Het Pand Gand squat
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Société

Le squat de Het Pand à Gand relance le débat sur la crise du logement

À moins d’avoir des thunes qui débordent de votre compte en banque, il est désormais impossible de trouver un logement abordable à Gand.
Brecht Neven
Ghent, BE

Dans notre série Occuper pour résister, on s'immerge dans des lieux occupés pour tenter de comprendre comment les gens s'organisent et militent pour leurs droits.

Het Pand, c’est le surnom donné à la deuxième cour intérieure de l'ancien couvent des Carmes dans le Patershol de Gand. Depuis le 1er mai de cette année, un groupe de squatters, les Pandemisten, ont résisté aux différents projets de vente que mène la ville de Gand. Jusqu'à la fin de l'année dernière, le monastère était occupé par des logements sociaux. Selon ses propriétaires, la province de la Flandre orientale et la société de logement WoninGent, le bâtiment est en trop mauvais état pour être rénové. À la suite d'une décision de justice, les militant·es ont finalement dû quitter le monastère le mardi 7 décembre dernier. 

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Quand on arrive sur les lieux quelques jours plus tôt, l'ambiance est morne. Les chambres se vident petit à petit, les quelques âmes restantes se blottissent autour du feu de camp le temps de faire le bilan de ces six derniers mois. « Le bâtiment répondait aux besoins des personnes dont la société ne veut pas : des artistes, des militant·es et des sans-papiers vivaient ici », avancent les gens avec qui on discute.

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Il y a 40 ans, Gand avait déjà vécu une lutte héroïque pour Het Pand. À l'époque, l’endroit était habité par une population principalement gantoise, à faibles revenus, composée d'étudiant·es et d'artistes. Le Gand des années 1970 et le Gand d'aujourd'hui sont incomparables. La classe moyenne haute a désormais quitté le coin et le Patershol est dans un état de délabrement. Et voilà que la province a eu l'idée de transformer le bâtiment en hôtel.

Dans les années 1970 donc, Het Pand avait été occupé pendant plus de deux ans par les résident·es soutenu·es par un collectif de squatters et d'étudiant·es. En 1981, une dure confrontation avec les autorités de la ville de Gand a eu lieu, ce qui a permis au Front de la Résidence Pandémiste de gagner en crédibilité : des milliers de personnes s’étaient alors rassemblées pour défendre la cause. Le libéral Guy Verhofstadt avait même participé à une manif aux côtés des dirigeants du parti communiste (KP). Het Pand avait finalement été transformé en logements sociaux.

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Malgré tout, quarante ans plus tard, Het Pand est donc vendu. Après l'expulsion, les habitant·es de Gand ont un an pour réfléchir à leur porte de sortie. « Aujourd'hui, la participation citoyenne existe, mais uniquement quand il est question de bacs à fleurs et de pistes cyclables, explique Simon Clement, porte-parole des militant·es. L'argent et le snobisme règnent en maître quand on parle du droit de vivre. Juste avant l'hiver, on nous jette à la rue et le conseil municipal ferme les portes des seuls logements abordables. »

La crise du logement…

Le lundi 6 décembre, la veille de l'expulsion, les squatters et leurs sympathisant·es ont manifesté dans les rues de Gand. « Vive les squats ! Des toits, pas des promesses ! » ou « Loyers, trop chers ! » faisaient partie des slogans les plus scandés. Le ras-le-bol des Gantoi·ses est clair, les militant·es ont le sentiment de ne pas être écouté·es et d'être poussé·es hors de la ville : « Je trouve ça effrayant que plus tard, je ne pourrai peut-être plus vivre dans ma propre ville. C'est une décision insensée de la part de la ville de vendre ses biens publics pour se faire du fric », dit Jasper, un étudiant qui a participé à l'occupation de Het Pand depuis les débuts.

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Qui pourrait leur donner tort ? En Belgique, il y a une énorme pénurie de logements sociaux. En 2019, le logement social représentait seulement 5,4% du marché total du logement, ce qui est très peu par rapport au reste de l'Europe. La France en compte 16%, les Pays-Bas 29,1%. En Allemagne, la situation est encore pire, avec seulement 3% de logements sociaux. Récemment, des militant·es à Berlin ont imposé un référendum au gouvernement. Plus de la moitié des participant·es ont exigé que la ville exproprie les grands investisseurs privés de l’immobilier.

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L'idée que la participation citoyenne soit un slogan vide de sens pour la municipalité de Gand est également très présente au sein des manifestant·es : « La question fondamentale, de savoir si les citoyen·nes veulent réellement vendre Het Pand ne s’est pas posée. Il s'agit, bien entendu, d'une participation fictive. De plus en plus de terrains publics sont vendus, la ville va perdre son mot à dire sur ce qui fait Gand », explique Jorik De Wilde lors de la manif. De Wilde a récemment été diplômé en urbanisme et lui aussi est impliqué dans Het Pand depuis le début de l'occupation.

