Mort chemin
Illustration : Jorm S
Société

Qu’est-ce que vous écririez sur votre pierre tombale ?

Anticipez le futur.
Nadia Kara
Antwerp, BE

Entre les infos, les jeux vidéos, les pigeons sur le bord de la route, les fins de films larmoyantes, la mort est partout. Et s’il y a bien une chose dont on est sûr, c’est qu’on va tou·tes finir par y passer.

C’est d’ailleurs cette certitude qui donne toute sa valeur à notre existence (et qui nous fait aussi un peu bader, faut l’avouer). Quel est le sens de la vie ? Qu’est-ce qui est vraiment important ? Faut-il planifier ou bien vivre au jour le jour ? Faut-il se coucher plus tard, se lever plus tôt ? Et puis surtout, est-il bien sage de perdre tellement de temps à se remettre de nos soirées arrosées

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Dans un monde tout cassé où plus rien n’a d’importance, surtout pas nos vies misérables et notre impact minuscule, qu'est-ce qu’on veut laisser derrière notre passage ?

Pour explorer la question, j’ai demandé à des ami·es d’imaginer leur pierre tombale : quel est le message ultime qu’iels voudraient laisser au monde des vivants ? Un drôle de cimetière entre déni, conclusions déprimantes et désillusions naïves.

An-Josefien (31 ans) - « Tout peut se briser »

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VICE : On dirait que t'as déjà beaucoup réfléchi à ce sujet.
An-Josefien :
Je collectionne les idées de pierre tombale depuis toujours, dès que je pense à une bonne phrase je la note. Je les avais même postées sur Twitter, mais j'ai fini par désinstaller l'application. « Tout peut se briser », je pense que c'est ma meilleure trouvaille : elle me correspond vraiment bien. Je trouverais ça ironique de l'écrire en diamants, vu qu'au final, mon corps va se désintégrer après ma mort, mais pas les diamants. Donc oui, tout peut être détruit, sauf les diamants. Et les mauvaises herbes.

Et comment tu penses qu'on va finir par te briser ?
Ça m’est déjà arrivé plusieurs fois : à 9 ans, on m'a diagnostiqué une dépression chronique, et à 11 ans, un TOC. Ça me semblait bizarre à l'époque : je me considérais comme réaliste, plutôt que cynique, et encore maintenant. Après des années de thérapie et de réflexion, ma vision du monde n'a pas changé. J'ai aussi fait une tentative de suicide quand j'avais 14 ans. Heureusement, après ça, j'ai vraiment vécu ma vie et j'ai bien profité. Puis il y a quelques années, j'ai eu un grave accident, mais j'ai survécu à ça aussi. Maintenant, je suis extrêmement reconnaissante envers la vie et j'ai beaucoup de respect pour elle, malgré tout.

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T'es quelqu'un qui prend beaucoup de risques ?
Je prends des risques... mais j'en ai pas vraiment peur. J'ai survécu à beaucoup de choses, et je suis convaincue que c'est dans mon ADN. Je suis issue d'un peuple indigène avec une histoire de génocide, ce qui a probablement entraîné beaucoup de traumatismes ancestraux. Aujourd'hui, j'y vois une sorte de mission - notre ADN doit continuer et survivre aux limites de la mort.

T'as déjà pensé à tes funérailles ?
J'ai grandi athée, mais j'aime bien les rituels : je veux être dispersée dans la mer, comme le veut la tradition. Quand je suis née à Nouméa (en Nouvelle-Calédonie, NDLR), mon cordon ombilical a été jeté dans l'océan, avec l'idée que je serai libre et partout chez moi. Donc c'est logique que mes cendres y retournent.

Et tu veux laisser quoi en héritage ?
Sans vouloir faire la cynique de service, j'espère surtout qu'il restera encore un monde à laisser derrière soi. Je suis actuellement enceinte de 8 mois et ce que je laisserai derrière moi, c'est une fille en bonne santé. En guise d'héritage au monde, j'ai qu'une chose à offrir : je veux être une source d'inspiration pour les personnes qui, comme moi, sont encore debout malgré tout. As above, so below.

