œuvres du Bénin exposées au quai Branly
Des œuvres du Bénin exposées au quai Branly. GERARD JULIEN/AFP via Getty Images 
Société

Avec l’activiste qui se bat pour la restitution du patrimoine africain

Mwazulu Diyabanza a passé l'été 2020 à réclamer des œuvres d'art africain dans les musées européens.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Dans le film Black Panther de Ryan Coogler, il y a une scène saisissante où le personnage d'Erik Killmonger, incarné par Michael B. Jordan, se rend au « Museum of Great Britain » à Londres dans l’espoir d’y récupérer des artéfacts du Wakanda. Il fait part de ses intentions à la conservatrice du musée qui s’y oppose. « Ces objets ne sont pas à vendre », lui dit-elle. « Comment vos ancêtres les ont-ils eus ? répond Killmonger. En payant un prix décent ? Ou en se servant, comme pour le reste ? »

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Si le Killmonger fictif meurt à la fin du film, le vrai Killmonger, lui, est bien vivant : Mwazulu Diyabanza a passé l'été 2020 à réclamer des œuvres d’art africain dans les musées européens. En juin, il a récupéré une statue au musée du Quai Branly à Paris. En juillet, c’était une épée du Musée d’Arts africains, Océaniens Amérindiens (MAAOA) à Marseille. Et il y a quelques semaines, il a pris une statue congolaise de l’Afrika Museum à Berg en Dal aux Pays-Bas. « Je ne pense pas être comme Killmonger, c'est un personnage de fiction, confie Diyabanza. Nos approches sont compatibles. Mais, moi, je suis capable de m'en sortir sans tuer des gens, et je sais être efficace dans mes actions. »

Diyabanza et ses acolytes ont retransmis en direct leurs activités sur Facebook pour dénoncer le vol colonial. Ils ont été appréhendés par la sécurité du musée à chaque fois, mais leur objectif, en plus de récupérer ces objets importants, est de « faire passer un message à ceux qui ont perpétré des violences macabres, des viols et des meurtres, et de leur faire savoir qu'ils n'ont pas gagné. Ces objets ne leur appartiennent pas, pas plus qu'à nous. »

Ces enjeux sont également personnels pour Diyabanza. Sa famille est originaire de la République démocratique du Congo, et sa mère était membre de la famille royale depuis le XVe siècle. Son grand-père, dit-il, était le gouverneur de la province de Mpangu et, en l'absence du roi, il était aux commandes. Pendant le mandat de son grand-père, Diyabanza raconte que des Européens sont arrivés et ont volé des objets d'art à leur communauté. Ces objets étaient dans la tradition familiale, parmi lesquels un chapeau fait de multiples peaux d'animaux, une canne complexe, un bracelet Lemba en cuivre et une peau de léopard portée lors de rituels qui honoraient les ancêtres. Diyabanza a passé des années à essayer de retrouver ces objets, et pense en avoir localisé quelques-uns dans des musées du monde entier.

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« Nous œuvrons pour que les troupes étrangères, notamment françaises, soient retirées du sol africain. Nous voulons supprimer les vestiges du colonialisme comme le franc CFA, et nous voulons supprimer l'assistance technique, l'aide et la coopération au développement telles qu'elles sont menées par les pays occidentaux » – Mwazulu Diyabanz

D’ailleurs, il affirme avoir vu le bracelet de son grand-père à l'Afrika Museum aux Pays-Bas. « On parle de ces objets de génération en génération. Le fait d'être là et de voir le bracelet était extrêmement émouvant. J'étais triste de voir un bien qui m'appartient dans les mains d'autres personnes, un bien qui a été pris par la violence et la brutalité, puis mis en exposition. »

Le bracelet Lemba, traditionnellement en cuivre ou en or, est gravé du profil d'une personne. Bien qu'il existe plusieurs de ces bracelets, Diyabanza dit qu'ils sont tous uniques et que les différentes gravures symbolisent l'autorité, la sagesse ou différentes vertus. Aujourd'hui, on trouve différents bracelets Lemba dans les musées du monde entier, du World Museum de Liverpool au Brooklyn Museum de New York. Selon Diyabanza, le bracelet de l’Afirka Museum était dans un étui en verre, c'est pourquoi il ne l'a pas pris – le musée n'a pas répondu à nos demandes répétées de commentaires. Il ne prévoit cependant pas de demander une permission de sitôt. « J'ai le droit de reprendre ces œuvres d'art sans demander, dit-il. Vous ne demandez pas aux voleurs si vous pouvez récupérer vos biens volés. »

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Diyabanza est le porte-parole international de l'Unité Dignité Courage, une organisation panafricaine qui, selon lui, compte des milliers de membres et de sympathisants dans le monde entier. Inspiré par Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Steve Biko, Martin Luther King Jr, Malcom X, Marcus Garvey, et Winnie Madikizela-Mandela, le but du groupe, selon Diyabanza, est « la libération totale ». Diyabanza partage son temps entre Paris et Lomé, au Togo. Il aide le groupe à planifier des campagnes, au-delà du rapatriement de l'art : « Nous œuvrons pour que les troupes étrangères, notamment françaises, soient retirées du sol africain. Nous voulons supprimer les vestiges du colonialisme comme le franc CFA, et nous voulons supprimer l'assistance technique, l'aide et la coopération au développement telles qu'elles sont menées par les pays occidentaux. » Ils veulent également contribuer à la révision et à la décolonisation du matériel éducatif à travers le continent, et ont commencé à y travailler dans leur centre à Lomé.