Pascal Debruyne est politologue et chercheur à Odisee Hogeschool. Il est est d'accord avec la critique formulée par les squatters : « Les pandemistes veulent savoir : quel type de participation ? Pourquoi un acteur privé doit-il être impliqué ? Het Pand va maintenant être vidé de ses habitant·es et restera comme ça pendant un an. C'est fatal. Pourquoi ne pas créer une asbl avec les pandemistes pour agir comme une sorte de gardien du bâtiment pendant cette année ? Il est clair que le bâtiment n'est plus adapté à une vie sur le long terme, mais c'était l'endroit idéal pour une sorte de lieu de transit pour des personnes vulnérables. »

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Cet été, WoninGent a proposé aux militant·es un contrat de trois mois pour la réaffectation temporaire des biens vides. Comme vous n'êtes pas vraiment autorisé·es à rester là dans de telles conditions, les pandemistes ont rejeté la proposition. Une occasion manquée selon Debruyne : « Il aurait été préférable que les deux parties s’entendent », dit-il. Emiel, qui étudie les arts visuels à Sint-Lucas et participe à l’occupation depuis le début, poursuit : « Malgré tout le bien qu'on peut penser de cette lutte : on n'est pas écouté·es, et c’est quelque chose qui nous épuise complet. On n’a plus d’énergie. Le groupe, qui était principalement composé d'étudiant·es en art, s'est réduit et seul le noyau militant est resté. »

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… et la réglementation du marché

En Flandre, 169 096 personnes étaient inscrites sur une liste d'attente pour un logement social en 2020.  Selon les expert·es, la proportion de locataires qui ont légalement droit à un logement social est en réalité beaucoup plus élevée. 47% de tou·tes les locataires privé·es flamand·es y auraient théoriquement droit, soit parce que leur logement actuel est en très mauvais état soit parce que ces personnes paient plus de 30% de leur revenu en loyer. 47% sur le total des locataires, c’est environ deux fois plus que l'ensemble des personnes figurant sur la liste d'attente actuelle.

Forcément, ça crée une pression et une concurrence énorme sur le marché de la location. « WoninGent n'est pas l’ennemi juré, eux aussi sont dans l'étau financier du gouvernement flamand, ajoute Jorik lors de la manif. C’est frustrant que la ville et WoningGent s’accusent mutuellement pour cette situation. » Pour les familles, les jeunes et les travailleur·ses, il est donc de plus en plus difficile de trouver un logement abordable à Gand. Pour une maison de ville, vous paierez en moyenne 879 euros en 2020, contre 779 en 2018. Pour les appartements, la moyenne passe de 746 à 811 euros sur la même période.

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« Gand est confrontée à une énorme crise du logement ; il y a actuellement plus de 11 000 familles sur liste d'attente pour un logement social, ajoute Debruyne. Selon le dernier recensement, plus de 2 000 personnes environ sont sans abri. » Le problème va au-delà de Gand ou même de la Flandre. La surchauffe du marché de la location est un problème européen. Une génération entière risque de devenir le toutou des spéculateurs et d'une inflation croissante. À Amsterdam et à Berlin c’est pareil, il y a beaucoup d'actions qui luttent contre ça. Vous pouvez ne pas être d'accord avec leurs modes d'action, mais le fond de leur argument reste le même : le droit au logement est universel.

Les pandémistes de Gand s'arrêtent là pour l'instant : « Depuis 750 ans, 't Pand est un bien public, mais aujourd'hui, les résident·es, dont quatorze sans-papiers et quatre sans-abri, sont expulsé·es, et ce juste avant l'hiver. Si on reste plus longtemps, on peut s’attendre à de lourdes amendes. Et on peut pas se le permettre. » 

Sarah De Laet, experte du marché du logement, explique aux micros de Bruzz que la politique belge se concentre principalement sur les propriétaires, car 60% de la population est propriétaire. Selon elle, cette stratégie ne fonctionne jamais pour tout le monde, et certainement pas dans les grandes villes. Réglementer le marché du logement, geler les prix comme à Berlin ou lier le loyer maximum à la qualité du logement, ce qui est envisagé à Paris, pourraient être de réelles solutions, dit-elle.

Lorsque je demande à l'une des militantes pendant le nettoyage quel sera le prochain plan d’action, elle me répond : « Les gens se concentrent toujours sur un seul bâtiment, mais même s'il est nettoyé maintenant, le mouvement continuera à se battre. Tant que les gouvernements ne prendront pas le problème par les cornes, les squats continueront. »

Le lendemain de la manif, la police de Gand a déclaré à HLN qu'elle n'avait jamais vu un squat aussi bien rangé : « Toutes les ordures avaient disparu, et tous les déchets étaient soigneusement rangés dans des sacs et dans des conteneurs. Ils ont quitté le bâtiment d’eux-mêmes. »

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