En Sicile, les morts sont partout. Sur les avis de décès qui recouvrent les rues jusqu’aux catacombes de Palerme où s’alignent plus de 3 000 momies. Lors de La Festa dei Morti, dans la nuit du 1er novembre, on raconte même que les morts ont un bon de sortie. Ils l’utilisent pour quitter les cimetières et retourner dans leur ancienne demeure. Contre toute attente, si les âmes des trépassés reviennent à la maison, ce n’est pas pour y mettre le bordel, mais les bras chargés de gâteaux.
C’est un peu comme si un arrière-grand-père qui a passé l’arme à gauche depuis belle lurette sortait de sa tombe une fois par an pour vous offrir des douceurs. Si vous avez été sage, tout laisse à penser qu’au matin, vous trouverez, cachée dans la maison, la « corbeille des morts » remplie de bonbons et de biscuits. À l’inverse, si vous avez été pénible, planquez bien la râpe à fromage parce que les morts aiment s’attaquer à la corne des pieds.
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Voilà ce qu’on raconte aux Siciliens, petits et grands, qui attendent du coup les morts comme d’autres le Père Noël. La composition de la corbeille est même un reflet de la gastronomie locale. L’ « ossa dei morti » (« os des morts » en version originale), un biscuit blanc et friable en forme d’os, côtoie la pupaccena offerte par les généreux ancêtres.
En Sicile, il faut croire que les morts préfèrent encore arpenter le monde des vivants plutôt que de voir leurs petits-enfants faire du porte à porte en quête de bonbecs
Au téléphone, Salvatore Cappello, propriétaire d’une des pâtisseries les plus réputées de Palerme, se souvient : « Quand j’étais petit, la pupaccena (littéralement « poupée-dîner ») pouvait faire entre 4 et 10 kg. On la trouvait au centre du panier, c’était une statuette en sucre peinte à la main, qui représentait la Madonna, Santa Rosalia ou les cavaliers sarrasins. Aujourd’hui, on s’est adapté à la demande et on fait aussi des Donald Duck ou des Peppa Pig ».
Pour les défenseurs de la culture du Mezzogiorno, le sud de l’Italie, Halloween est une fête américaine dont on n’arrive pas bien à prononcer le nom. On préfère parler du « Pont des Morts », qui se prolonge jusqu’au 2 novembre. À Palerme, un festival baptisé Notte di Zucchero ( « Nuit de sucre ») est né pour défendre cette culture toujours vivante mais sur le déclin. Dans deux cimetières la ville, des acteurs déguisés en poupées de sucre récitent textes et de la poésie tandis que les familles se retrouvent pour commémorer les défunts.
La proximité entre le 31 octobre et la Toussaint créée une concurrence entre traditions locales et désir de fêter Halloween comme à la télé. Pour les organisateurs du festival, c’est aussi une question d’éducation : « À l’école, les enfants fêtent Halloween, alors qu’à la maison, ils observent les traditions de la Fête des morts ».
« Les deux événements ont des racines profondément différentes. Ils cohabitent et ne s’annulent pas. Mais Halloween ne crée pas ce lien fort avec l’au-delà », précise Federica. En Sicile, il faut croire que les morts préfèrent encore arpenter le monde des vivants plutôt que de voir leurs petits-enfants faire du porte à porte et lancer des « dolcetto o scherzetto », équivalent local du « trick or treat », en quête de bonbecs.
Les traditions, surtout en Sicile, se sont formées au contact des différentes civilisations qui ont occupé l’île et se sont nourries mutuellement de recettes et de rites nouveaux. De mon côté, j’ai choisi de faire dans le syncrétisme culturel en réunissant les ingrédients nécessaires pour préparer les os des morts ; de l’eau (100 ml ), de la farine (400 g) et du sucre (400 g) qui vont vivre puis mourir entre mes mains pour devenir ce petit biscuit creux, extrêmement sucré et croquant.
Pour parfumer le mélange, ajoutez une pincée de cannelle et six clous de girofle (ceux du cercueil). La recette est minimaliste mais loin d’être simple. J’ai un peu l’impression d’être une sorcière jouant avec la matière au-dessus d’un pentagramme. Après plusieurs tentatives et quelques galères, je retiens trois qualités indispensables à la fabrication des gâteaux ; concentration, précision et intuition.
Dans un saladier, placez le sucre et les clous de girofle. À côté, mélangez la farine à une pincée de cannelle. Commencez par faire chauffer l’eau dans une casserole jusqu’à ce qu’elle soit presque à ébullition. Versez-la immédiatement sur le sucre dans le saladier et remuez rapidement. Ajoutez progressivement la farine et continuez à remuer. Une fois que vous avez obtenu une pâte homogène, laissez-la tiédir au moins cinq minutes.
Pour éviter de vous engluer dans la pâte à os des morts pour l’éternité, tâtez la préparation du bout du doigt pour ne commencer à pétrir que lorsque le mélange ne sera plus collant
Vous avez maintenant besoin d’un brin d’intuition (et d’un tablier car vous allez vous en foutre partout) : quand votre pâte n’est plus collante, mais pas encore dure, c’est le moment de la pétrir. Selon la température de l’air et le taux d’humidité, le temps de repos varie beaucoup, de 5 à 20 min. Pour éviter de vous engluer dans la pâte à os des morts pour l’éternité, tâtez la préparation du bout du doigt pour ne commencer à pétrir que lorsque le mélange ne sera plus collant.
Formez alors un boudin d’environ 2 cm d’épaisseur, et coupez-le en morceaux de la longueur d’une phalange. Déposez les morceaux dans un plat, couvrez-le avec une feuille de papier sulfurisé, et oubliez-le dans un coin de votre cuisine pendant deux jours. Transformer du sucre et de la farine en os demande du temps.
Deux jours plus tard (trois si vous avez vraiment oublié, mais pas plus), prenez les os et mouillez légèrement la base. Placez-les sur la plaque recouverte d’un papier sulfurisé. L’heure de la crémation est venue : enfournez à 180° pour 10 à 15 minutes. À partir de la cinquième, vous pouvez voir les os commencer à danser. Sous l’effet de la chaleur et de l’eau, le sucre « tombe » et se caramélise. Le biscuit se divise alors en deux parties, blanc, creux et friable sur le dessus, jaune, dense et croquant sur le dessous.
Sortez du four, laissez refroidir et allez terroriser des gosses en faisant croire que cette année, si les morts reviennent, c’est pour leur faire bouffer des os.
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