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On a demandé à des catfishs pourquoi ils aimaient draguer sous une fausse identité

Ils se cachent dans vos DM Twitter, vos commentaires Insta et même dans vos swipes Tinder. Un jour mannequin, le lendemain médecin, les catfishs n’en ont pas après votre argent mais vos sentiments.
Justine  Reix
Paris, FR
VV
illustrations Vincent Vallon
CATFISH réseaux sociaux

« Je suis un homme marié et heureux et je catfish tous les jours », raconte Stéphane*. Cela fait maintenant trois ans qu’il passe ses soirées et ses pauses déjeuners à « catfisher » des jeunes femmes sur Instagram et de nombreuses applications de rencontre. Sur Youtube, les témoignages de victimes de catfishing pullulent. Messages quotidiens, coups de fil, clichés intimes partagés… Tout porte à croire qu’il s’agit d’une vraie personne mais les apparences sont parfois trompeuses. Sur les réseaux sociaux, Stéphane a plus d’une trentaine de faux comptes dans l’unique but de séduire. « J’ai commencé par prendre des photos random d’un mec sur un blog. Je voulais voir ce que ça faisait d’avoir une belle gueule photogénique sur les applications », déclare-t-il. Pour beaucoup, derrière ce hobby un peu particulier se cache un profond ennui.

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« Je collectionne les nudes comme des cartes Pokémon »

Un autre piégeur raconte : « J’ai un travail de nuit, je m’ennuie beaucoup. C’est un moyen de passer le temps mais aussi d’avoir des relations intimes à distance. Les photos de visage utilisées sur mes comptes ont été volées mais j’envoie des “nudes” de moi et elles m’en envoient en retour. Quitte à parler à des inconnues autant faire en sorte qu’elles se déshabillent du coup je joue le mec parfait et charmant qui a eu un coup de foudre. Je collectionne les nudes comme des cartes Pokémon. Je les répertorie toutes sur mon ordinateur. » Alors que les piégées seraient horrifiées d’apprendre que leurs photos intimes sont stockées ou se retrouvent dans une collection creepy, la plupart des catfishs éprouvent peu de remord. « Généralement, j’entretiens une relation durant maximum un mois et ensuite j’arrête de leur parler. La plupart ne se doutent pas avoir été catfishé, je ne vois pas le problème c’est comme pour un plan cul ou un coup d’un soir. » Pourtant, les victimes de catfishing finissent bien souvent par ressentir des sentiments pour ces personnages montés de toutes pièces.

Les catfishs avouent, très souvent, manquer d’assurance en particulier dans les relations amoureuses. « Depuis mon adolescence, j’ai toujours eu un grand manque de confiance en moi, alors j’ai commencé à jouer à être une autre personne sur Internet. Ça peut paraître bizarre mais ça m’a beaucoup aidé à gagner en confiance. Maintenant, je drague sous différents visages, principalement sur Tinder et Insta. Même si ce n’est pas mon visage, je ne change pas de personnalité selon mon interlocuteur, je suis toujours le même et je me rends compte que je peux plaire. Je vois ça comme un entraînement pour mieux draguer dans la vraie vie », déclare Romain*, âgé de 25 ans.

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Certains utilisent le catfishing pour des raisons bien plus perverses (en dehors des nudes). L’année dernière, Emma*, 21 ans, a imaginé tout un stratagème dans le but de piéger sa meilleure amie qui avait couché avec son copain. Une vengeance 2.0 somme toute classique. « J’ai été voler des photos et vidéos d’un mec super beau sur un compte inactif depuis plusieurs années sur Instagram et j’ai créé un nouveau compte sur Insta. J’ai posté pendant trois mois des photos pour avoir des followers et que ça ne fasse pas trop fake. Et ensuite je me suis mise à lui parler. » C’est sous le nom de Marc qu’Emma a dragué sa meilleure amie pendant de longues semaines avant de lui de soutirer une photo dénudée et de l’exposer sur les réseaux sociaux. Il n’est pas rare que les catfishs fassent partie de l'entourage des victimes. Dans l’émission « Catfish » diffusée sur MTV, Cassie est fiancée à Steve, un homme parfait sous tous rapports. Seul problème, elle ne l’a jamais rencontré. Après enquête, Steve se révèle être non pas une mais deux personnes : le cousin de Cassie mais aussi sa meilleure amie. De quoi attiser les tensions au sein de la famille.

