J’ai passé un après-midi à essayer de devenir scientologue
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Société

J’ai passé un après-midi à essayer de devenir scientologue

Comment j’ai fait croire aux cadres de l’Église de Scientologie de Paris que j’allais leur donner du blé.

La scène se passe à Paris, dans le 5e arrondissement. Entre deux foodtrucks, un jeune homme timide distribue des flyers polycopiés pour un événement quelconque. J'en prends un, machinalement. Quelques jours plus tard, je retrouve le morceau de papier au fond d'une poche, et je le parcours. Ce dernier me promet une mystérieuse conférence concernant « la vie après la mort ». Je suis à deux doigts de jeter définitivement le truc lorsque, par chance, j'y lis, au bas de la page, une information : la fameuse conférence se tient dans l'un des deux sièges parisiens de l'Église de Scientologie.

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Intrigué, je téléphone au numéro indiqué. Je dis à mon interlocuteur que moi aussi, je tiens à participer à la réunion, puisque celle-ci, comme indiqué sur le flyer, semble à même de « changer le cours de ma vie et de mes perceptions du monde ».

Le rendez-vous est donné un jeudi matin au Celebrity Centre de l'Église, dans le 17e arrondissement. C'est sous une fausse identité que je m'y présente. Simple précaution.

L'Église de Scientologie, fondée aux États-Unis par L. Ron Hubbard en 1953, regroupe comme chacun le sait un certain nombre de croyances et de pratiques d'inspiration religieuses plus ou moins fantaisistes. Des stars comme Tom Cruise ou John Travolta sont ses plus célèbres fidèles.

En France, elle est officiellement considérée comme une secte depuis 1995. Et pour cause : pour amener ses disciples vers la « découverte » de leur « chemin intérieur », la structure leur extorque une somme d'argent colossale. 200 euros pour un premier livre nommé « La Source de l'énergie vitale », puis les 18 volumes des écrits complets de Ron Hubbard (facturés 3 200 euros) et enfin, entre 45 000 et 75 000 euros afin d'accéder au statut (manifestement enviable) de Clair, c'est-à-dire de cadre de la Scientologie.

C'est une arnaque suprême, géniale, et qui pourrait avoir l'air drôle de loin si ladite Église n'avait pas été poursuivie en Justice pour des trucs comme exercice illégal de la médecine en 1983, escroquerie en bande organisée en 2009 ou encore harcèlement moral et abus de faiblesse en 2014. Derrière la supposée « étude de la connaissance qui permet de se connaître soi, le monde et de devenir son propre Dieu » clamée par les officiels, l'organisation – qui compte près de 12 millions d'adeptes de par le monde –, est en réalité une usine à intimidations et à humiliations dont il est rare de sortir indemne.

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Le siège de l'Église de Paris se trouve dans une rue commerçante du nord-ouest parisien, à la vue et au su de tous. Elle ressemble au premier abord à une boutique parmi d'autres, mais c'est une fois la porte passée que l'ambiance change. Tout y est d'un blanc immaculé, neutre. J'avais l'impression de me retrouver dans le vestibule d'un cabinet médical. Au milieu du mobilier couleur neige trône une croix d'inspiration chrétienne, celle de la Scientologie. Elle est fixée au-dessus du bureau d'accueil de la réceptionniste. Cette dernière, extrêmement souriante, me demande poliment de patienter dans l'un des fauteuils en velours rouge derrière moi. Les photos sont interdites.

En face de moi, la reproduction exacte du bureau de L. Ron Hubbard, originellement auteur de science-fiction et fondateur de la secte. Ses livres sont exposés un peu partout dans la pièce, dans plusieurs dizaines de traductions.

Divers flyers proposés par l'Église de la Scientologie de Paris. Toutes les photos sont de l'auteur.

D'abord prolifique auteur de romans pulp dans les années 1930, Hubbard s'est par la suite tourné vers les histoires fantastiques. Néanmoins, c'est avec La Dianetique, best-seller de développement personnel et bible des fidèles de la secte, que l'auteur va faire fortune. Critiqué par la grande majorité des scientifiques et psychiatres de l'époque, il n'arrivera jamais à imposer officiellement ses idées. Il fait dire que dans le même temps, L. Ron Hubbard est resté un personnage décrié, habitué des tribunaux. Condamné à plusieurs reprises pour escroquerie, il fut également mouillé dans l'Affaire Gerry Armstrong, du nom de cet ancien scientologue renvoyé de l'église et harcelé par de nombreux cadres de l'organisation. Il a passé les dernières années de sa vie dans son luxueux ranch de Californie.