Céleste (21 ans) - « Lorem Ipsum »

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VICE : T’étais pas vraiment inspiré, on dirait…
Céleste :
Pas vraiment. C’est peut-être dû à mon âge, mais je trouve ça super dur de me projeter. J’ai jamais connu le décès d’un proche, j’ai dû assister à deux enterrements dans toute ma vie ; du coup, la mort, c’est quelque chose d’un peu abstrait pour moi, à ce stade. Le seul truc auquel je pense parfois, c’est comment mes proches réagiraient si je mourais demain. Qui serait à mon enterrement, qui serait le plus bouleversé… Mais bon, c’est juste un égo trip.

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Pourquoi tu devrais mourir demain ?
Je sais pas. C’est pas comme si je vivais une vie pleine de risques. Après… qui sait de quoi mon destin est fait.

Ça te fait peur, la mort ?
J’ai pas spécialement peur de mourir ; par contre, vieillir, ça m’angoisse.

C’est quoi un bon âge pour mourir ?
Je dirais vers 80 ans, parce que c’est l’âge où la plupart des gens commencent à avoir des problèmes de santé qui les excluent de la société, et ça c’est pas vraiment un truc que j’ai envie de vivre. Mes grands-parents ont cet âge-là et me disent parfois qu'ils ont accompli tout ce qu’ils voulaient, qu’ils seraient prêts à partir si ça devait arriver. Au-delà de 80 ans, j’ai l’impression que la vie, c’est surtout lutter contre la mort à tout prix.

Tu devrais avoir accompli quoi à cet âge-là pour être en paix avec l’idée de partir ?
Un rêve que j’ai, c’est d’acheter une vieille maison et la rénover exactement selon mes goûts et mes besoins. Mes parents l’ont fait à deux reprises, en partant de ruines, et ça m’a vraiment inspiré. Avoir des enfants, c’est aussi quelque chose qui me rendrait heureux : leur transmettre les expériences que j’ai vécues, ce que j’en ai appris… et puis je pense que les enfants te donnent eux aussi de nouvelles perspectives sur le monde. Sinon, au niveau professionnel, je sais juste que je me vois mal faire le même taf toute ma vie. J’étudie encore pour l’instant, donc tout ça est un peu flou, mais ça me fait pas trop peur.

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À ton avis, il se passe quoi après la mort ?
Je pense qu’après la mort, on vit dans la mémoire des autres, c’est tout. Pas de paradis, pas d’enfer, pas de réincarnation… juste un souvenir. Au final, c’est aussi ça que je voudrais laisser derrière moi : un bon souvenir. Pouvoir donner le sourire aux gens quand ils repensent aux moments passés ensemble.

Matthias (31 ans) - « Et c'est pour ça que je flippais tellement? »

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VICE : T'as pas vraiment hâte, on dirait.
Matthias :
Depuis que je suis petit, j'ai une peur panique de la mort. À l'époque, tous les autres enfants autour de moi étaient hyper impatients de grandir, et moi vraiment, mais vraiment pas. Tout ça pour réaliser maintenant qu'en fait, être adulte, ça craint. Je vous l'avais bien dit ! Pendant l'adolescence, j'ai réussi à me débarrasser d'une grande partie de mon anxiété, en tout cas c'est ce que je pensais. Il y a six mois, la fatigue excessive et un mode de vie pas très sain ont déclenché une boucle de rétroaction de crises de panique. Et pour arriver à m'en sortir, j'ai pas eu le choix : j'ai dû tout revoir et réapprendre. C'est dans ce cadre que j'ai essayé d'approfondir la question de savoir pourquoi j'ai si peur de la mort, l'une des rares certitudes qui m'attendent.

