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Le concept de « vraie IA » dans les jeux vidéo n’est qu’un outil marketing

Ne vous attendez pas à rencontrer HAL 9000 au détour d’une partie sur Xbox.

Récemment, j'ai récupéré une Xbox One. C'est ma première console depuis six ans, et je m'attendais à être bouleversé par ce que pouvait m'offrir un jeu vidéo en 2015. C'est donc le coeur plein d'allégresse que j'ai vendu un rein pour pouvoir acheter Halo 5: Guardians, me préparant à vivre une expérience extraordinaire.

Pourtant, très vite, j'ai surtout commencé à hurler. « Mais butez-en un, bande de débiles ! » m'exclamai-je à l'adresse des membres de mon squad de Spartans dans Halo 5. Au lieu de contribuer docilement à tuer des ennemis, ils se contentaient de courir à droite à gauche en criant des trucs et me ramenant à la vie de temps en temps. J'étais persuadé que le temps des PNJ simplistes était révolu depuis longtemps déjà, mais apparemment, il y a encore du boulot pour intégrer de bonnes IA aux jeux vidéo récents. Alors pourquoi les éditeurs de jeux vidéo continuent-ils à parler de « vraies IA », quand les personnages qu'ils créent sont si affreusement stupides ?

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C'est ce genre de promesses que la conférence Playstation Experience 2015 a faites le week-end dernier. Une démonstration annoncée sous le nom de « Call of Duty: Black Ops 3: La révélation du potentiel de l'intelligence Artificielle » a permis à quatre développeurs de Treyarch de vanter les capacités des PNJ du dernier épisode de Call of Duty. Sur le plateau, Craig Houston, l'un des principaux auteurs de Treyarch, a annoncé : « Nous avons désormais besoin de vraies intelligences artificielles, comme celles-ci, pour remplacer les scripts faits à la main. » Aucun des développeurs de Treyarch présents n'a daigné protesté en entendant l'expression « vraie IA. »

Difficile de deviner à quel genre d'algorithmes Houston faisait référence ici, et aucun détail supplémentaire n'a été donné durant l'événement. Ce qui est sûr, c'est que le prochain Call of Duty n'a aucune chance de se doter de quelque chose qui ressemble à « une vraie IA » dans un avenir proche, pas plus que tout autre jeu d'ailleurs. La raison en est que les IA utilisées dans l'industrie du jeu vidéo n'ont pas grand chose à voir avec ce sur quoi travaillent les chercheurs en informatique.

« L'industrie nous dit 'Nous développons un jeu pour lequel il nous faut des IA', tandis que le chercheur en Intelligence Artificielle, lui, reste plus général » explique Dave Churchill, doctorant au département de jeux vidéo de l'université d'Alberta, et programmeur d'IA. « Voilà comment ça se passe : nous avons un problème général à résoudre, nous cherchons une solution, et pour tester ladite solution nous l'appliquons à un jeu. »

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Tandis que les IA de jeux servent un but très spécifique (dans le cadre d'un jeu précis ayant ses propres règles et un game design spécifique, lui aussi), l'IA au sens plus général, elle, est conçue pour résoudre une large gammes de problèmes. Par exemple, elle peut permettre de générer automatiquement des designs de véhicules. Ce genre d'applications peut certes servir dans un jeu, mais pas uniquement. Churchill a lui-même testé l'IA qu'il a conçue dans le très populaire jeu de stratégie Starcraft, car c'était l'occasion d'entrainer cette dernière sur des problèmes uniques, particulièrement difficiles à résoudre. Cependant, son IA n'a pas été programmée pour fonctionner uniquement sous le contrôle des paramètres de Starcraft, qui ne permettent que des actions limitées.

« L'IA dans un jeu vidéo peut être considérée comme un outil vous permettant de résoudre un problème. Mais dans la recherche, l'IA permet de faire avancer la science » ajoute Churchill.

« Comment une entreprise de cinq personnes pourrait, après un an de travail seulement, réussir là ou des milliers et des milliers de chercheurs échouent depuis 50 ans ? »

Le but de l'IA d'un jeu est de contribuer à divertir le joueur en mettant à sa disposition davantage d'unités animées. En aucun cas on ne cherchera à repousser les limites de ce que l'on sait faire pour programmer une machine à prendre des décisions. Les personnages doivent avoir fière allure, se déplacer de manière réaliste, et présenter un défi d'une manière ou d'une autre ; l'ironie est qu'une AI développée dans le cadre académique ne remplit pas ces conditions à l'heure actuelle. Alors, on la déguise comme on peut.

