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Culture

L’art de photographier le seigneur des profondeurs

Quand il ne travaille pas à Hollywood, Michael Muller sillonne les océans de la planète à la recherche de leurs plus beaux squales.

© Requins. Rencontre avec le prédateur menacé des océans. Photos de Michael Muller (michaelmuller7 / mullerphoto.com) / TASCHEN. Images distribuées par CPi-syndication.

Quand il ne travaille pas avec les plus grandes stars d’Hollywood ou sur des projets caritatifs et n’est pas occupé à réaliser des affiches de films et des pubs, le photographe américain Michael Muller sillonne les océans de la planète à la recherche de leurs plus beaux squales.

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L’homme, né en 1970, qui vit et travaille à Los Angeles, s’est constitué au fil de ses voyages une très impressionnante collection de photos de requins. Sa passion pour l’océan et ces animaux a commencé très jeune : « J’ai déménagé en Arabie saoudite avec ma famille quand j’ai eu huit ans, explique-t-il. J’ai fait beaucoup de plongée sous-marine dans la mer Rouge et le golfe Persique. C’est là que ma passion pour la mer a vraiment commencé. Au même moment, on m’a offert mon premier appareil photo – un Weathermatic waterproof fabriqué par Minolta. »

De cette époque, le photographe se souvient d’un épisode qui a marqué ses camarades de classe et qui introduirait sa future carrière. Après être tombé sur une image de requin dans un magazine, le jeune Michael la prend en photo et fait croire à ses amis qu’il en est l’auteur. Alors qu’ils sont autant effrayés qu’impressionnés, Michael, se sentant coupable, avoue sa supercherie – tout en espérant un jour parvenir à faire de telles images.

Quand il rentre aux États-Unis, dans la région de San Francisco, Michael, devenu adolescent, se met au surf. « Il y avait beaucoup de grands requins blancs dans les coins isolés dans lesquels on allait, se souvient-il. Quand tu es surfeur, tu as toujours des images de requins dans le coin de la tête. J’avais à la fois une très grande peur et une fascination pour ces animaux. »

Il y a dix ans, en octobre 2006, alors qu’il est depuis devenu un photographe réputé d’Hollywood, sa femme lui offre l’occasion de se confronter à cette peur de jeunesse en l’emmenant en voyage sur l’île de Guadalupe, au Mexique. C’est à ce moment-là qu’il réalise que les requins n’étaient pas les monstres qu’il pensait et qu’il se prend de passion pour eux. Mieux : cette expérience fait office de révélation et de raison d’être pour Michael.

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Rapidement, lui vient alors l’idée de capturer les requins de la même façon qu’il travaille en studio avec ses modèles – « avec beaucoup de lumière, comme j’ai fait pour l’affiche du film Iron Man », explique-t-il. « Je ne pouvais pas amener un requin en studio, j’ai donc voulu déplacer le studio chez les requins. Malheureusement, aucun système de flashs ne permettait ça. Les seuls systèmes waterproof disponibles faisaient 400 watts. En collaboration avec la NASA et plusieurs spécialistes, j’ai développé une rampe brevetée et étanche de sept flashs de 1 200 watts. Ce studio waterproof est le plus évolué au monde et je suis le seul à travailler avec un tel dispositif. » Si, au fil des années et des plongées, les requins mordilleront des câbles et les structures d’installation, son système d’éclairage – qui fonctionne toujours – lui permettra de réaliser des photos sous-marines d’une qualité jusqu’alors inédite. Avec les dangers liés à l’électricité, l’imprévisibilité des sujets photographiés, la profondeur des eaux, les coûts élevés des expéditions – qu’il finance seul – et les risques de la plongée sous-marine, le pari semblait pourtant périlleux.