Et, ça donne quoi ?
Y'a pas vraiment de réponse simple à cette question, mais j'ai quand même pu identifier quelques éléments : le plus important, c'est la culpabilité existentielle qu'on s'impose tou·tes un peu dans la société YOLO, où on ne « vit qu'une fois » et donc on a « intérêt à en tirer le meilleur ». Personne n'a envie de se retrouver sur son lit de mort avec le sentiment de ne pas avoir profité de sa vie au maximum. Parallèlement à notre travail, qui se doit d'être passionnant, on doit mettre en oeuvre des projets personnels révolutionnaires. On doit profiter au maximum de chaque week-end, faire la fête et trouver au moins un nouveau plan cul. On doit faire en sorte que notre prochain voyage soit unique, authentique et Instagrammable. On doit passer notre temps libre à faire des trucs légendaires, ce qui veut dire que la pression est énorme et qu'on profite jamais vraiment des choses ici et maintenant, ou du moins pas longtemps.

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C'est... déprimant. Comment tu gères ce problème, concrètement ?
Ça fait maintenant six mois que je travaille sur l'acceptation et l'appréciation des choses telles qu'elles sont, par la méditation, la tenue d'un journal et la thérapie comportementale. Mon FOMO est toujours là, mais au lieu d'y penser tout le temps, j'accepte le sentiment qui me ronge et je lui donne une place. En luttant moins contre mes sentiments négatifs, je souffre beaucoup moins de crises de panique et de ma peur de mourir, mais je suis aussi tout simplement beaucoup plus en paix dans ma tête. Je pense qu'on réalise pas encore assez que le bonheur, c'est pas quelque chose qu'on peut poursuivre. Parfois, tout va bien dans notre vie et, pour une raison inexplicable, on se sent quand même anxieux ou déprimé. Et parce que quand ça arrive, on se convainc qu'on ne devrait pas se sentir mal, on finit par aggraver la situation.

Y'a encore des choses que tu voudrais faire avant de mourir ?
Je ne me concentre plus sur certaines étapes importantes, mais plutôt sur des choses qui ne me mettent pas de pression inutile, comme continuer à passer beaucoup de temps avec les gens que j'aime, rencontrer de nouvelles personnes qui m'inspirent, et continuer à maîtriser les compétences créatives qui me motivent intrinsèquement. Bien sûr, j'ai toujours de grands rêves et je me dis parfois « Merde, j'ai pas encore visité tous les pays de la planète », « Merde, j'ai jamais fait de plan à trois », mais grâce à tout ce que j'ai appris au cours des six derniers mois, ces pensées me donnent moins d'urticaire.

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Assia (33 ans) - « Si vous lisez ceci, mon fantôme viendra vous hanter.*
*Sauf si vous envoyez une photo à 5 personnes avant minuit ! »

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VICE : T’as choisi de partir sur une bonne vieille blagounette je vois. Ça t'aide, de penser à la mort avec humour ? 
Assia :
Forcément, des trucs comme la guerre en Ukraine ou même le Covid, ça nous rappelle qu'on n'est pas immortel·les. Avant, j’étais très tournée sur l'avenir : construire pour plus tard, économiser… J’avais cette idée aussi d’attendre le bon moment, puis je me suis rendu compte que le bon moment, c’est maintenant. J'essaie de vivre plus dans le présent, de profiter, de rire le plus possible. Ça peut paraître immature, mais c’est tout le contraire. Sans vouloir rentrer trop dans la philo…

… Vas-y, lâche-toi !
Perso, j’ai eu un déclic en lisant ce que Camus a écrit sur le mythe de Sisyphe, le type qui pousse sa pierre jusqu'au sommet chaque jour en sachant très bien qu’elle va rouler en bas de la montagne à la fin de la journée, et qu’il devra recommencer le lendemain. Camus, donc, dit qu’il faut imaginer un Sisyphe heureux : le gars connaît la fatalité de sa condition, alors soit il peut passer sa vie à essayer de la changer à coup de stratagèmes qui ne marcheront pas, ce qui ne fera que le frustrer et le déprimer, soit il peut accepter sa condition et pousser sa pierre à l’aise, bien cool, en profitant de la brise et de la vue. Je trouve que c’est la meilleure métaphore du sens de la vie.

