Les antinatalistes pensent qu’on aurait tous mieux fait de ne jamais venir au monde

Les plus emos d’entre nous ont sûrement déjà lancé cette phrase à leurs parents lors d’une énième crise adolescente : « Je ne vous ai jamais demandé de venir au monde ! » Mais qu’en est-il lorsque nous considérons sérieusement la question et que nous ne faisons pas de cette déclaration une simple accusation dénuée de sens ? Que se passe-t-il si vous suivez réellement ce principe – est-ce moralement répréhensible de ne jamais avoir d’enfants ?

Bienvenue chez les antinatalistes, une branche philosophique obscure qui regroupe aujourd’hui de nombreux disciples sur Internet. Alors que la décision de ne pas avoir d’enfants s’est largement répandue dans la société – on compte d’ailleurs un nombre record d’Américaines sans enfants –, les antinatalistes ne se contentent pas de renoncer à la parentalité pour des raisons personnelles ou écologiques. D’après le subreddit /r/antinatalism, les antinatalistes « accordent une valeur négative à la natalité » et estiment qu’il est injuste d’imposer la vie à un être alors que notre monde est déjà en proie à la souffrance. En fin de compte, ils préconisent l’extinction de l’humanité tout entière.

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L’utilisatrice Twitter, @Roxxane_cams, une femme de 36 ans prénommée Laura, est l’une des plus ferventes partisanes de ce mouvement. Elle tweete quotidiennement sur ses croyances, et aime aussi parler de son emploi de camgirl. « Je suis probablement la première camgirl antinataliste, s’amuse-t-elle. J’aime en débattre un peu partout sur Internet. »

À l’instar de mes autres interlocuteurs, elle a toujours été contre le concept même de maternité, ignorant toutefois qu’il existait un terme pour ce courant de pensée. « Je savais depuis toute petite que je ne voulais pas avoir d’enfants, m’explique-t-elle. [Mais] je savais qu’il y avait un sens beaucoup plus profond dans tout ça, ce n’était pas seulement parce que je voulais plus d’argent et de temps libre… J’avais l’étrange sentiment que quelque chose n’allait pas avec la vie en général. » Au fil de ses recherches Google, elle a découvert l’antinatalisme, une philosophie qui « regroupait la quasi-intégralité de ses opinions depuis l’enfance. »

D’après Kenqwi, modérateur du thread /r/antinatalism sur Reddit, la plupart des gens ont pris connaissance de la communauté de cette façon. « Généralement, les nouveaux membres rédigent des posts pour exprimer leur bonheur d’apposer un terme sur leurs convictions », dit-il. « Nous avons 4 000 abonnés. C’est peu, mais notre communauté est très active ».

Nous devons le terme d’antinatalisme à David Benatar, professeur de philosophie à la University of Cape Town, dont le livre Better Never to Have Been traite expressément du sujet. Même s’il a été considéré comme un cas particulier dans le cercle des philosophes, le terme a connu un regain de popularité lorsque le créateur de la série True Detective, Nic Pizzolatto a cité Benatar parmi ses influences pour créer le personnage nihiliste de Rust Cohle.

« Dans un sens, la série a énormément œuvré à la diffusion du terme, m’a confié Paul Ennis, professeur assistant en philosophie à la University College Dublin. « Auparavant, on retrouvait les antinatalistes dans des coins poussiéreux de bibliothèques. Maintenant, vous pouvez voir des retranscriptions de leurs travaux sur Reddit. » Les antinatalistes postent fréquemment des gifs de Cohle, ou partagent des vidéos dans lesquelles ils démontrent que la conscience humaine est une erreur.

Je suis en faveur de l’extinction de l’humanité car à mon sens, la conscience mène directement à la souffrance.

Alors qu’il est tout à fait normal pour des futurs parents de se demander dans quelles mesures la venue d’un enfant affecterait leur vie, la conclusion des antinatalistes est plutôt extrême – comment en sont-ils venus à prôner l’extinction de l’humanité ? « Je suis en faveur de l’extinction car à mon sens, la conscience mène directement à la souffrance, pour les humains comme pour les animaux », m’explique Laura. « C’est irréaliste, j’en conviens. Néanmoins, je suis contre la procréation car la vie d’une autre personne se trouve désormais en jeu. » Une autre antinataliste, qui se fait appeler Charlotte, pense que l’extinction « serait plus agréable. Ça serait plus agréable pour l’humanité, et définitivement meilleur pour la planète. »

Même si la communauté n’adopte pas de directive politique particulière – « Je dirais que la plupart [des antinatalistes] sont apolitiques parce qu’ils ont un problème avec la vie en elle-même et ne la considèrent pas comme efficace », explique Kenqwi – certains thèmes se détachent des autres. L’écologie, les droits génésiques, et l’arrivée de Trump au pouvoir sont autant de sujets fréquemment débattus entre les membres.

