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Crime

La Thaïlande arrête ceux qui se moquent du roi — et de son chien

Les peines prévues pour les crimes de lèse-majesté sont de plus en plus dures sous le régime militaire. Certains Thaïlandais ont été condamnés à des peines allant jusqu'à 30 ans de prison pour avoir "insulté" le monarque ou ses proches.
Photo de Diego Azubel/EPA

Une femme de 41 ans a été condamnée à 7 ans de prison en Thaïlande pour avoir posté une photo sur Facebook. Il s'agit de la dernière condamnation en date d'une série de jugements pour crime de lèse-majesté (comprendre d'insulte envers le monarque) dans ce pays qui vit depuis deux ans dans un climat de censure et sous le joug des militaires.

La femme, Chayapha C., est une mère célibataire selon les médias locaux. Elle aurait posté une image d'un tank accompagnée d'une légende suggérant la possibilité d'un coup d'État imminent. Un tribunal militaire a alors condamné Chayapha à 14 ans de prison pour lèse-majesté et sédition — mais sa peine a été réduite de moitié puisqu'elle a plaidé coupable.

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La condamnation de Chayapha survient après l'arrestation début décembre de Thanakorn Sripaiboon, un ouvrier de 27 ans, qui aurait posté des commentaires « sarcastiques » sur Tongdaeng, la chienne du roi de Thaïlande Rama IX. Le roi avait recueilli Tongdaeng, qui signifie « cuivre » en thaï, dans la rue et avait écrit un livre sur elle. Sripaiboon risque jusqu'à 37 ans de prison — lui aussi pour lèse-majesté et sédition.

La semaine dernière, la police thaïlandaise a aussi annoncé qu'une enquête pour lèse-majesté avait été ouverte contre l'ambassadeur américain Glyn T. Davies, après que le diplomate a fait un commentaire sur la longueur des peines de prison dans le pays.

Plusieurs pays, dont l'Allemagne, l'Italie et le Maroc, ont dans leur code juridique des dispositions qui interdisent les insultes envers les monarques et les personnages publics. Selon des groupes de défense des droits, les lois thaïlandaises encadrant les crimes de lèse-majesté sont parmi les plus strictes au monde. Pour nombre de pays, les peines maximums sont de 5 ans, alors qu'en Thaïlande le moindre commentaire semblant insulter la monarchie peut être puni d'une peine de prison allant jusqu'à 15 ans.

Si les crimes de lèse-majesté ont toujours été l'objet de polémiques, les groupes de défense des droits de l'homme — tout comme le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme (HCDH) — font remarquer que la loi thaïlandaise sur la question s'applique avec une sévérité accrue depuis l'arrivée de la junte militaire au pouvoir. Les peines de prison atteignent en effet des niveaux records.

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En août, un homme et une femme ont été condamnés à des peines records de 30 et 28 années de prison pour des posts Facebook qui insultent la monarchie selon la justice thaïlandaise. Les groupes de défense des droits de l'homme ont aussi critiqué l'utilisation de tribunaux militaires pour ces procès, au cours desquels les accusés n'ont pas le droit à un avocat ou de faire appel de leurs condamnations.

« Le crime de lèse-majesté est un outil pratique pour les autorités qui veulent supprimer tout discours ou commentaire indépendant et dissonant sur les affaires courantes. »

« Nous sommes horrifiés par les peines de prisons disproportionnées distribuées au cours des derniers mois, » écrit une porte-parole du HCDH dans un briefing adressé à la presse. L'organe onusien appelle la Thaïlande à amender sa loi pour répondre aux standards du droit international. « Jusqu'à ce que la loi soit amendée, de telles lois ne devraient pas être utilisées de manière arbitraire pour mater le débat public sur des problèmes importants qui agitent l'intérêt public — même si cela implique de critiquer les chefs d'État ou de gouvernement. »

Dans un récent communiqué envoyé à Reuters, le porte-parole du gouvernement thaïlandais, le Colonel Winthai Suvaree, a estimé que la loi de lèse-majesté était nécessaire. « Nous n'avons pas utilisé cette loi de manière plus dure, mais en ce moment nous observons plus de violations de cette règle. Alors, les autorités doivent agir en conséquence, » explique Winthai. « Nous avons besoin de cette loi en Thaïlande pour protéger la monarchie qui est adorée de tous les Thaïlandais. »

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Le général Prayuth Chan-ocha, le Premier ministre du pays, a lui aussi déclaré publiquement que la protection de la monarchie est une des principales priorités du régime.