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Et toi, du coup, c’est quoi ta pierre ?
Je crée des vêtements non-genrés, et j’ai toujours rêvé de devenir une star de la mode. Avant, c'était un objectif à atteindre coûte que coûte : je sacrifiais régulièrement ma santé ou ma vie sociale pour mener à bien mes projets. En vieillissant, je relativise beaucoup plus : j’y travaille un peu chaque jour, tout en profitant de ma vie. Et je n’hésite plus à me dire « Stop, aujourd'hui on bosse pas et on s'amuse », même si j’ai une montagne de travail.

Du coup, il y a encore certains trucs que tu veux absolument accomplir ?
Oui, plein ! Visiter le Japon, dépasser mon vertige en sautant à l'élastique... Ce sont des objectifs qui ne tiennent qu’à moi, c’est mon choix de les réaliser ou pas. Par le passé, j’ai trop fait l’erreur de me fixer des buts abstraits, pour lesquels le succès dépendait beaucoup d’éléments extérieurs, genre « devenir connue ».

Tu voudrais laisser quoi comme trace, après ta mort ?
J'ai envie d'avoir un impact sur la vie des autres. Ma pierre tombale, finalement, c'est un peu ça qu’elle représente : même après ma mort, j'espère pouvoir encore interagir avec les gens. Si t’es en train de te promener dans un cimetière, que tu tombes sur ma tombe et que je parviens à te faire rire depuis les tréfonds de l’au-delà, ma mission est réussie ! J'ai moi-même souvent été inspirée par des artistes en découvrant leur œuvre à titre posthume. Quand t’as une émotion face à une chanson, une photo, une sculpture… pour moi, c'est pas tant avec l'œuvre qu’avec son auteur·e que tu connectes.

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Karen (30 ans) - « Ça, on ne me l'enlèvera pas »

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VICE : Tu penses qu'il y a quelque chose après la mort ?
Karen :
En fait, non, et je trouve ça un peu dommage : ici, la mort est toujours perçue comme une chose triste, alors qu'elle fait simplement partie de la vie. Dans la culture mexicaine, par exemple, on a un regard complètement différent sur la mort, on l'envisage d'une façon qui me paraît plus réconfortante. Ils croient en une vie après la mort, et chaque année ils célèbrent leur Dia De Muertos. C'est une manière très festive et joyeuse de se remémorer les êtres chers disparus, avec beaucoup de couleurs et de fleurs.

Tu préfèrerais mourir à quel âge ?
Pas trop tôt, pas trop tard... Un bon âge pour mourir, ça n'existe pas vraiment, je pense. Mais j'ai vu mon grand-père de 95 ans pas mal décliner ces derniers temps, et ça m'a l'air vraiment difficile à vivre. Il y a quelques années, on devait organiser une fête pour son anniversaire, mais presque tou·tes ses ami·es étaient morts... ça m'a fait quelque chose. Donc oui, je veux vieillir mais pas au point de me réjouir que ça se finisse.

Qu'est-ce que tu ne veux pas regretter sur ton lit de mort ?
Je m'inquiète toujours à mort avant de m'endormir ! Ce serait cool si je pouvais être un peu plus détendue sur mon lit de mort. C'est peut-être un bon objectif à atteindre, en fait.

Et y'a d'autres objectifs que t'aimerais atteindre ?
Les classiques, je pense : voyager, avoir des enfants... J’ai aussi hâte d'être à la retraite pour pouvoir manger des gâteaux avec mes copines. Ça me donne trop envie !

Si tu pouvais organiser tes propres funérailles, ça ressemblerait à quoi ?
Pour mon 25ème anniversaire, j'avais organisé une veillée avec du café tiède et des pistolets au fromage. Tou·tes mes ami·es ont dû faire un powerpoint sur moi. Donc en fait, mon enterrement a déjà eu lieu ! Pour le prochain, je préférerais avoir une fête où les gens racontent des choses drôles sur moi, qu'on rigole un bon coup. Et qu'il y ait des chiots ! Beaucoup de chiots. Et un buffet de desserts au lieu de ces sandwichs mous qui ne consolent absolument personne.

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