Savanah, 21 ans, n’a jamais voulu d’enfants. Son mari l’a alors initiée au monde de l’antinatalisme : « Au début, je trouvais ça un peu triste, puis après une année [dans la politique], je suis parvenue à me consoler avec cette philosophie ». Habitante du Kentucky, au plus profond de la Bible Belt, elle doit souvent faire face aux partisans anti-avortement.

Le mari de Savannah vient tout juste de trouver un médecin disposé à lui pratiquer une vasectomie, après s’être vu refuser l’intervention au dernier moment au cas où il « changerait d’avis ». Ils ont prévu de fêter l’événement en organisant une « vasectomy party » : « Il y aura du champagne, du vin et du fromage sur la table, et nous fêterons tout ça avec beaucoup d’alcool. Mes parents veulent perpétuer la lignée et devenir grands-parents au plus vite, alors c’est un peu difficile de leur parler de ça. »

Les antinatalistes ne doivent pas seulement défendre leurs opinions face à leurs amis ou leur famille. Sans surprise, ils font face à une avalanche de commentaires négatifs sur internet. Laura et Charlotte affirment que la plupart des trolls leur demandent souvent : « Pourquoi ne commencez-vous pas par vous suicider ? »

« Les réponses des populationnistes révèlent un manque d’empathie flagrant à l’égard de notre communauté », me dit Laura. Le suicide est douloureux et la grande majorité des antinatalistes ne veulent pas imposer cette souffrance à leur famille. Nous ne voulons pas accroître la souffrance déjà présente dans le monde. »

Néanmoins, les pensées suicidaires et la dépression sont monnaie courante parmi les membres de la communauté, même s’ils ne sont en aucun cas un prérequis. « J’ai l’impression que la plupart des membres ont une image positive du suicide, si on peut le dire ainsi », affirme Kenqwi. « Le consensus est le suivant : comme nous ne pouvons pas choisir notre naissance, nous pouvons au moins choisir la raison et l’instant de notre mort ».

Charlotte ajoute : « Je pense que [l’antinatalisme] pourrait attirer beaucoup de personnes dépressives car c’est la première fois que l’on vous dit “Ta vision du monde est juste.” Mais il n’y a pas besoin d’être dépressif pour adhérer à cette idéologie. À mon sens, les dépressifs sont des gens très réalistes. Notre culture méprise les dépressifs sans même écouter leurs pensées. Au lieu de ça, ils disent “Tu es malade, nous allons te soigner.”

N’est-ce pas une lutte constante que de considérer la vie comme une souffrance intrinsèque ? « Notre vision du monde est éprouvante, admet Charlotte. Il nous est très facile de sombrer dans le désespoir. Mais dans un sens, ça m’aide beaucoup à apprécier des choses très anodines – comme une tasse de thé ou une balade en extérieur – parce que je ne suis pas constamment à la recherche du bonheur. Je ne me préoccupe pas de mon héritage. Je sais que la vie n’a aucune importance. »

Pour Ennis, l’antinatalisme en tant que philosophie n’est pas forcément utile à ses adeptes. « À mon avis, les distractions autour de ces pensées sont plus bénéfiques qu’autre chose, affirme-t-il. Il y a tout de même quelque chose d’inexorablement sombre à adhérer à des idées qui vous rappellent sans cesse la vanité de votre propre existence. Néanmoins, je comprends parfaitement l’élan qui les entraîne. Il est parfois très utile de savoir que vos pensées sont partagées par vos pairs.»

La psychologue et conseillère conjugale Hilda Burke m’a confié qu’elle serait extrêmement curieuse si un patient venait à lui parler d’antinatalisme. Elle souhaiterait alors le sonder afin de voir si cette attitude cache un traumatisme. « Dans un sens, ce courant de pensée est comparable au bouddhisme – l’idée selon laquelle la vie est une souffrance », dit-elle. « Néanmoins, cette vision du monde est aussi très immature, très manichéenne. Toutes les formes d’extrémismes sont inquiétantes. »

Mais les antinatalistes interrogés sont catégoriques, aucun retour n’est possible. « J’essaye d’évaluer le point de vue contraire mais une fois que vous avez adopté cette doctrine, il devient difficile de revenir en arrière », avoue Laura. Kenqwi le reconnaît : « J’essaie régulièrement de congédier ces pensées, je recherche assidûment tous les arguments populationnistes susceptibles de me convaincre parce qu’honnêtement, cette philosophie est vraiment pesante à vivre au quotidien. Vous vous retrouvez complètement esseulé. »