Étant donné que chaque type de requin est différent, le processus de chaque expédition n’est pas toujours tout à fait identique. « Quand j’ai commencé, avec les grands requins blancs, on était dans une cage avec l’éclairage – cela était nécessaire car on était huit sous l’eau, avec tout le matériel, les câbles, l’alimentation électrique, etc. Pour de nombreuses espèces, aucune protection n’est nécessaire. Utiliser une cage ne m’arrive d’ailleurs plus que quand on est à la surface avec des grands requins blancs. Ces animaux seront toujours bien plus effrayés de nous que nous ne le sommes d’eux », explique-t-il. Bien que sa seule arme soit son appareil, il ne s’est jamais fait mordre. Néanmoins, lui et son équipe – qui compte des spécialistes des requins, dont le réalisateur documentaire Morne Hardenberg – ont pu parfois faire face à des situations délicates. Notamment à Beqa, aux îles Fidji, où sont organisées pour les touristes des plongées avec des requins-bouledogues – l’une des espèces les plus dangereuses pour l’homme. Alors que la plupart des plongeurs assistent à leurs repas de loin ou depuis une cage, Michael a pu plonger au plus près de l’action. Quand le photographe s’est retrouvé face à six ou sept bêtes fonçant droit vers lui, il a eu à les repousser avec les mains pour les faire fuir. « À ma grande surprise, je n’ai pas eu peur. Je n’en dirais pas autant des anguilles à mes pieds », narre-t-il.

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Autre expérience parmi celles qui l’ont beaucoup marqué : cette fois où, en Afrique du Sud, il a été le premier à prendre en photo, de nuit, un grand requin blanc qui saute hors de l’eau pour attraper sa proie. Ou encore son expédition en compagnie de son ami Ben Stiller ou sa rencontre avec un requin-tigre de plus de quatre mètres – une espèce elle aussi réputée dangereuse –, qui a tourné autour de lui pendant dix minutes, alors qu’il était à genoux par 25 mètres de fond. « J’ai même pu lui caresser le ventre, comme mes filles me l’avaient demandé », dit-il. L’an dernier, aux Bahamas, il a aussi pu plonger parmi un banc de requins-marteaux, une espèce connue pour être très peureuse face à tout contact humain. Grâce aux efforts des plongeurs locaux, ce banc avait perdu toute peur et était même très amical, à tel point que les animaux ne voulaient plus se séparer des plongeurs.

Si son but est de ramener les plus belles images de chacune de ses expéditions – une trentaine en dix ans –, il tente aussi de révéler au monde la menace à laquelle les requins font face. Ainsi, il lutte avec ses moyens contre la chasse dont ils sont les victimes – 100 millions d’entre eux sont tués chaque année pour leur viande ou leurs ailerons. Sous son nom d’artiste « White Mike », il a lancé une campagne d’affichage sauvage avec ses photos dans les rues du monde entier, avant de se faire arrêter à Malibu. Il s’en sortira avec une simple amende – le procureur partageant avec lui la passion des océans –, mais arrêtera rapidement ses collages. Depuis, il s’est rapproché d’associations telles que WildAid et EarthEcho. Il s’est aussi à nouveau rendu dans le golfe Persique, où il a photographié la chasse aux requins afin d’alerter sur ce carnage – actuellement, le secteur représente un chiffre d’affaires annuel de 575 millions d’euros. « Documenter la pêche aux ailerons a été une expérience très compliquée, dit-il. J’avais l’impression d’être le témoin d’une scène de guerre. Mes yeux s’emplissaient de larmes et je ne cessais de me répéter qu’un jour ces images auraient un impact. »

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S’il est bien conscient des risques qu’il peut rencontrer lors de ses plongées, Michael estime que ceux-ci ne représentent rien par rapport à l’importance du message qu’il souhaite transmettre. « Notre but est humble et je pense que l’animal le sent. Ils sont très intuitifs », argumente-t-il.

« À l’instar de tant de grands conteurs de l’Histoire, Michael se sert de son art pour narrer un récit qui lui tient particulièrement à cœur », écrit de lui son ami Philippe Cousteau Jr., océanographe et militant écologiste qui a eu l’occasion de plonger avec lui. « Sa façon de capturer les mouvements poétiques [des requins] et leur majesté inspire l’émerveillement et le respect. »

Le travail de Michael Muller, publié récemment chez Taschen, a aussi le pouvoir de rappeler ce que le requin est vraiment : un formidable poisson indispensable à l’équilibre des océans, plus menacé que jamais par la pêche, la dégradation de son habitat et le changement climatique, et très éloigné de l’image de tueur sanguinaire qu’on lui a si longtemps fait porter.

Suivez Michael sur Instagram et www.mullerphoto.com. Son travail en beau livre : Requins par Michael Muller, Taschen, 334 pages, 49,99 €.

Glenn Cloarec est sur Twitter.