Les Papi's serie photo poser nue
Toutes les photos sont d'Eric, sauf mention contraire
Société

Poser nues pour un couple de photographes à la retraite

La série « Les papi’s » raconte l’histoire d’une amitié peu commune tout en soulevant des questions sur le tabou de l’argent dans le cadre de la photo de modèle nu. 
Souria Cheurfi
Brussels, BE

Eric est un retraité septuagénaire passionné de photo depuis aussi longtemps que sa femme, Arlette, le connait – c’est à dire depuis leurs 15 ans. Ce qui branche surtout Eric, c’est photographier des femmes, de préférence nues, et avec son acolyte de l’objectif, Henri. Pour mettre ça en pratique, le duo place des petites annonces sur des sites Internet tels que quefaire.be les invitant à venir poser pour eux.

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Si cette intro sonne comme le début d’une histoire étrange, il n’en est rien. Au contraire, Ella (26 ans), Aurore (24 ans) et Rosie (26 ans) sont trois des modèles qu’Eric et Henri ont photographiées à plusieurs reprises, et elles en sont sorties si inspirées qu’elles ont décidé d’en faire une exposition en mai dernier. Plus que de simples images, la série « Les papi’s » raconte l’histoire d’une amitié peu commune tout en soulevant des questions sur les tabous autour de l'argent et du corps féminin.

VICE a rencontré Ella, Aurore et le couple de retraité·es, qui ont préféré ne pas révéler leur identité complète vu la nature des photos, pour discuter de leurs expériences respectives. Eric donne immédiatement le ton lorsqu’il annonce son âge et lance une première blague à Aurore : « Mais j’ai toujours triché pour te draguer ! » 

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Ella, par Henri

VICE : Arlette et Eric, depuis quand vous faites de la photo ?
Eric :
Votre maman n’était pas née !

Arlette : Depuis toujours. Je l’ai rencontré à 15 ans, et à 17 ans il faisait déjà des photos de tout : de la nature, d’animaux. 

Eric : Mais principalement d’Arlette et de ses amies.

Vous avez toujours eu une préférence pour le nu ?
Eric :
Ma préférence est surtout pour les femmes, car à côté des nus, je fais aussi beaucoup de portraits de personnes que je rencontre et qui ne sont pas toujours nues. Et j’aime aussi tout ce qui est nature et paysages.

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Aurore : C’est pour ça qu’on se retrouve nues dans le jardin !

Ella et Aurore, comment vous vous êtes décidées à poser pour Arlette et Eric ?
Aurore :
C’est une amie en commun qui m’avait parlé des séances. Elle l’avait déjà fait pour se faire des sous quand elle vivait à l’etranger et après sa séance avec Éric et Arlette, elle m’a dit que c’était sa meilleure expérience de séance photo nue. Elle m’a dit : « Tu verras, ça n’a rien à voir avec ce à quoi tu t'attends quand on parle de nu. »

Ella : Moi j’ai rencontré Aurore parce qu’on bossait dans le même bar également avec Rosie (qui est aussi sur les photos). Elles avaient toutes les deux déjà fait des séances et ça m’intriguait. Je me demandais pourquoi elles faisaient ça, en fait. Puis on a discuté et elles m’ont chauffée. 

Eric : C’est le cas de le dire !

Ella : Ah, ça se dit pas ? (Ella est néerlandophone, ndlr.) Bref, on a fait notre première séance à trois pour être plus à l’aise. Et ça a créé quelque chose de fort dans notre amitié. Le fait d’être nues à trois, c’est très intime. C’était super chouette parce qu’on travaillait ensemble au bar, puis on mettait un peu de rouge à lèvres et on prenait notre vélo pour aller à nos petits rendez-vous chez Eric et Arlette. C’était un peu surréaliste.

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Vous avez pas flippé la première fois ?
Aurore :
Y’a d’office une certaine méfiance qui s’installe au début. D’abord parce que j’avais jamais posé nue. Et ensuite parce que tu te demandes ce que vont devenir les photos. Mais ces craintes sont vite passées. Quand je suis arrivée dans le salon d’Eric, lors de ma première séance, j’ai fait la connaissance de deux personnages étonnants et l’ambiance était bienveillante. Ensuite, j’ai vu Arlette. Je me suis sentie très à l’aise, notamment grâce à sa présence féminine. 

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Arlette : Je suis là aussi pour les aider à trouver de chouettes tenues et accessoires. On a différents bacs remplis de tenues et d’accessoires. Les filles choisissent ce qu’elles veulent porter.

« Tu penses être dans une époque de révolution féministe, connaître ton corps, mener des combats à ce sujet… Mais au final, je me suis rendu compte que je ne connaissais pas du tout mon corps, ni le corps de la femme en général. » – Aurore

Vous en avez tiré quoi d’un point de vue personnel ?
Aurore :
Je me suis sentie super bien durant la première séance, mais par la suite, j’ai eu comme un choc, comme une prise de conscience ; je me demandais pourquoi j’avais fait ça. En y réfléchissant, le fait de me montrer nue, ça m’a confrontée à plein de choses. Tu penses être dans une époque de révolution féministe, connaître ton corps, mener des combats à ce sujet... Mais au final, je me suis rendu compte que je ne connaissais pas du tout mon corps, ni le corps de la femme en général. 

