langue et griffes du drapeau flamand inclusif LGBTQ+
Société

Faut-il repenser le drapeau flamand, devenu symbole de la droite nationaliste ?

C’est le défi que s’est lancé ce trio d’artistes, pour une Flandre inclusive et progressiste, unie contre l’extrême-droite.
Arkasha Keysers
Antwerp, BE

Ça veut dire quoi, être fier·e d’être Flamand·e ? Jasper Declercq, la photographe Noortje Palmers et le designer Johan Theeuwes ont conçu neuf nouveaux drapeaux flamands, avec de subtiles adaptations sur le lion. À travers cette action, leur intention est de reprendre le drapeau et l'identité flamande des mains de l'extrême-droite.

« Quand on a commandé ces nouveaux drapeaux, on a eu un mauvais pressentiment », confie Noortje dans la cour de son studio à Anvers. « On était curieux·ses de la qualité, mais quand on a déplié ces drapeaux un par un, on espérait que personne ne tombe dessus. Comme si on faisait quelque chose de mal. On n’ose pas dire qu’on est fier·es d’être Flamand·es. »

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Mais pourquoi le drapeau flamand est un sujet aussi sensible ? Pour le savoir, il faut examiner de plus près l'histoire du Lion flamand. Celui-ci est apparu pour la première fois dans les armoiries des comtes flamands au XIIe siècle, en souvenir des Croisades. Le lion avait alors une langue et des griffes rouges, comme celles du drapeau flamand officiel d'aujourd'hui.

À la fin du XIXe siècle, ce même Lion est devenu le symbole le plus important du Mouvement Flamand. À l'époque, il n'y avait pas d’opposition entre patriotisme belge et identité flamande.

Mais pendant la Première Guerre mondiale, le néerlandais étant toujours considéré comme une langue minoritaire, un nationalisme flamand anti-belge s'est développé, et ses partisant·es ont choisi le Lion flamand noir et jaune comme symbole. L'autre Lion, en noir-jaune-rouge, rappelait trop le drapeau tricolore belge. C’est ainsi que le drapeau noir et jaune est devenu le drapeau d'un Mouvement Flamand plus radical.

Certaines des personnes les plus radicales de ce mouvement ont collaboré avec l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Le drapeau du lion noir et jaune a été utilisé par des mouvements de collaboration tels que le VNV. (Même si ce n'était pas le seul drapeau : le mouvement de collaboration belge francophone Rex utilisait le tricolore belge sur son uniforme).

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Ces dernières années, de nombreuses critiques ont désigné le drapeau noir et jaune comme étant un drapeau de collaboration en raison de son passé. En 1973, on envisageait encore d'adopter ce drapeau noir et jaune comme drapeau officiel de la Communauté flamande ; sauf qu'à l’époque, le lien avec la collaboration n’était même pas mentionné. C'est ce même drapeau noir et jaune (aussi appelé flamingant) qui a été interdit à Pukkelpop l'année dernière.

Selon le trio créatif, le drapeau officiel flamand actuel a été réapproprié par les partis politiques de droite et divise le peuple flamand. Noortje, Jasper et Johan ont lancé leur action le 11 juillet, jour de la Fête de la Communauté flamande, pour se réapproprier le drapeau flamand et le rendre inclusif pour tou·tes les Flamand·es ; « même les plus bizarres », lit-on sur leur site web. Le 11 juillet est la date à laquelle la bataille des Éperons d'or a eu lieu, en 1302. Mais ce n'est qu'après la formation de la Belgique en 1830 que la bataille a été citée comme la toute première victoire flamande sur les Francophones, même si elle n'avait que peu ou pas de rapport avec l'identité ou la langue. Le comte de Flandre, Gui de Dampierre, ne parlait même pas flamand. La bataille portait principalement sur les inégalités entre la riche bourgeoisie du Royaume de France et les Flamand·es, pauvres et opprimé·es.

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Dans leur recherche d'une Flandre inclusive, Jasper, Noortje et Johan ont créé un drapeau pour les Flamand·es d'origine étrangère, les Flamand·es francophones, LGBTQ+, handicapé·es, les femmes, les athlètes, les fêtard·es, et les musicien·nes, ainsi qu’un drapeau général, pour chaque Flamand·e. Le but est de le confisquer aux partis politiques et de créer un aperçu de ce qu'est l'identité flamande aujourd'hui. Avec un cœur au lieu de la langue de feu, les trois artistes veulent étendre un drapeau qui unit tou·tes les Flamand·es.

VICE s'est entretenu avec les créateur·ices de vlaamsevlag.be.

[Suite de l'article après les images]

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Le drapeau des Flamand·es d'origine étrangère.