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Lorsque le script est de bonne qualité, les algorithmes de type « si a, alors b » et autres raccourcis basés sur des règles simples (par exemple « si le joueur se met à couvert, lancer une grenade » sont efficaces et fréquemment utilisés dans les jeux vidéos. Certaines IA exploitent des processus de prise de décision plus avancés. On peut alors utiliser des outils simples, comme des arbres de comportement, ou emprunter aux outils académiques. Dans tous les cas, on travaille sur des aspects cosmétiques, et non scientifiques. Comme on peut le lire dans un guide Intel sur les types d'IA utilisées dans les jeux vidéos, programmer le comportement de personnages est une tâche plus « artificielle » qu'elle n'est « intelligente.»

Dans la recherche universitaire en Intelligence Artificielle (le seul domaine qui puisse un jour réussir à nous fournir « une vraie IA »), on se permet certes parfois quelques raccourcis dans l'écriture des algorithmes. Mais le but de l'entreprise reste très différent : tout le monde se moque de l'aspect l'IA. Même le fait de s'assurer qu'elle fonctionne la plupart du temps importe peu. Ce qui compte, c'est de repousser chaque fois un peu plus les limites de ce qu'une machine est capable de réaliser. Dans ce champ de recherche, le deep learning, supervisé ou non, règne en maître. Des chercheurs essaient toujours de parvenir à apprendre à une AI à effectuer deux tâches simultanées sans en oublier une au passage.

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Parfois, une AI avancée n'est de toute façon d'aucune utilité dans un jeu, ajoute Churchill.

« L'une des principales raisons pour laquelle les outils les plus modernes en IA n'ont jamais pénétré le domaine des jeux vidéo, c'est que l'industrie n'a aucune envie de dépenser des fortunes là-dedans. Les game designers, à l'heure actuelle, poussent les aspects graphiques toujours plus loin. Mais 1% de leur budget informatique est dédié à l'IA, pas davantage. »

Après tout, tout le monde va acheter le dernier shoot-em-up. Même votre petit frère branché ou votre dealer de weed un peu glauque. Vous pensez vraiment que les gens se préoccupent de ce qu'il se passe derrière le rideau ? Tant que les explosions sont spectaculaires, que les ennemis se déplacent rapidement, les joueurs se fichent de savoir à quel point l'algorithme qui dirige tout cela est élaboré.

La plateau Call of Duty n'est pas la premier à invoquer une « vraie Intelligence Artificielle » pour attirer l'attention sur un produit. Polygon a récemment publié un article intitulé « Une vraie IA sera bientôt utilisée dans Space Engineers, grâce à notre équipe de recherche », reprenant les mots du développeur. L'article ne suggère en rien que la « vraie IA » en question sera réservée aux jeux, même si l'auteur précise qu'elle sera exploitée dans le jeu, datant de 2013, et qu'il répète l'expression « intelligence artificielle générale. » Oubliant au passage qu'à l'heure actuelle, des géants de la tech comme Facebook, Google, ou des laboratoires de recherche possédant des superordinateurs hors de prix commencent à peine à évaluer les capacités d'une IA simple et limitée.

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Pas besoin d'être chercheur en informatique pour sentir qu'il y a là un paradoxe.

À regarder sur Motherboard : Inhuman Kind

Je ne suis pas sûr de comprendre d'où vient le fameux concept de « vraie IA », comment il est arrivé dans l'industrie du jeu vidéo, où pourquoi il est de plus en plus utilisé. Peut-être que c'est simplement dans l'air du temps, et que des personnages publics comme Elon Musk ou Stephen Hawking ont contribué à répandre cet usage en évoquant sans discontinuer le futur (menaçant) que nous réservent les machines. Peut-être qu' « IA » n'est qu'un buzzword de plus, avec lequel tout le monde est désormais familier. Après tout, cela fait des décennies qu'il est employé dans l'industrie ; les éditeurs de jeux vidéo peuvent bien l'utiliser pour communiquer avec leur audience. Peut-être que ce n'est rien de plus qu'un joujou marketing un peu cheap. En tout cas, c'est l'hypothèse que retient Churchill.

« Comment une entreprise de cinq personnes pourrait, après un an de travail seulement, réussir là ou des milliers et des milliers de chercheurs échouent depuis 50 ans ? » s'exclame-t-il. « Le marketing n'a vraiment peur de rien. »

Quelle que soit la soit la réponse à cette question, elle est probablement idiote, un peu comme ces personnages qui se mettent systématiquement dans mes pattes en agitant leur arme quand j'essaie de rentrer dans une pièce pour pulvériser des sales types.