait une ou deux têtes pensantes et le reste suivait, pensant ne pas avoir le choix mais ce n’était pas aussi volontaire et malsain que les meneurs. C’est un peu le dilemme entre harceler ou être harcelé. » Le rapport déposé au gouvernement conseille non seulement un suivi personnalisé des harcelés mais aussi des harceleurs. Une idée poussée par l’association HUGO ! qui lutte contre le harcèlement scolaire et qui a été auditionnée pour l’élaboration des 120 propositions.

Le président de l’association, Hugo Martinez, rebat les cartes et les poncifs liés au harcèlement scolaire. Les harceleurs ont souvent été eux-mêmes brimés à l’école : « 9 fois sur 10, le harceleur a déjà été victime de harcèlement. Il faut des sanctions pédagogiques comme l’obligation de faire un stage de sensibilisation mais surtout faire suivre le harceleur par un thérapeute. » L’association plaide pour une reconstruction mutuelle qui passe parfois par un dépôt de plainte. « Il faut apprendre que le harcèlement a des conséquences. La France est exemplaire en prévention, il faut maintenant un travail sur l’après » souligne Hugo Martinez.

Si la situation dans les classes françaises est loin d’être parfaite, il nous semble important de terminer cet article par une note positive. Tous les anciens harcelés que nous avons interrogés ont dépassé et survécu à cet épisode douloureux. Pour beaucoup d’élèves, le harcèlement scolaire semble insurmontable sur le moment. Ce n’est pas le cas, voici quelques conseils de la part d’anciens harcelés :

Laura, 24 ans, harcelée au collège : « Mon conseil serait, même si ça paraît être des paroles en l’air quand on a 14 ans, c’est de ne pas s’isoler et de compter sur le soutien de son entourage familial et amis proches. Personnellement ils m’ont beaucoup aidée à aller de l’avant, à voir plus loin que le collège et à poursuivre mes objectifs : être admise dans le lycée qui m’attirait, puis avoir le bac avec mention. La roue tourne et des beaux jours arriveront. »

Robin, 22 ans, harcelé en licence : « Il faut trouver une échappatoire pour décompresser et sortir de cette spirale négative. Pour moi, ça a été le sport. Après il y a la famille et les amis. Avoir des amitiés fortes, hors de cette école, ça m’a beaucoup aidé. J’ai pu en parler librement, voir des gens autres sans être méfiant. »

Émilie, 26 ans, harcelée en collège : « On me frappait et m’insultait en cours. J’avais vraiment l’impression que ça ne s’arrêterait jamais. Je le cachais à mes parents et le jour où ils l’ont appris, ils m’ont vraiment aidé. Je sais que c’est dur de l’avouer et on a l’impression qu’en parler va empirer les choses mais c’est la première étape pour aller mieux. Promis, ça ira mieux, il faut tenir. »

Louise, 25 ans, harcelée au collège : « Il faut parler. Parler à d’autres harcelés pour se rendre compte qu’on n’est pas seuls. Parler aux adultes. Parler aux profs. Parler à une personne de confiance. Parler. Parler. Et ne surtout pas se dire que le suicide est une solution. Le suicide c’est définitif. Le harcèlement, non, il finit par s’arrêter. »

Si vous êtes victime d’harcèlement scolaire, appelez le 3020, le numéro vert, anonyme et gratuit « Non au harcèlement » Ouvert du lundi au vendredi de 9h à 20h et le samedi de 9h à 18h (sauf les jours fériés).

*Prénom modifié par souci d’anonymat

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