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Le drapeau des Flamand·es d'origine étrangère.

VICE : Salut à tou·tes les trois. Vous avez créé 9 drapeaux, qui correspondent à des identités flamandes différentes ; peut-on réellement décrire une identité flamande ? Johan : Je ne pense pas.

Noortje : C'est pour ça qu’on a photographié notre drapeau général, celui avec un cœur au lieu d'une langue, sans personne derrière lui, parce qu'on ne peut pas avoir cette diversité de Flamand·es en une seule photo. Certaines personnes se tiennent derrière un certain drapeau, mais auraient pu se tenir derrière un autre. Par exemple, il y a une personne qui se trouve dans le groupe des fêtard·es, mais qui aurait pu être dans le groupe LGBTQ+ ou des personnes d’origine étrangère. Elle nous a dit : « Je suis plus que ça. À la base, j'aime juste la bière. » J'ai aimé cette idée.

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Jasper : Tu ne peux pas décrire une seule identité flamande ; ça signifierait qu'il n'y a pas de changement ou d'évolution. Le fait qu'il y ait maintenant un grand groupe de personnes d'origine italienne, marocaine et turque vivant en Belgique change notre société et crée un nouveau mélange. Je pense qu'il y a certaines valeurs communes ou des choses pour lesquelles on est doué·es, du genre créer des émissions de télé, faire des frites et brasser de la bière, mais ça ne veut pas pour autant dire que ça parle à tout le monde.

Ça et se plaindre de la météo… Jasper : On est très bon·nes pour ça. Avec ces généralisations, on essaie de rassembler un peuple. Le drapeau officiel est censé être le symbole « flamand » et de « l'identité flamande » selon les partis de droite. Mais en réalité ça n'a aucun sens, car quand tu essayes de figer une identité, tu vis dans le passé sans regarder vers l'avenir.

Johan : Pour moi, les neuf drapeaux sont un aperçu de ce à quoi ressemble la Flandre aujourd'hui. Et c’est complètement différent de la Flandre qui nous est présentée.

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Le drapeau des Flamand·es francophones.

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Le drapeau des Flamand·es francophones.

Ce qui me frappe, c’est que vous avez créé un drapeau pour les athlètes, les fêtard·es et les musicien·nes. Vous vouliez vous affranchir de la connotation politique du sujet ? Jasper : Oui, tu commences avec des groupes qui se sentent exclus, mais tu ne veux pas non plus faire une campagne uniquement pour les personnes handicapées, les personnes d'origine étrangère et les LGBTQ+. En fait, on veut juste dire que tout le monde a sa place derrière ces drapeaux.

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Noortje : On s’est dit qu'il était important d'inclure des thèmes « neutres » ; comme ça, toute personne est la bienvenue, y compris les gens de droite. Pour le casting, on n’a refusé personne parmi les gens qui ont répondu à l’appel ; à part les politicien·nes, parce qu’on voulait juste rester à l'écart des partis politiques.

Jasper : Je ne crois pas non plus aux partis politiques. Le changement vient toujours du bas vers le haut. Ce sont toujours les gens, les entreprises ou les crises qui provoquent le changement.

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Le drapeau des Flamand·es avec un handicap.

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Le drapeau des Flamand·es avec un handicap.

Vous voulez raconter une histoire inclusive, mais vous créez vous-mêmes neuf cases, non ? Jasper : Sur Twitter, Mohamed Ouaamari, l'auteur du récent « Groetjes uit Vlaanderen », a dit : « Il n'y a rien de mal avec les cases, tant que vous pouvez circuler librement entre elles et qu’elles ne sont pas hermétiquement fermées. » À mes yeux, c'est le mot « case » qui est vraiment négatif, alors qu'il ne s'agit en fait que des choses que vous avez en commun avec quelqu'un d'autre.

« Le plus difficile, c’était de convaincre des personnes d'origine étrangère de poser derrière ce drapeau. »

Ça a été difficile de trouver des personnes qui voulaient être le visage de votre campagne ? Noortje : Le plus difficile, c’était de convaincre des personnes d'origine étrangère de poser derrière ce drapeau. On a eu beaucoup de réactions du genre : « La Flandre n'a rien fait pour moi, je ne me sens pas Flamand·e, donc je ne vais pas quand même pas me tenir derrière ce drapeau. » Bien sûr, c'est exactement le genre de choses qu’on veut casser.

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Jasper : C’est logique que ce groupe soit le plus sensible aussi. C'est celui qui se sent le plus exclu par l’actuelle connotation divisante du drapeau.

Johan : Mais celleux qui ont participé l'ont fait avec beaucoup de conviction. Sur le shooting, c'était le groupe le plus enthousiaste.

