Drogue

L’étrange paralysie provoquée par les champignons hallucinogènes

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Les champignons hallucinogènes comptent parmi les drogues récréatives les plus sûres. Selon une enquête menée auprès de plus de 12 000 personnes ayant consommé des champignons en 2016, à peine 0,2 % ont déclaré avoir eu besoin de soins médicaux d’urgence. Ce taux est cinq à six fois inférieur à celui du LSD, de la cocaïne, de la MDMA et de l’alcool, et trois fois inférieur à celui du cannabis.

Mais il y a toujours des paramètres atypiques. Ces dernières années, on a signalé que certaines espèces de champignons présentes dans le monde entier provoquaient un effet secondaire étrange et terrifiant, connu sous le nom de « paralysie des amoureux du bois », ou WLP pour
« wood-lover paralysis » en anglais, lorsqu’une personne souffre d’une faiblesse musculaire ou d’une perte complète de la fonction motrice plusieurs heures après l’administration de la dose.

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Nous avons parlé avec plusieurs consommateurs qui en ont fait l’expérience pour mieux comprendre. Ils souhaitent tous, et c’est compréhensible, rester anonymes. « J’ai fait pipi au lit parce que j’étais complètement paralysé », se souvient un consommateur. « Mes jambes se déformaient sous moi. C’était vraiment comme dans le Loup de Wall Street, quand il essaie de conduire une voiture », se rappelle un autre. Un troisième consommateur, qui se trouvait seul sur une promenade lorsque les effets se sont fait sentir, raconte : « Au début, je rigolais un peu en pensant que c’était drôle, mais ça a évolué très vite, en quelques minutes, et j’ai eu du mal à rester debout. J’avais du mal à tenir un téléphone et même à garder la tête haute par moments. » Il a appelé sa femme et a été rapidement conduit à l’hôpital.

Chacun de ces récits de trip, bien que remarquablement similaires, brosse un tableau qui ne correspond pas tout à fait aux récits plus typiques de l’expérience psychédélique. Que se passe-t-il donc exactement ici ? La réponse est que nous ne savons pas vraiment. Au fil des ans, les chercheurs ont formulé un certain nombre d’hypothèses, basées sur des preuves anecdotiques et des extrapolations scientifiques, afin de tenter d’expliquer ce phénomène étrange et peu compris. Aucune d’entre elles n’est allée très loin.

Qu’est-ce que la WLP ?

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Un cluster de psilocybes suberuginosa : un puissant champignon psychédélique que l’on trouve en Nouvelle-Zélande. Photo : Tannar Coolhaas

La paralysie des amoureux du bois est appelée ainsi parce qu’elle semble être causée exclusivement par des champignons qui poussent sur le bois. L’effet a été le plus souvent associé à trois espèces de champignons : Psilocybe azurescens, Psilocybe cyanescens et Psilocybe subaeruginosa.

Ces espèces sont parmi les champignons les plus puissants du monde en raison de leur forte teneur en psilocybine. P. azurescens et P. cyanescens se trouvent principalement sur la côte ouest des États-Unis tandis que P. subaeruginosa se trouve généralement dans le sud de l’Australie et en Nouvelle-Zélande. Ils sont difficiles à cultiver en intérieur et sont donc généralement cultivés en extérieur. Ils sont si étroitement apparentés qu’il n’est pas du tout évident qu’il s’agisse d’espèces distinctes.

« Je pensais que je n’allais plus me réveiller. Mes mains étaient comme des griffes et ma mâchoire semblait être sur le côté de mon visage » – un consommateur de champignons

En règle générale, la WLP est une paralysie musculaire partielle ou complète du corps qui semble survenir quelques heures après un trip aux champignons. Les consommateurs déclarent d’abord ressentir une faiblesse des muscles du visage, mais elle peut aussi commencer aux extrémités, aux pieds ou aux mains. Pour certains, elle reste relativement mineure, mais d’autres ont constaté qu’elle peut s’étendre à tout leur corps, les laissant incapables de faire autre chose que de s’allonger sur le sol, totalement incapables de bouger, pendant plusieurs heures.

Bien qu’il y ait eu quelques rapports de difficultés respiratoires, cela ne semble pas fréquent. Des consommateurs ont également fait état d’une faiblesse musculaire résiduelle le lendemain, qui se résorbe généralement sans effets à long terme.

Quelle en est la cause ?

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La calotte conique brune d’un psilocybe subaeruginosa : un puissant champignon psychédélique que l’on trouve en Australie et en Nouvelle-Zélande. Photo : Tannar coolhaas

Il n’y a actuellement aucune explication scientifique à ce qui se passe ici, ni aucune recherche en cours sur le phénomène. Parmi les mycologues que nous avons contactés pour ce reportage, c’est-à-dire des personnes spécialisées dans l’étude des champignons, aucun n’était au courant de la maladie WLP ou ne pouvait donner d’explication.

Elle a d’abord été portée à notre attention par les rumeurs et les rapports sur les forums et les réseaux sociaux de consommateurs inquiets cherchant des réponses à l’expérience inattendue qu’ils venaient de vivre. Ils repartent généralement avec plus de questions que de réponses.