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Avant la conférence, on me fait de nouveau patienter, cette fois-ci dans la cafétéria. C'est l'occasion d'observer les lieux et les gens qui m'entourent. Je croise une vingtaine d'adultes, qui boivent des cafés, discutent à voix basse, m'observent. Ils sont terrifiants. Tous sont anormalement souriants, beaucoup trop aimables. Ils me font penser aux gendres idéaux des séries américaines. Je remarque également qu'ils sont tous bien habillés, en costumes pour les hommes ou élégantes robes de soirée pour les femmes.

Je m'adresse à l'un d'eux. « Je suis venu avec les autres pour les "temps d'études", me dit-il. Nous sommes ici pour analyser les textes fondateurs de la Scientologie. »

Un peu à l'écart, je remarque une espèce de large bibliothèque, fournie en livres anciens. L'ensemble donne l'impression d'être au cœur d'un lieu sacré, ce qui est sans doute le but recherché. C'est enfin l'heure.

Je pénètre dans une salle et me retrouve nez à nez avec le sosie de Thierry Lhermitte dans Le Père Noël est une ordure. « Je m'appelle Daniel », me dit-il en guise d'introduction. Je réalise que je suis seul. Ce qui est appelé conférence est en réalité, selon les modalités de l'endroit, un tête à tête avec un Clair confirmé censé nous expliquer les fondements de sa religion. Ce que je ne savais pas encore, c'est que mon initiation à la pensée scientologique allait être divisée en deux étapes. La première résume l'idéologie de base. La seconde est, nous le verrons par la suite, beaucoup plus vicieuse.

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« Que pensez-vous de cette histoire de Xenu, l'alien qui aurait jeté des extraterrestres dans un volcan terrestre, condamnant les âmes de ces derniers à nous hanter ? », je demande à mon interlocuteur. C'est, en effet, un de leurs mythes les plus grotesques.

Daniel m'apprend d'abord que je suis un thétan, Selon la terminologie de la Scientologie, il s'agit d'un être spirituel doté d'un esprit puissant qui fonctionne grâce à des images mentales, des souvenirs. « Sauf que ces images peuvent être altérées par d'autres souvenirs, inconscients », comme me l'indique Daniel. Je vois qu'il insiste sur cette partie. Et pour cause : c'est ici que réside l'idéologie même de la Scientologie. Car la secte se propose de réparer ces souvenirs, les dénouer grâce à la pensée créée par Hubbard lui-même, la dianétique. C'est l'idée de base de tout bon scientologue, celle-là même qui permet aux fidèles « d'exprimer tout leur potentiel ». Selon le site Dianétique.fr proposé par quelques fidèles scientologues, il s'agit du « livre concernant le mental le plus lu et le plus important jamais écrit ».

Avec Daniel, nous parlons de ses croyances. Nous abordons aussi les miennes, la vie après la mort, la réincarnation. Un à un, tous les aspects évidents de la secte traditionnelle apparaissent. La séance se poursuit. « Comme votre esprit est immortel, vous avez certainement vécu différentes vies antérieures », m'annonce Daniel. Je m'apprête, sans le savoir, à vivre l'un des moments les plus surréalistes de ma vie.

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Devant les bureaux du Celebrity Centre de l'Église de Scientologie de Paris, dans le 17e.

Pour me le prouver, Daniel me pose une série de questions. « Essayez de vous rappeler votre vie il y a 100 ans ». « Désolé, je ne vois pas », je réponds. « Je vous repose la question, me tance Daniel. Rappelez-vous de votre vie il y a 100 ans. » Je suis contraint d'inventer : « Je me vois dans les tranchées, à Verdun – c'est la guerre. » Daniel sourit. Cette réponse semble lui convenir. Il poursuit.

« Rappelez-vous de votre vie il y a 1 000 ans.

- Oh, je me vois en armure, sûrement en train de partir en croisade, je réponds.