Eric : Bon, t’es compliquée aussi !

Aurore : Aurore : Mais non ! Pendant des années, j’avais la phobie de me regarder dans le miroir. Je pense que je souffrais de dysmorphie. Je focalisais mon attention sur certaines parties de mon corps qui me complexaient énormément. Je n’ai jamais aimé ce que je voyais. Mais à travers leurs objectifs, j’ai appris à me confronter à l’image de mon corps. Puis, petit à petit, à le connaître et à l’apprécier. Ce sont ces séances qui m’ont permis d’avoir un regard positif et différent sur mon corps et celui de la femme en général. 

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Arlette et Eric, comment vous faites en sorte que les modèles se sentent à l’aise ?
Eric :
J’essaye de les faire rire et de leur faire des compliments. Les filles se rendent compte que je fais au mieux pour les mettre en valeur en trouvant les meilleurs angles. Je suis très direct au début. Je les rassure en disant qu’elles ne feront que ce qu’elles ont envie de faire. Quand je fais des photos, je me concentre sur l’esthétique de l’image et il n’y a strictement rien de sexuel là-dedans. 

Aurore : Exactement. En tant que modèle et photographe, j’avais souvent été confrontée à des discours du type : « T’es photogénique ou tu ne l’es pas. » Mais selon Eric, tout le monde est photogénique, il faut juste les mettre en valeur. 

Arlette : Ce qui est chouette avec ces photos, c’est qu’elles montrent que tous les corps ont de belles choses. 

Ella : En plus de tout ça, le contexte est très rassurant : iels nous accueillent dans leur maison, nous font à manger… 

Vous parlez de la crainte de ce que deviendront les photos, mais au final, elles ont été montrées au public lors d’une expo que vous avez vous-mêmes montée dans l’atelier de Rosie, la troisième modèle. C’était quoi le but de cette expo ?
Aurore :
C’était de déconstruire cette espèce de honte ; le fait que nos séances étaient secrètes et privées. En réalité, on est très fières et contentes de ces séances donc on a décidé de les montrer. 

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Ella : Et en plus de ça, maintenant qu’elles ont été montrées et que c’est assumé, on a le contrôle dessus. Ces photos sont publiques et ne peuvent plus être montrées à notre insu. 

Eric : J’ai trouvé qu’il y avait quelque chose de très fort dans le fait qu’elles décident de montrer ces photos.

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Aurore et Ella

Ça s’est passé comment l’expo ?
Aurore :
C’était très bienveillant. On a reçu uniquement des retours sur la démarche et le côté artistique.

Ella : Ma mère était là et avec elle, on n’a pas cette relation où on entre dans la salle de bain quand on est nues, par exemple. J’étais super stressée car elle ne m’a pas vue nue depuis au moins dix ans, et là, elle m’a vue entièrement nue sur ces photos. Au final, elle m’a simplement dit qu’elle me trouvait très belle et les photos aussi. 

Eric, tu t’es déjà retrouvé de l’autre côté de l’objectif ?
Eric :
Oui. Et quand j’ai posé nu, je l’ai dit à tout le monde parce que je trouvais ça drôle. Je l’ai d’abord dit à Arlette pour avoir son accord, puis à mes parents et mes fils. Un mec m’a approché dans un bar en me disant que ce serait pour un magazine homo « de gros poilus », et à l’époque je faisais 130 kilos, donc je correspondais aux attentes de ce public. J’ai eu beaucoup de succès dans ce magazine et le photographe m’a bien pris… 

Arlette : En photos, hein ! D’ailleurs, il a eu pendant très longtemps un fan japonais qui lui envoyait de magnifiques cadeaux suite à cette publication.

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Eric

 Arlette, t’as jamais eu de gêne ou de jalousie par rapport à ces sessions ? 
Arlette :
Jamais de jalousie. C’est très agréable pour moi aussi de voir des jeunes filles nues dans le salon quand je rentre des courses !

« C’est très agréable pour moi aussi de voir des jeunes filles nues dans le salon quand je rentre des courses ! » – Arlette

C’est quoi votre rôle durant les séances ?
Arlette :
Ça dépend. Si ce sont des filles qui font juste une séance pour se faire des sous, je ne vais pas m'investir autant. Mais dans des cas comme celui d’Aurore ou Ella, je prends même des photos et j’adore ça.

Ella : Depuis l’expo, notre relation a changé car je pense que vous avez compris à quel point on apprécie ces séances et votre travail. Maintenant, on vient faire des photos sans être payées parce que ça nous fait plaisir de passer ce moment ensemble ; on s’écrit, on se raconte nos petits soucis, nos histoires de coeur…  

Aurore : Ces photos, c’est surtout l’histoire d’une belle expérience humaine et d’une amitié intergénérationnelle. Des liens très forts se sont créés.

Il y aura vente publique des photos le 25 octobre entre 18h-22h à l’atelier Volksroom, Chaussée de Mons 33b.

Suivez le travail d’Eric et contactez-le ici.

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Aurore et une autre amie modèle, par Henri

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Ella, par Henri

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