Ce qui arrive quand on écrit pour VICE
Illustration : Pierre Thyss

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La vie, ça va passer

Ce qui arrive quand on écrit pour VICE

« Ah mais c’est toi l’enfoiré qui a écrit l’article sur les jeux de société ? » Oui.
Paul Douard
Paris, FR

La plupart des Français diplômés exercent un boulot inintéressant qui ne nécessite pas vraiment de qualité particulière, si ce n’est celle d’être malléable. Quand on leur demande ce qu’ils font dans la vie, ils répondent par des sibyllines telles que « Je suis chef de projet » ou encore « je fais du conseil ». Personne ne comprend vraiment ce qu’ils font – eux les premiers – et cela n’appelle aucun débat particulier. Sur ce point, je ne peux malheureusement pas en dire autant. Je gagne ma vie en écrivant pour un media dédié aux personnes ayant entre 18 et 30 ans. Ayant moi-même 29 ans depuis quelques jours, cela induit la possibilité de croiser ces gens régulièrement. Je dois donc toujours me tenir prêt à affronter des interactions sociales non-voulues avec des personnes qui ont sans doute commenté mon dernier article par « Tu mérites des cartouches de chevrotine dans les roues de ton fixie lancé à pleine vitesse » ou plus sobrement « Sale chien galeux de hipster », quand d’autres veulent simplement en discuter avec moi – ce que je ne souhaite jamais.

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Les gens qui détestent ce que j’écris sont naturellement les premiers à se manifester. La rage qui les saisit lors de cette lecture laisse souvent place à une volonté manifeste de me convaincre que je suis ne suis qu’un con. Lors d’une soirée par exemple, l’information « j’écris pour VICE » peut fuiter. Il n’est donc pas rare que des gens m’apostrophent pour me demander si je suis bien « la grosse merde qui a écrit ce torchon sur la fac de droit. » Oui, c’est moi. À cet instant, j’ai deux solutions. La première : mentir et expliquer que ce n’était pas moi pour, ainsi, obtenir la paix. Mais c’est aussi risqué qu’idiot puisque ma photo est sur tous mes articles. La seconde : dire la vérité. Neuf fois sur dix, je choisi la seconde solution en pariant sur l’empathie de mon interlocuteur. Bien souvent, ce dernier est surpris de s’apercevoir que je suis finalement comme lui : gris, pauvre et soumis à une hiérarchie que je côtoie une fois par an lors de mon entretien annuel de performance.

Si la plupart s’arrêtent là, d’autres vont jusqu’à utiliser leur compte Twitter pour déverser leur incompréhension face à la non pratique du Loup-Garou le samedi soir. Ils s’engagent alors dans une série de tweets redondants de type « Encore l’article d’un “journaliste“ blasé » – où, comme vous l’aurez compris, toute la symbolique du message réside dans l’utilisation subtile des guillemets. Bien sûr, je suis aussi tagué afin que leur message soit lu par au moins une personne. Ma seule réaction est un haussement d’épaules, alors que je continue de scroller dans mon navigateur. Plus violent encore, certains vont jusqu’à m’écrire personnellement par mail ou sur Facebook. Leur message commence systématiquement par « Je n’ai pas l’habitude de faire ça, mais », comme si la situation cauchemardesque dans laquelle se trouvait le monde à la suite de mon article leur imposait d’agir. Sachez que, globalement, je me contrefous de votre avis – d’autant plus si celui-ci se contente de dire que je fais une généralité de type « tous les consultants ne sont pas des enculés ». Une fois l’article publié, mon job est terminé. Et entre nous, votre haine décérébrée ne fait que me conforter dans l’idée que j’ai a priori bien travaillé – si j’en crois Charles Bukowski qui écrivait « Je l'ai toujours dit, si on arrive à se faire haïr, on sait que le boulot est bien fait. »

Si des centaines d’inconnus prennent le temps de me dire à quel point ils me haïssent – ou parfois m’apprécient –, les choses peuvent être terriblement gênantes lorsqu’il s’agit de mon cercle social proche. À chaque nouvelle publication, ils pensent qu’ils sont au cœur de ma chronique. À chaque blague, critique ou même référence à une situation lambda, c’est la même routine. « Ah là, tu parlais de moi ! » s’exclament-ils, contents d’avoir été utiles à quelque chose. Sauf que, non, pas du tout. Cela me déprime profondément. Les gens sont si égocentriques qu’ils croient se reconnaître partout, comme si mes articles étaient des horoscopes distribués dans les RER. Comprenez bien un truc, nous sommes tous pareils. Il est donc temps pour vous d’arrêter de croire que vous êtes subitement au centre d’un truc et que quelqu’un s’intéresse à vous. Si vous vous reconnaissez dans une phrase, c’est simplement que vous êtes comme tout le monde : vivant et prévisible. Désolé. C’est une chronique, je fais donc des généralités et la mauvaise foi est de mise, sinon à quoi bon ? Le problème, c’est que les gens préfèrent que je leur réponde « Oui, c’est de toi que je me moque » plutôt que de subir le « Ah non désolé, rien à voir avec toi ». Ils préfèrent être les bouffons d’une soirée plutôt que de ne pas y être invité.

Écrire est mon métier. On me paie pour le faire de 10 heures à 19 heures, cinq jours par semaine. Voyez mes articles comme le résultat d’un contrat de travail. Si quelque chose vous déplaît à l’intérieur de l’un d’eux, ouvrez la fenêtre, respirez un bon coup et pensez à autre chose. La vie, ça va passer vous savez. Sinon, sautez. Je dois déjà subir les repas avec ma famille où l’un d’eux s’exclame « Paul écrit des articles très drôles ! » devant tout le monde. À cet instant, je prie pour qu’une attaque nucléaire survienne, seule solution pour éviter le « Ah oui ? Quel est le titre du dernier Paul ? » Dire non à la drogue a foutu ma vie en l’air.

Paul ne répondra à aucun de vos messages sur Twitter .