« Si j’ai envie de garder une fille sous le coude, pour plus tard, je lui promets un rendez-vous en tête à tête le mois suivant, que j’annulerai à la dernière minute mais qui me permettra de lui reparler »

Les catfishs d’un jour comme Emma abondent sur les réseaux sociaux. Et il est de plus en plus facile de les détecter grâce à certaines mesures de précaution. Mais certains sont devenus de véritables experts en manipulation et font particulièrement attention aux photos utilisées sur leurs faux comptes pour être indétectables. Comme Damien*, 32 ans : « On ne peut pas trouver les photos que j’utilise sur Google. Comme ça, même si la personne que je catfish s’amuse à télécharger une de mes photos pour essayer de la retrouver sur Internet grâce à Google Reverse Image Search, elle n’y arrivera pas. Généralement, je prends des photos de mecs dans mon entourage pour les réutiliser. Je les prends en photo dans des lieux différents et parfois même en vidéo pour donner l’impression que mon compte est celui d’une “vraie” personne. Ceux que je prends en photo ne sont pas au courant de ce que j’en fais donc il n’y a aucun risque. »

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Une fois que les catfishs se lassent, ils ont pour l’habitude de disparaître. « Je raconte souvent que j'ai trop de travail pour m’investir dans une relation amoureuse. J’aime bien aussi dire que j’aie eu un accident de voiture, c'est dramatique. Et puis si j’ai envie de garder une fille sous le coude, pour plus tard, je lui promets un rendez-vous en tête à tête le mois suivant, que j’annulerai à la dernière minute mais qui me permettra de lui reparler », déclare Damien. À force de jouer avec les sentiments des autres, l’arroseur finit aussi arrosé. Il est déjà arrivé que Damien tombe amoureux d’une personne qu’il catfishait. Une relation vouée à l’échec : « C’est arrivé à mes débuts dans le catfishing. Cette fille me plaisait beaucoup et on se parlait vraiment tout le temps. J’ai commencé à me sentir vraiment coupable et surtout très con. Elle avait des sentiments pour moi et c’était réciproque sauf que je lui avais menti et qu’elle ne connaissait pas mon vrai visage. Maintenant, je me protège. Dès que je ressens le moindre sentiment, que ce soit de l’affection ou du regret j’arrête tout et je passe à une personne différente. »

Paradoxalement, le catfishing permet à certains piégeurs d’être eux-mêmes. C’est le cas de Quentin* qui a commencé à catfisher sur des applications de rencontre gay alors qu'il s'interrogeait sur son hétérosexualité. Bien qu’il soit sûr à présent d’être homosexuel, pas question pour lui de faire son coming out. « J’ai une copine depuis 12 ans, toute ma famille pense que je suis hétéro. C'est trop dur de tout reprendre de zéro », raconte-t-il, profondément affecté par ses confessions. Tout en se faisant passer pour un autre, Quentin affirme être sincère avec ceux qu’ils rencontrent en ligne : « Oui je leur cache mon identité mais c’est la seule chose qui est fausse dans nos discussions. Beaucoup d’hommes m’ont avoué leur sentiment au bout de plusieurs mois de relation à distance et j’ai déjà ressenti des sentiments très forts pour plusieurs d’entre eux. Je ne veux faire souffrir personne, c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour vivre mon homosexualité. »

Même si les catfishes se font de plus en plus nombreux sur les réseaux, cette pratique n'est pas sans danger. L’usurpation d’identité numérique est un délit pénalement répréhensible et sanctionnable d’une peine d’emprisonnement d’un an et de 15 000 euros d'amende. Les témoignages de ces catfishs prouvent bien que les enfants ne devraient pas être les seuls à se méfier des inconnus sur Internet.

* Les prénoms ont été modifiés

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