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Les combats de coqs de Cuba sont toujours aussi déprimants

Cet article a initialement été publié sur VICE, en septembre 2014.

L’odeur d’excrément animal m’a rassuré : j’étais arrivé au bon endroit. Des hommes au visage couvert de terre s’agrippaient à une cage de fortune qui avait été bâtie autour de « l’arène ». Des jeunes filles en robe moulante et talons hauts minaudaient gentiment pour inciter les parieurs à dépenser plus d’argent. Pour ma part, j’avais misé 5 pesos cubains sur mon premier coq.

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« Cinco para verde », a hurlé mon ami Marty en direction de la foule. Un type âgé d’une vingtaine d’années s’est approché pour lui serrer la main – le pari était fait.

Marty m’a emmené ici parce que je lui avais dit que j’étais prêt à parier pour nous deux. Il est né et a été élevé à La Havane, et il a toujours baigné dans le milieu des combats de coqs. C’est un homme mince, élancé, qui portait ce jour-là un capri bleu avec un t-shirt jaune. Ses cheveux étaient plaqués en arrière par du gel. J’avais l’impression qu’il essayait de suivre la mode européenne, ce qui n’est pas facile pour un Cubain de 20 ans qui bosse à mi-temps dans une épicerie.

On a pris place sur une barrière métallique qui entourait l’arène, en espérant que notre coq massacre son adversaire. S’il y parvenait, on gagnerait quelques centimes, ce qui n’est pas négligeable dans un pays dont le salaire moyen est compris entre 12 et 20 dollars par mois.

Les combats de coqs sont l’une des plus vieilles traditions des populations rurales cubaines. Le jeu est une source d’amusement pour les spectateurs, mais aussi synonyme de fierté pour les éleveurs de coqs. Si le fait de parier sur des combats entre oiseaux est interdit dans le pays, la loi précise pour autant que les combats de coqs sont tout à fait légaux. Selon un article du Havana Times, qui ne fait que reprendre la parole du pouvoir politique, le gouvernement cubain continue de défendre ce sport car les élites y voient une composante centrale de « l’identité cubaine ».

À ma grande surprise, je n’ai pas eu besoin de m’éloigner énormément des mojitos et des danseuses de salsa pour pouvoir parier sur mon premier coq. L’arène se situait à un peu plus de 30 minutes du centre-ville touristique de La Havane.

Le complexe, entièrement grillagé, ne dépassait pas un demi-terrain de foot. Les cris des animaux étaient audibles depuis l’entrée, tout autant que les hurlements des éleveurs qui soutenaient leurs bêtes. L’un d’entre eux remotivait son coq en lui soufflant dans l’anus.

« Ça les énerve vraiment, m’a dit Marty. On devrait parier sur lui. » J’ai eu un petit rire avant d’accepter sa proposition.

Des hommes formaient un cercle autour de deux tables situées à l’extérieur de l’arène. Certains jouaient aux dominos, d’autres aux dés. Malgré mon amour pour tout ce qui se rapporte aux dominos, Marty m’a conseillé de ne pas trop m’approcher, car ces tables étaient gérées par des arnaqueurs.

Un vieil homme vendait des produits divers étalés sur un long drap. C’était le marché noir de Cuba, mais il ne fallait pas s’attendre à trouver des DVDs ou de fausses Rolex — on pouvait s’y procurer des bains de bouche, du liquide vaisselle et des chips. Un tel marché noir révèle ce qui sépare Cuba des autres pays latino-américains : au Mexique, les membres des gangs risquent leur vie pour vendre des armes et de la drogue et finissent souvent en prison. À Cuba, on peut finir en prison pour avoir vendu du liquide vaisselle.

Depuis la Révolution de 1959, les Cubains ont l’une des sociétés les plus étranges au monde. L’ancien président Fidel Castro a donné à l’État la responsabilité de nourrir et de protéger tous les citoyens en leur offrant un toit et les biens nécessaires. Le problème, c’est que Cuba est une île et que le pays ne peut donc pas répondre aux besoins de sa population. Comme un journaliste local me l’a dit, Cuba a besoin de « sugar daddies », à savoir le Venezuela et la Russie. Je pense d’ailleurs que la Russie serait jalouse de savoir à quel point les Cubains parlent tout le temps de la patrie d’Hugo Chavez. Alors que Cuba ne produit pas assez de nourriture et de biens pour subvenir aux besoins de la population, le pouvoir interdit tout de même aux gens d’acheter quoi que ce soit à l’étranger.

Avant le début du combat, les entraîneurs attachaient de petites pointes colorées aux pieds de leurs coqs, afin que les spectateurs puissent les reconnaître. Une petite boîte divisée en deux parties renfermait les deux bêtes, prêtes à s’entretuer. Un homme avec un chronomètre a alors violemment tiré sur cette corde et libéré les deux combattants.

Les coqs se sont rués l’un vers l’autre, leurs ailes s’agiteant dans tous les sens. Leur sauvagerie m’a prouvé que ces bêtes n’étaient entraînées qu’à une chose : combattre. Une centaine de Cubains, surtout des hommes, hurlaient en direction des deux coqs, qui donnaient l’impression d’attendre chacun leur tour pour avoir le droit d’attaquer. La scène était aussi violente que sanglante.

Après dix minutes de combat, le coq sur lequel j’avais parié s’est mis à tourner en rond, poursuivi par son adversaire.

« Il veut le fatiguer, ça prouve que son entraineur a fait du bon travail », m’a expliqué Marty.

Mon choix semblait porter ses fruits, car l’adoption de cette tactique plus pacifique me donnait l’impression que ce coq était plus intelligent que son adversaire, qui finirait bien par s’épuiser et donc par perdre.

Eh bien, ça n’a pas été le cas. Son rival a fini par le rattraper et l’a roué de coups de bec pendant cinq minutes. Mon coq était au sol, incapable de combattre et en proie à de violentes douleurs. Nous avions perdu.

Son éleveur s’est alors précipité vers l’oiseau ensanglanté afin de le mettre en sécurité. L’autre entraîneur a saisi le coq victorieux tandis que des types commençaient à se disputer. En effet, les paris se faisaient à l’oral et tout le monde voulait récupérer son argent le plus rapidement possible. Certaines personnes avaient misé plus de 70 euros. On a fini par partir en vitesse, Marty ayant peur que la situation ne s’envenime.

Marty s’est finalement éloigné, la tête baissé, déçu d’avoir perdu alors que je lui avais promis une bière en cas de victoire. De mon côté, je suis reparti la tête baissée, déçu d’avoir misé sur un sport cruel sans même avoir gagné.

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