Société

Ces Français qui refusent de porter un masque

Sur les réseaux sociaux, de plus en plus se revendiquent « sans masques ». Comme un acte de rébellion, ils ne portent pas ce qui est pourtant l'arme la plus efficace actuellement contre le virus.
Justine  Reix
Paris, FR
port du masque obligatoire en France
Photo Fred Tanneau / AFP

« Nous n'incitons pas à ne pas porter le masque, on demande juste la liberté de le porter ou pas, nuance ! Chacun est responsable de sa santé, on n'a pas besoin qu'on nous dicte quoi faire », affirme un membre du groupe privé Facebook. Créé le 30 juillet dernier, il comptabilise déjà 1 300 membres et égrène quotidiennement fausses informations et publications complotistes en tout genre au sujet des masques et de la pandémie de Covid-19.

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La date de création de ce groupe coïncide avec les premiers arrêtés imposant le port du masque en extérieur dans les zones très fréquentées en France. Ce renforcement sanitaire est d’ailleurs sur toutes les bouches de ces Français qui refusent de porter un masque.

Certains ont été jusqu’à utiliser des certificats médicaux pour éviter de se couvrir le visage. En cas de problèmes respiratoires, il est en effet possible de ne pas porter de masques selon le décret relatif aux mesures générales pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Une médecin dans le Bas-Rhin délivrait même, sans raison valable, ce genre de certificats. Elle vient d’être suspendue par l’Agence régionale de la santé du Grand-Est en attendant une décision définitive de l’Ordre des médecins. Son certificat était disponible sur les réseaux sociaux afin que tout le monde puisse le remplir soi-même et ne pas mettre de masque là où son port est obligatoire.

« Je pense qu’on devrait nous conseiller de porter le masque comme certains maires le font plutôt que nous obliger. On devrait avoir le choix » – Martin

En plus de distribuer de faux certificats, la médecin affirmait sur les réseaux sociaux que les masques n’étaient d’aucune utilité. Un discours grave qui reste heureusement extrêmement rare chez les médecins mais qui donne de l’eau au moulin des anti-masques. Martin* a 21 ans et refuse de porter un masque depuis la fin du confinement. Originaire de Strasbourg, ville fortement touchée par le coronavirus, Martin a déjà été plusieurs fois rappelé à l’ordre par les forces de l’ordre et des gérants de magasin, en vain. « Pour l’instant, dans les magasins je leur explique juste que c’est mon droit de ne pas le porter et que je compte pas parler dans la boutique pour ne pas postillonner et on ne me dit souvent pas grand-chose. »

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Mais dernièrement un vigile d’un supermarché l’a violemment poussé vers la sortie. Sur le groupe, il crie au scandale et à la dictature. Mais pourquoi Martin s’obstine tant à ne pas porter son masque ? Contrairement à certains anti-masques, il croit à l’existence du virus Covid-19 mais refuse de le porter sous prétexte que c’est obligatoire et donc liberticide. « Je pense qu’on devrait nous conseiller de porter le masque comme certains maires le font plutôt que nous obliger. On devrait avoir le choix. »

« Les Français ont la chance d’être déconfinés et on dirait que tout ce qu’ils espèrent c’est l’être à nouveau, je ne comprends pas. Je porte un masque tous les jours quand je travaille et ça n’entrave pas ma liberté » – Julie, médecin

Mais le choix de quoi ? De contracter la Covid-19 et risquer sa vie ? Pourquoi pas. Mais pouvoir avoir le choix de contaminer ses proches semble tout de suite plus illogique. Durant le confinement, nous avions interrogé Julie*, une médecin anesthésiste-réanimatrice à l'Hôpital Nord Franche-Comté, chargée de s’occuper des malades de la Covid-19. Bien que le nombre de patients intubés a largement diminué, cette dernière s’inquiète d’un retour en arrière. « C’est complètement ridicule de parler d’une atteinte à la liberté alors qu’on sauve des vies en portant un un masque. Les Français ont la chance d’être déconfinés et on dirait que tout ce qu’ils espèrent c’est l’être à nouveau, je ne comprends pas. Je porte un masque tous les jours quand je travaille et ça n’entrave pas ma liberté. » Et pourtant, Julie affirme que, comme beaucoup de Français, elle a eu chaud durant la canicule avec son masque au travail. Mais cela ne l’a empêché de le porter.

