honte de grossir quarantaine
Photo de Zackary Drucker pour The Gender Spectrum Collection
Santé

Arrêtez de faire des blagues sur la prise de poids en confinement

J’ai eu des troubles alimentaires et cette quarantaine est déjà assez dure comme ça, n’en rajoutez pas avec des blagues grossophobes.
Giorgia Cannarella
Bologna, IT

La pandémie de coronavirus est dans toutes les conversations. Elle a forcé des millions de personnes à rester chez elles et a profondément transformé notre façon d’appréhender le monde. Mais même si actuellement le Covid-19 est notre problème majeur, il n’anéantit pas toutes les autres difficultés de la vie. En période de confinement, les personnes qui ont des troubles alimentaires sont particulièrement vulnérables. En France, cela concernerait 10 % de la population. Le confinement peut faire resurgir des mauvaises habitudes et déclencher des comportements dangereux.

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Dans ma région, en Italie, 3 millions de personnes ont des troubles alimentaires, dont 96 % de femmes. Et en mars dernier, quand le système de santé italien croulait sous le poids de la crise du coronavirus, la Journée nationale de sensibilisation aux troubles de l’alimentation est passée inaperçue.

Le même jour, le rappeur Italien Fedez a publié un montage photo sur sa page Instagram de 9,5 millions d’abonnés, le montrant lui et sa femme Chiara Ferragni, influenceuse et styliste, photoshopés avec 25kg de plus. C'était une blague sur la prise de poids en confinement. Des centaines de personnes ont trouvé ça très drôle, mais beaucoup ont été outrées. Fedez s’est par la suite défendu en disant que c’était de l’autodérision.

Malheureusement, depuis quelques semaines, les blagues grossophobes ont envahi le web. Les réseaux sociaux sont inondés de photos de plats hypercaloriques et de conversations parlant de la peur de ne pas pouvoir « résister à l’appel du frigo ». Ces publications semblent innocentes mais elles révèlent que, même en tant de pandémie mondiale, on a peur de grossir.

Veronica Bignetti, diététicienne spécialiste des troubles de l’alimentation, souligne que la peur de grossir vient des stéréotypes sur les personnes en surpoids. On les associe à de personnes voraces et paresseuses. « Nous devons redonner une connotation neutre au mot "gros", explique-t-elle, et surtout comprendre qu’en matière de poids, ce n’est pas une question de volonté ou d’habitude : l’environnement et la génétique jouent un rôle bien plus important qu’on ne le pense. »

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« Ne cédez pas à la tentation de commencer un nouveau régime alimentaire juste parce que vous en avez le temps. Le dysfonctionnement de notre relation avec la nourriture est une pendule qui oscille entre la restriction et la perte de contrôle » – Veronica Bignetti, diététicienne

En tant qu’ancienne anorexique, je peux vous assurer que ce genre de blagues n’aide pas ceux qui souffrent de troubles alimentaires. Il y a beaucoup de publications sur les réseaux sociaux où on nous montre « condamnés » à être gros. Non seulement ça me met mal à l’aise, mais ça me fait même peur. J’ai l’impression d’être la seule à ne pas trouver ça drôle.

Quand j’ai appris que je devais rester confinée, j’ai immédiatement supprimé mon application de compteur de pas. D’habitude, je marche tout le temps et tire une grande satisfaction d’atteindre mes 15 000 pas journaliers. Je m’étais attachée à ce score, et je savais qu’il serait difficile de ne pas le voir s’afficher à la fin de la journée. Les premiers jours ont été difficiles : j’étais enfermée avec mon copain, dont les habitudes alimentaires sont très différentes des miennes. Il mange les mêmes repas, des pâtes presque tous les jours et des bières presque tous les soirs. En résumé, il entretient une relation saine avec la nourriture et ne se prend pas la tête avec.

Au bout de quatre jours, j’ai pété un câble. Je ne me reconnaissais pas dans le miroir – j’y voyais une personne grosse, flasque, au visage bouffi. Je pensais en permanence à la nourriture, aux calories et à comment garder la situation sous contrôle. Les personnes ayant des antécédents de troubles de l’alimentation savent combien un brusque changement de leurs habitudes sportives et alimentaires peut être effrayant et déstabilisant, et que cela peut réveiller des spirales familières.

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Par chance, je suis avec quelqu’un qui sait comment me soutenir dans ce genre de situations, qui sait comment me ramener à la réalité et m’empêcher de reprendre mes mauvaises habitudes. Je fais de l’exercice tous les jours pour rester en forme physique et mentale. J’essaie aussi de m’autoriser à apprécier ces moments avec mon copain, en nous offrant de bons dîners, en buvant du bon vin, et en commandant à emporter. Mais tout le monde ne peut pas faire ça. « La situation est difficile pour ceux qui ont des troubles de l'alimentation, en particulier de boulimie ou d’obésité morbide », lance Veronica Bignetti. Son premier conseil pour affronter le confinement est de poursuivre à distance toute thérapie en cours, par appel vidéo ou par téléphone. « Et ne cédez pas à la tentation de commencer un nouveau régime alimentaire juste parce que vous en avez le temps, ajoute-t-elle. Le dysfonctionnement de notre relation avec la nourriture est une pendule qui oscille entre la restriction et la perte de contrôle. » Avec ses patients, Veronica Bignetti suit une approche anti régime et se focalise plutôt sur le principe d’une alimentation consciente qui normalise le plaisir de manger et reconnecte avec le corps.

La santé ne se résume pas à quelques chiffres sur une balance. L’idée qu’être "gros" signifie avoir des problèmes de santé est non seulement inquiétante, mais également incorrecte. « La santé est un concept très large, à multiples facettes, et même si une personne adopte un mode de vie déséquilibré, en aucun cas cela ne donne le droit de se moquer de son corps. »

Cette période de confinement pourrait être le moment de cultiver l’empathie plutôt que de faire des blagues qui aggravent le « problème de taille » de ces personnes. Ça pourrait être le moment de prendre soin de soi, sans se sentir coupable de changer d’habitudes alimentaires. C’est le moment de cuisiner de bons petits plats. Car après tout, quand nous pourrons enfin serrer notre famille et nos amis dans nos bras, ils se ficheront pas mal de nos kilos en trop.

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