La sévérité de la loi a mené à des pratiques d'autocensure dans la presse. En septembre, Eastern Printing PCL, la compagnie locale thaïlandaise responsable de la distribution de l'International New York Times dans le pays, a refusé d'imprimer et de distribuer un numéro du quotidien dans lequel on trouvait un reportage sur la santé du roi et parlant de sa succession. Ce mois-ci, l'imprimeur a aussi censuré deux articles dans le Times en une semaine. Dans les deux numéros, en lieu et place des articles censurés il y avait deux grands rectangles blancs.

Thai printer of International New York Times blocks stories for third time — Asian Correspondent (@AsCorrespondent)December 5, 2015

« Ce second incident montre clairement le regrettable manque de liberté de la presse dans le pays, » a déclaré le Times dans un communiqué publié après avoir vu son deuxième article censuré en moins d'une semaine. « Les lecteurs thaïlandais n'ont pas un accès libre et complet au journalisme — un droit fondamental auquel devraient avoir droit tous les citoyens. »

Eastern Printing PCL aurait déclaré ne pas vouloir d'imprimer d'articles qui seraient considérés comme « sensibles concernant la situation actuelle ».

Ce lundi, la compagnie n'a pas imprimé l'article concernant les accusations de lèse-majesté dans le pays.

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Le site d'information local Khaosod English a lui aussi retiré de son site un article sur Sripaiboon. Le site précise qu'il n'a reçu aucune pression de la part des autorités concernant la non-publication de l'article, mais que la rédaction en chef du site « craignait que le contenu de l'article n'entraîne des poursuites sur le terrain juridique. »

« En tant qu'agence de presse basée en Thaïlande, Khaosod English doit se conformer aux lois thaïlandaises, » ont écrit les éditeurs du site.

Madeline Earp, chercheuse à la Freedom House — une organisation de surveillance des libertés dans le monde — explique à VICE News que l'un des principaux problèmes de cette loi est qu'elle peut être interprétée très largement, et donc faire l'objet d'abus. Si le code juridique thaïlandais stipule que la lèse-majesté s'applique aux insultes, à la diffamation, ou aux menaces adressées au roi, reine, héritiers ou régent, il n'y a pas de définition précise de ce qui constitue une insulte ou une diffamation.

« D'un point de vue légal, la lèse-majesté est un outil pratique pour les autorités qui veulent supprimer tout discours ou commentaire indépendant et dissonant sur les affaires courantes, » explique Earp. « Il se passe tellement de choses en ce moment en Thaïlande qui impliquent d'une façon ou d'une autre la monarchie, que tout type de commentaires sur l'actualité du jour peut être interprété comme une violation de la loi de lèse-majesté. »

« Il s'agit vraiment de consolider le pouvoir de la junte, » ajoute Earp. « Le problème n'est pas tant ce que les gens condamnés ont dit, mais bien d'installer un climat de peur. »

Cette semaine, les médias d'information locaux ont diffusé des images du roi assermentant plusieurs juges lors d'une rare apparition publique. Le roi n'est pas en bonne santé, il rentre et sort de l'hôpital à intervalle régulier depuis plusieurs années. Pour la deuxième année consécutive, il n'est pas apparu publiquement pour son anniversaire — qui est aussi un jour férié — le 5 décembre dernier.

Suivez Kanyakrit Vongkiatkajorn sur Twitter : @yukvon