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Le drapeau des Flamand·es LGBTQ+.

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Le drapeau des Flamand·es LGBTQ+.

Quelles sont les réactions à votre action ? Noortje : Ça varie beaucoup. On reçoit beaucoup de réactions positives, mais aussi beaucoup d’autres négatives et très racistes sur Twitter et dans les commentaires sur Het Laatste Nieuws.

Et les réactions négatives sont principalement racistes ? Noortje : Non, les gens ont aussi vivement réagi au terme « artistes », du genre : « C’est là que vont nos impôts dans la culture ? » alors qu’on a tout fait nous-mêmes. On a aussi vu : « Ça vous a pris 8 mois pour faire ça ? Un petit enfant peut dessiner ça aussi. » On a davantage reçu ce genre de remarques que de commentaires racistes.

Johan : Et les gens qui disent : « Je me sens surtout Belge ou Européen·ne et pas Flamand·e », mais encore une fois, c'est exactement de ça qu’on parle.

Vous avez reçu des réactions de la N-VA ou du Vlaams Belang, les partis nationalistes flamands qui, selon vous, ont revendiqué l’appartenance de ce drapeau ? Jasper : On a lu deux réactions positives de politiques, mais Filip Dewinter (Vlaams Belang, ndlr.) a dit sur Twitter qu’on menait une campagne pour « rendre l’identité suspicieuse ».

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Et les Wallon·nes ? Jasper : Je viens de recevoir ce message d'un certain Alexandre qui nous a vu·es sur la RTBF, où on est passé·es au JT : « Bonjour, j'ai vu vos lions flamands à la télé et je pense que c'est une excellente idée et un super projet. Je suis un jeune homme wallon et je pense que vous allez nous inspirer. Félicitations encore pour ce beau projet. »

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Le drapeau des athlètes flamand·es.

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Le drapeau des athlètes flamand·es.

Quelles sont les valeurs flamandes qui sont positives selon vous ? De quoi êtes-vous fier·e ? Jasper : Notre humour flamand, notre mode de vie exubérant et notre multilinguisme. Une des personnes sur le roots-flag a publié un article sur ce qui nous lie : « Aller à la friterie et toujours hésiter pour le snack, mais jamais pour la sauce, les pistolets le dimanche, continuer à faire tourner les choses sans gouvernement, les vélos de course et les bières régionales, les Capri-Suns et les Golden Powers, partager son Kinder Bueno avec Lukaku, les vol au vent sans vidé, le flamand occidental sous-titré et l'arrogance anversoise, car le reste de la Flandre, ça ne compte pas. » Moi aussi je ris de l’identité flamande et de sa célèbre série In de Gloria.

Et Samson… (« Samson en Gert » est une série télé qui a cartonné en Flandre entre 1989 et 2017. Une réadaptation francophone a vu le jour sur Club RTL sous le nom de « Fred & Samson », ndlr.) Jasper: Oui, ce sont des choses avec lesquelles tu as grandi.

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Noortje: Tout le monde connaît la chanson de la limonade et du chocolat (Une chanson tirée de la série, ndlr.).

Jasper: Dans « Groetjes uit Vlaanderen », Ouaamari a aussi écrit : « Si vous ne croyez pas que l'identité flamande existe, alors vous devez vous rendre à la ville côtière marocaine d'Al Hoceima en été, où les Marocain·es flamand·es et les néerlandais·es se réunissent. Là, vous verrez à quel point on est flamand·es. » Selon Ouaamari, les Marocain·es néerlandais·es sont plus bruyant·es que les Marocain·es belges, portent plus souvent des vêtements de marque et, au restaurant, chacun·e paie sa part. Les Flamand·es marocain·es veulent davantage se faire plaisir et, selon lui, portent plus souvent des vêtements du genre Zara.

Quel serait pour vous l’aboutissement idéal pour votre projet ? Noortje : Si on peut vraiment rêver, alors l'année prochaine, le 11 juillet, le drapeau avec le cœur sera accroché partout dans la rue de Jaspers à Borgerhout. Le symbole sera alors récupéré, sans ce terrible sentiment de « Toi oui, mais pas toi ». Que ce genre de projet fasse réfléchir les Flamand·es à plus d'inclusion et une Flandre plus douce.

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Le drapeau des musicien·nes flamand·es.

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Le drapeau des musicien·nes flamand·es.

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Le drapeau des fêtard·es flamand·es.

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Le drapeau des fêtard·es flamand·es.

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Le drapeau des femmes flamandes.

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Le drapeau des femmes flamandes.

Le nouveau drapeau flamand

Le nouveau drapeau flamand.

Le nouveau drapeau flamand

Le nouveau drapeau flamand.

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