Au Moyen-Orient, la température avoisine les 51 degrés. Les Émirats arabes unis ont enregistré la vague de chaleur la plus forte de leur histoire à cette époque de l’année. Pendant ce temps, les précipitations restent limitées à quelques centimètres par an. Aussi est-il surprenant que les réseaux sociaux aient été inondés de vidéos montrant des chutes de pluie torrentielles dans la région.
De nombreux médias ont publié des articles sur le sujet, affirmant que les Émirats arabes unis créaient de la pluie artificielle pour lutter contre la chaleur. Nous avons découvert que ce n’était pas le cas, mais il s’agit néanmoins d’un exemple fascinant de géo-ingénierie qui fait l’objet d’une polémique inattendue.
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L’ensemencement des nuages est une forme de modification du climat vieille de 80 ans. La technique consiste à injecter dans les nuages des particules cristallines, généralement du iodure d’argent, via des avions afin de catalyser le processus par lequel les gouttelettes d’eau s’agglomèrent et tombent sous forme de pluie.
Les sels d’iodure d’argent servent d’échafaudage auquel les molécules d’eau peuvent s’accrocher jusqu’à ce qu’elles deviennent suffisamment lourdes pour tomber à la surface de la terre ; cela transforme les nuages ordinaires, qui passent rarement de la vapeur à la gouttelette dans cette partie du pays, en tempêtes de pluie, évitant ainsi la sécheresse et ses conséquences économiques. Cette pratique a également été utilisée pour prévenir les grandes ondes de tempête en brisant les nuages. Aux États-Unis, il s’agissait d’une technique militaire qui a depuis été interdite par les Nations unies, bien que son efficacité en temps de guerre ait été mise en doute déjà dans les années 1970.
Depuis les années 1990, les Émirats arabes unis disposent d’un centre de recherche financé par le gouvernement fédéral qui se consacre à l’étude de l’ensemencement des nuages dans le but d’améliorer la sécurité de l’eau. Le Programme de Recherche des Émirats Arabes Unis pour la science de l’amélioration de la pluie dispose désormais de six avions consacrés à l’ensemencement des nuages et de 1,5 million de dollars de subventions pour la recherche et l’innovation dans ce domaine.
« La stimulation des nuages pourrait constituer un complément viable et rentable aux réserves d’eau existantes dans les régions arides et semi-arides », indique le site du programme, qui précise que les Émirats arabes unis s’efforcent d’être à la pointe de cette technologie.
Depuis des années, la chaîne YouTube du Centre national de météorologie (NCM) des Émirats arabes unis met fréquemment en ligne des vidéos de pluies torrentielles dans le pays, et la récente vague de chaleur ne fait pas exception. Les vidéos contiennent souvent très peu d’informations, seulement la date, le lieu et le type de temps. La chaîne diffuse également des vidéos expliquant le programme d’ensemencement des nuages du pays. Le NCM a récemment publié de nombreux tweets signalant des pluies dans la région avec le hashtag #cloud_seeding.
Les médias en ont conclu que le programme d’ensemencement des nuages des Émirats arabes unis était apparemment une réussite et que le pays avait recours à des orages artificiels pour lutter contre la canicule. Contacté pour une demande de commentaire, un porte-parole du NCM nous a dit que le pays n’avait pas ensemencé de nuages la semaine dernière, mais que « le processus est régulièrement enclenché lorsqu’il y a des nuages ensemençables, et ce, n’importe quel jour de l’année ».
Si les pluies torrentielles qui se sont abattues sur le pays la semaine dernière sont devenues virales, Adel Kamal, spécialiste des médias pour le NCM, affirme que ces événements étaient loin de sortir de l’ordinaire.