Aujourd'hui, Diyabanza et ses collègues doivent faire face à trois procès au cours des quatre prochains mois en France et aux Pays-Bas, ainsi qu'à une éventuelle peine de prison. « Ils utilisent une action radicale pour attirer l'attention sur un problème que les musées et les autorités européennes et américaines préféreraient voir disparaître afin de pouvoir revenir à un statu quo injuste et honteux, dit le professeur Chika Okeke-Agulu, professeur d'art africain et de diaspora africaine à l'université de Princeton. J’espère que les musées concernés comprennent l'intérêt de ce type d'activisme. »

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En réponse aux actions de Diyabanza à Paris, le ministre de la Culture Franck Riester a déclaré aux journalistes qu'il « condamne avec la plus grande fermeté ces actes qui portent atteinte au patrimoine… Si le débat sur les restitutions d’œuvres issues du continent africain est parfaitement légitime, il ne saurait en aucun cas justifier ce type d'action ».

« La lutte contre le racisme se fait en surface mais ne s'attaque pas à la racine du problème, à savoir la domination coloniale » – Mwazulu Diyabanza

Les questions relatives à la restitution des œuvres d'art volées hantent les musées depuis des décennies. Toutefois, si les musées du monde entier ont récemment exprimé leur solidarité avec le mouvement Black Lives Matter, de nombreuses institutions n'ont pas encore fait face à leur propre culpabilité concernant le vol d'art africain. Pour Diyabanza, ces manifestations de solidarité, bien que louables, ne sont pas sincères : « La lutte contre le racisme se fait en surface mais ne s'attaque pas à la racine du problème, à savoir la domination coloniale. »

Le British Museum, l'un des plus grands musées d'Europe, est l'une de ces institutions. Le musée a été critiqué par des militants car il détient les bronzes du Bénin, un ensemble de plaques de laiton pillées dans l'actuel Nigeria par l'armée britannique à la fin du XIXe siècle. Le musée possède 69 000 objets africains, mais il est loin d'être le seul.

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Le Musée royal de l'Afrique centrale en Belgique compte 180 000 objets africains. Le Forum Humboldt, en Allemagne, en compte 75 000. Le musée du quai Branly en revendique 70 000. Un rapport de 2018, commandé par le président Emmanuel Macron et réalisé par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, a révélé sans surprise que jusqu'à 90 % de l'art de l'Afrique subsaharienne se trouve en dehors de l'Afrique. L'étude, intitulée rapport Sarr-Savoy, a conclu que ces objets devraient être retournés dans leur pays d'origine.

La restitution du patrimoine africain n'est pas sans précédent ; un sabre ayant appartenu à Omar Saidou Tall, un souverain du Sénégal, a été rendu par la France lors d'une cérémonie émouvante en 2019. La France a également déclaré qu'elle restituerait 26 objets – sur les milliers réclamés par le Bénin – du musée du quai Branly au pays d'ici 2021. La Belgique a récemment rendu la dent du leader congolais assassiné Patrice Lumumba à la famille de celui-ci, et la dépouille de Saartjie Baartman, une femme khoïsan enlevée et exhibée par la France pour son large postérieur au XVIIIe siècle, a été restituée à l'Afrique du Sud après des demandes répétées en 2002.

L'Allemagne a promis qu'elle se pencherait également sur la question de la restitution, et a élaboré des lignes directrices en 2019 pour le rapatriement des objets volés. Parmi ces objets figurent des restes humains provenant du génocide des Héréros et des Namas en Namibie au début du XXe siècle, où les soldats allemands ont massacré des dizaines de milliers de personnes. Les musées des Pays-Bas se sont également dits intéressés par le rapatriement des objets d'art, et l’Afrika Museum, dernier site en date des actions de Diyabanza, a indiqué en 2019 qu'il était favorable à la restitution des objets volés. Malgré ces appels à l'action, il reste encore à voir si la plupart de ces pièces seront effectivement restituées à leur pays d'origine.

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Quoi qu'il en soit, les discussions sur la décolonisation des musées et la restitution ne sont « plus un murmure de fond », selon Okeke-Agulu. Au contraire, « l'intervention très médiatisée du président Macron, la couverture donnée par le rapport Sarr-Savoy et la pression insistante des intellectuels africains, des gouvernements et des agences gouvernementales, ainsi que les discussions sur les réseaux sociaux ont fait de la restitution le plus grand problème auquel sont confrontés les grands musées européens et américains aujourd'hui ».

Dans l'enfer de la colonisation

Les appels au dédommagement ont également résonné en dehors du monde de l'art : au cours des derniers mois, plusieurs pays d'Afrique ont commencé à demander des compensations aux oppresseurs coloniaux. La Namibie a récemment refusé une offre de l'Allemagne, la jugeant « inacceptable ». En août, le Burundi a demandé 43 milliards de dollars de réparations à la Belgique et à l'Allemagne. La République démocratique du Congo a demandé des réparations à la Belgique à la lumière des récentes « excuses » du roi Philippe de Belgique pour des décennies de régime colonial violent.

Diyabanza reconnaît qu'il pourrait y avoir des défis à relever lorsque l'art africain rentrera enfin chez lui. Mais cette conversation « aura lieu en Afrique et avec les Africains. Cet art appartient et a appartenu à des familles, des dynasties, des clans, des villages et des personnes à travers le continent. Un dialogue doit avoir lieu pour comprendre à qui cet art doit être rendu. Nous appelons la diaspora africaine à se joindre au mouvement, mais aussi les Occidentaux. C'est une question d'éthique et de justice, et nous ne pouvons pas laisser gagner les personnes qui ont perpétré une telle violence ».

Diyabanza est optimiste face aux procès à venir. « Je me rends à ces procès tout en sachant que c'est une injustice et un moyen d’oppression, dit-il. Je suis serein. »

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