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Parmi les anti-masques, certains vont plus loin et réfutent complètement l’existence du coronavirus et de ses morts. Vanessa a 32 ans et croit dur comme fer que le confinement et le coronavirus sont un complot. « On a juste voulu nous mettre une muselière, c’est arrivé pile après la grève des cheminots et les gilets jaunes, le gouvernement commençait à faiblir alors ils ont trouvé le meilleur moyen pour nous faire taire », raconte-t-elle. Je ne peux pas m’empêcher de la remettre en question et lui demander pourquoi le virus sévit dans le monde entier si c’est une idée d’Emmanuel Macron. Elle m’explique que je n’ai apparemment pas tout compris, les présidents du monde entier se sont entendus pour mettre en place ce que quelques membres des anti-masques appellent : le plan Covid-19.

Une publication complotiste sur un groupe d'anti-masques

Et là c’est le drame. Vanessa expose une théorie digne des pires complots les plus vaseux de l’histoire. Covid voudrait en fait dire : Certificat Of Vaccination Indentification et pour l’explication des chiffres on repassera, 1 est égal à Intelligence et 9 Artificielle. « Avec mon mari on a fait des masques à base de rideaux qui nous permettent de respirer et en plus on voit nos sourires. On ne veut pas de muselières pour nous empêcher de parler. »

Vanessa refuse d’un jour se faire vacciner contre le coronavirus. Pour elle, le gouvernement français souhaite nous contrôler en nous injectant des produits dans le corps par le biais des vaccins. Parmi les anti-masques, beaucoup flirtent avec le mouvement de l’anti-vaccination. Il est évident que la France comptera toujours son lot d’irréductibles complotistes mais ce nombre semble augmenter avec la crise du coronavirus.

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Pour le professeur d’éthique médicale, et docteur en philosophie, Emmanuel Hirsch, la raison de ces anti-masques vient principalement d’une trop grande contradiction de la part du gouvernement au début de la crise autour du port du masque. « Depuis le début de la pandémie, il y a eu des discours qui n’étaient pas homogènes en matière de prévention. Le masque est maintenant le symbole de ce qu’il y a de plus révélateur de ce qu’ont été les approximations politiques. »

« Le gouvernement a cru que les gens avaient acquis une expérience suite au confinement alors que pas du tout. Il y a un déficit de confiance autour de l’autorité publique et même scientifique » – Emmanuel Hirsch professeur d’éthique médicale

Pour lui, il aurait fallu conseiller le masque dès le début de l’épidémie et éviter tous les discours alambiqués autour du masque et des différences de protection qu’apportent ces derniers. « Le gouvernement a cru que les gens avaient acquis une expérience suite au confinement alors que pas du tout. Il y a un déficit de confiance autour de l’autorité publique et même scientifique. Le débat autour de Didier Raoult le prouve. Il aurait fallu être très clair dès le départ sur le port du masque. »

Beaucoup d’anti-masques critiquent les prises de parole d’Emmanuel Macron et du Premier ministre sur les masques. Jean-Loup, 23 ans, a découvert le mouvement anti-masques avec les interdictions de porter un masque en extérieur. Pour lui, le président de la République s’adresse aux Français comme à des enfants. « J’ai l’impression que Macron parle à ses enfants quand il s’adresse à nous. Il nous dit que c’est notre responsabilité alors que c’est à cause du gouvernement s’il y a le coronavirus en France » affirme-t-il.

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Une opinion qui n’étonne pas le professeur d’éthique médicale, Emmanuel Hirch, qui pour lui est la conséquence d’une très mauvaise communication de la part du gouvernement. « S’il n’y a pas un discours d’intelligence et de valeurs de biens communs, de ce qu’il faut protéger, s’il n’y a pas une pédagogie de la responsabilité partagée on arrive à un discours mitigé alors tantôt d’autorité, tantôt paternaliste. »

Dans les cas exceptionnel comme celui du coronavirus, l’intérêt général et le civisme doivent pouvoir prévaloir sur l’intérêt individuel. À l’atteinte de liberté individuelle, beaucoup de médecins tentent de répondre que la ventilation artificielle, utilisée pour sauver les malades de la Covid-19, et la rééducation qui s’ensuit sont, elles, vraiment liberticides. Il serait fâcheux de se tromper d’ennemis. N’oublions pas ces semaines passées en confinement enfermés dans le but, non pas de nous empêcher de vivre, mais de nous permettre de profiter de la vie et de celles de nos proches, une fois cette crise passée.

Rappelons que le masque est actuellement le seul moyen de lutter efficacement contre la transmission de la Covid-19.

* Par souci d'anonymat, ces prénoms ont été modifiés.

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