« Le problème de la sécurité de l’eau dans les EAU est considéré comme l’un des plus gros défis à venir, explique Kamal. Le Centre national de météorologie dispose d’une infrastructure remarquable pour mener à bien des opérations d’ensemencement des pluies au niveau de l’État, ainsi que de la première usine de production de fusées d’ensemencement des nuages de haute qualité. »
Bien que les Émirats arabes unis investissent massivement dans la création régulière de pluies torrentielles artificielles là où il n’y en aurait pas autrement, l’efficacité de l’ensemencement des nuages fait encore débat.
Si la modification des conditions météorologiques a été interdite par le passé dans des États comme la Pennsylvanie, d’autres régions des États-Unis ont accueilli cette pratique en période de sécheresse. Actuellement en proie à une sécheresse de plusieurs décennies, la pire que le monde ait connue depuis 1 200 ans, des États du sud-ouest comme l’Utah, la Californie, le Texas et l’Arizona ont adopté l’ensemencement des nuages depuis des années en raison de la diminution du manteau neigeux et des précipitations.
Mais la question de savoir si la stimulation des nuages fonctionne réellement ne fait pas l’objet d’un consensus scientifique. D’une part, il est impossible de déterminer la causalité dans les schémas météorologiques sans variable de contrôle ; les scientifiques ne peuvent pas tester le comportement d’un nuage s’il n’avait pas été ensemencé, et ne peuvent donc que supposer que la hausse des précipitations après l’encemensement est due à cette technique.
« Le problème avec l’atmosphère est que vous ne pouvez jamais faire une expérience contrôlée. Vous ne pouvez jamais dire ce qui se serait passé en toute certitude si vous n’aviez pas ensemencé une zone », expliquait en 2019 à WIRED Paul Connolly, chercheur au département des sciences de la terre et de l’environnement de l’université de Manchester.
Mais d’autres estiment que nous pourrons bientôt confirmer la fiabilité de cette méthode de manipulation du temps. Katja Friedrich, spécialiste de l’atmosphère à l’université du Colorado à Boulder, ne croyait pas à l’ensemencement des nuages jusqu’à ce qu’elle l’expérimente elle-même, en comparant la trajectoire d’un avion pulvérisateur avec celle de minuscules gouttelettes d’eau qui ont commencé à tomber après avoir été captées par un radar.
Les juridictions qui ont adopté l’ensemencement des nuages font souvent l’éloge de cette pratique qu’elles jugent efficace et respectueuse de l’environnement. Julie Gondzar, cheffe de projet au Wyoming Water Development Office, a déclaré au Guardian en mars que l’État avait déterminé que « l’ensemencement des nuages fonctionne et constitue un moyen efficace d’aider les zones frappées par la sécheresse, sans impact négatif sur l’environnement ».
Quelques études font écho à ce constat, même s’il est bien connu que l’argent, à certaines concentrations et dans certains composés chimiques, peut être toxique pour les organismes aquatiques. Mais une étude menée en 2021 sur les niveaux de pollution par les aérosols dans 20 régions des Émirats arabes unis a révélé des concentrations plus élevées de matières particulaires (PM) – de minuscules gouttelettes de polluants qui peuvent pénétrer dans les poumons et provoquer une irritation pulmonaire ou une maladie respiratoire à long terme – dans les régions qui avaient récemment subi un ensemencement de nuages. Les chercheurs ont attribué les différences régionales dans les volumes de PM aux conditions météorologiques et à l’activité industrielle.
En 2019, les Émirats arabes unis ont mené au moins 185 opérations d’ensemencement des nuages, rapportait alors WIRED. La fin de l’année a été marquée par des « pluies torrentielles » et des inondations qui ont bloqué la circulation dans les rues, les quartiers et les centres commerciaux. À l’époque, un porte-parole du NCM a nié avoir créé ces inondations auprès de WIRED. Selon Gulf Today, le NCM a effectué 126 vols d’ensemencement de nuages en 2021 jusqu’à présent. « Nous ne faisons qu’augmenter la quantité de pluie ; nous ne créons pas d’inondations », affirme Sufian Farrah, météorologue et expert en ensemencement de nuages.
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