Tout ce que l’on peut dire avec certitude, c’est que la WLP est peu commune, irrégulière et largement inconnue, même parmi les consommateurs expérimentés. De nombreuses personnes qui ont vécu l’expérience nous ont dit qu’elles n’avaient aucune idée de ce qui leur arrivait à ce moment-là et qu’elles étaient, à juste titre, assez effrayées.

Un consommateur que nous avons rencontré sur Facebook prenait des champignons depuis plus de 15 ans et n’avait jamais eu de problème lorsqu’il a été frappé par la WLP. « Je pensais que je n’allais plus me réveiller, se souvient-il. Mes mains étaient comme des griffes et ma mâchoire semblait être sur le côté de mon visage. » Il a essayé de s’endormir, mais il lui a fallu une heure pour parcourir les 200 mètres qui le séparaient de sa voiture, et quand il est arrivé, il ne pouvait même pas l’ouvrir. « Il n’y avait tout simplement aucune compréhension entre mon cerveau et mes mains, dit-il. Je savais ce que j’avais à faire mais mon corps ne voulait tout simplement pas le faire. »

La nature apparemment aléatoire de ce trouble ajoute encore au mystère. Symon Beck est un médecin qui s’intéresse à la WLP et l’un des administrateurs du populaire groupe Facebook Psychedelic Mushrooms of Australia and New Zealand (PMANZ). Récemment, Simon a publié une « annonce de sécurité publique » sur ce « phénomène potentiellement terrifiant » et se dit
« assez étonné » de la réaction à son post, qui compte maintenant des centaines de commentaires de personnes partageant leurs propres expériences. « Personnellement, je connais peu de personnes qui l’ont vécu, dit-il. Nous voulons juste avoir une idée de la fréquence de ce phénomène et des facteurs environnementaux qui interviennent là où les gens ont cueilli les champignons qui en sont la cause. »

Quelles sont les théories ?

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Photo : Tannar Coolhaas

Il n’existe que quelques articles en ligne offrant des explications théoriques sur la WLP, mais le principal candidat semble être une substance chimique appelée aeruginascin. Cette molécule peu connue fait partie d’une poignée d’alcaloïdes de la psilocybine : les produits chimiques naturels des champignons qui, pense-t-on, donnent à chaque espèce un effet psychoactif légèrement différent. Ironiquement peut-être, on commence aussi depuis peu à la présenter comme un remède contre les bad trips.

Selon le docteur Andrew Chadeayne, PDG de la société américaine CaaMTech, qui étudie les avantages potentiels de substances chimiques autres que la psilocybine dans les champignons psychoactifs, « il serait logique » que l’aeruginascin soit en cause en raison de sa similarité structurelle avec la bufoténine : une toxine présente dans certaines espèces de crapauds qui est connue pour causer la paralysie. « Ce sont des molécules vraiment similaires », convient le docteur Beck, ajoutant que selon son expérience, la WLP « ressemble à un bloqueur neuromusculaire ». Cela signifie que quelque chose arrête potentiellement les signaux envoyés par le cerveau aux muscles au point de contact des nerfs, tout comme la bufoténine le fait au niveau des récepteurs nicotiniques.

Lorsque nous exposons au docteur Cheadyne la théorie selon laquelle l’aeruginascin pourrait bloquer les récepteurs neuromusculaires, il répond en disant que « l’activité des récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine à la jonction neuromusculaire est parfaitement logique ». Il s’empresse toutefois de souligner que tout ceci est hautement spéculatif car il n’existe aucune étude qui montre la composition chimique totale des espèces de psilocybe.

Où cela nous mène-t-il ?

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Photo : Tannar Coolhaas

Tant que nous n’aurons pas fait de nouvelles recherches sur le mécanisme en jeu ici, il n’y a que des spéculations. Des recherches plus approfondies sur l’effet de l’aeruginascin sur le système neuromusculaire pourraient être essentielles pour expliquer le mystère de la WLP, et heureusement, les scientifiques ont pu cette année synthétiser cette substance chimique, ce qui la rend beaucoup plus facile à étudier.

La mise en évidence du mécanisme qui sous-tend la WLP pourrait également avoir une valeur au-delà de la réduction des risques. Comme le souligne le docteur Beck, le fait de pouvoir découvrir
« quelque chose qui peut causer la paralysie de tous les muscles squelettiques périphériques sans affecter la respiration » serait un game-changer dans l’anesthésie générale.

Du point de vue de la sécurité, il souligne que « les gens doivent être réellement conscients du caractère intermittent de la maladie et des risques que cela peut entraîner en termes d’accidents », mais note également que « le risque d’étouffement est la seule autre préoccupation majeure à laquelle je pense du point de vue de la santé ».

Psychologiquement, cependant, l’effet peut être traumatisant, un consommateur décrivant la nature aléatoire de la maladie comme une « roulette russe ». « J’aurais aimé être au courant de cette maladie avant que cela m’arrive, car je pense que cela aurait atténué l’anxiété, dit le docteur Beck. Personne n’a envie de rester assis pendant six heures à se convaincre qu’il va mourir. » En fin de compte, le meilleur conseil qu’il puisse donner est de simplement être conscient « que ces choses peuvent réellement arriver ». Dans l’éventualité où l’on se trouverait frappé par un cas de WLP, le Dr Beck suggère un exercice de prise de conscience. « Rassurez-vous : cela est déjà arrivé à d’autres personnes, et elles s’en sont toutes sorties. »

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