- Parfait. Maintenant, rappelez-vous votre vie il y a 10 000 ans. »

Je commence à comprendre le truc. Il s'agit de répondre par les premières banalités à propos de ces époques que je connais uniquement via mes cours d'Histoire et dont Daniel veut que je « souvienne ». « Bien sûr, je fais. Je me vois dans une forêt, en train de chasser. » Je manque d'exploser de rire. La séance d'initiation est terminée.

Je suis maintenant avec Mathieu*, qui m'emmène dans un bureau qui ressemble objectivement plus à un magasin de souvenirs dédié à Ron Hubbard. Là, la discussion semble plus détendue, moins récitée que mon entretien avec Daniel. Il souhaite me rassurer. « J'ai suivi des études littéraires et ai beaucoup travaillé sur les régimes totalitaires », annonce-t-il. Il abat ses cartes, vite et de façon grossière : « Je sais donc à quel moment on peut parler d'embrigadement – et la Scientologie n'en est pas. »

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Moyennement convaincu par ce raisonnement, je lui pose quelques questions. « Comment l'esprit passe-t-il d'un corps à un autre ? », je demande, avec l'air de quelqu'un qui s'intéresse à ce genre de conneries. « Ah, il faut lire le livre pour comprendre cela. » Pas mal. En réalité, toutes les réponses se résumeront à celle-ci. Lorsque je m'aventure sur un sujet plus problématique, Mathieu botte en touche. « Que pensez-vous de cette histoire de Xenu, l'alien qui aurait jeté des extraterrestres dans un volcan terrestre, condamnant les âmes de ces derniers à nous hanter à jamais ? », soit l'une des balivernes les plus ridicules jamais écrites et à laquelle les scientologues croient obstinément. « Eh bien, c'est compliqué, répond Mathieu. Il faut lire l'œuvre d'Hubbard dans son ensemble pour comprendre. » Logique, après tout.

Je sentais malgré tout que Mathieu allait passer à l'offensive. Ce fut le cas.

Il commence par me demander « comment va ma vie » ces temps-ci. Pour le pousser, je lui confie que ça ne va pas très bien, que je me cherche, et que, eh bien, je suis prêt à me mettre au service d'une bonne cause qui me permette de m'y retrouver un peu dans ce monde qui va trop vite. « Je suis prêt à investir mes économies dans l'Église, je dis. Je souhaite participer à votre effort collectif, le soutenir. » Comme dans les dessins animés, j'ai vu le symbole € se dessiner dans les yeux de Mathieu. Il était aux anges.

Là, il essaie de me vendre toute la collection des livres d'Hubbard. Puis c'est au tour de plusieurs DVD, avant de me soumettre plusieurs cours d'initiation à la Scientologie, tous payants bien entendu. Devant ma réticence à payer immédiatement, je sens la confiance de mon interlocuteur décroître. Ma couverture avait-elle été découverte ? Avait-il cerné mon jeu ? « Je reviendrai demain matin », dis-je à Mathieu. Je décidai de quitter les lieux. Définitivement.

Une fois de retour dans la rue, me remémorant l'intégralité de mon expérience, j'ai eu l'impression d'avoir vécu hors du temps, ailleurs, deux heures durant. Comme si je sortais d'un hôpital psychiatrique. Avant de venir, j'avais lu plusieurs articles et thèses à propos des sectes. En marchant, j'étais consterné de constater qu'une secte aussi grosse et supposément puissante que la Scientologie utilisait les mêmes stratagèmes éculés que le gourou en bas de chez vous. C'est cheap, voyant, et rudimentaire.

Je comprenais dans le même temps combien il devait être facile pour des individus fragiles de se faire embobiner par ces discours à propos de la réincarnation ou de la vie éternelle. Après tout, qui n'aurait pas envie de voir son potentiel accéder « à son rendement maximal » ? Depuis la mort de Ron Hubbard en 1986, les scientologues sont convaincus que l'écrivain s'est séparé de son enveloppe charnelle afin de poursuivre sereinement ses recherches à un plus haut niveau spirituel. J'imagine en conséquence qu'il a mal pris de me voir me foutre de leur gueule de ses fidèles, dans son église, quelque part dans Paris.