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Extrême droite

La police canadienne a tardé à prendre l’extrême droite au sérieux

Selon une nouvelle étude, l'inaction des forces de l'ordre aurait permis aux groupes extrémistes de grossir leurs rangs.
Photo : Alice Chiche

Si les mouvements d’extrême droite ont réussi à s’imposer au Canada au cours des dernières années, c’est en partie parce que la police les a laissés faire. C’est ce que défendent deux chercheurs canadiens, Barbara Perry et Ryan Scrivens, dans une étude publiée cette semaine.

Au Canada, l’extrême droite est toujours en hausse. S’il y avait environ une centaine de groupes actifs en 2015, Scrivens estime désormais leur nombre entre 130 et 150. Et ces Meute, Pegida, Soldats d’Odin sont plus actifs que jamais, que ce soit en ligne ou en public, rappelle-t-il.

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Entre 2012 et 2015, Scrivens et Perry ont interviewé une quarantaine d’agents de différents corps de police au pays, et la grande majorité ne considérait pas l’extrême droite comme une quelconque menace. « Tant que rien n’arrive, on ne les surveille pas », a témoigné un policier ontarien, cité dans l’étude.

« Quand les forces de l’ordre ne répliquent pas, la menace demeure cachée, explique Ryan Scrivens, en entrevue téléphonique avec VICE. S’ils ne prennent pas la menace au sérieux, c’est tout un défi d’y faire face. » Un groupe extrémiste peut alors croire qu’il peut agir en toute impunité.

« Je considère que la police joue un rôle-clé. On l’a vu en Colombie-Britannique : les policiers ont pris le temps de profiler [les groupes d’extrême droite], ou encore d’aller rencontrer le leader d’un groupe skinhead violent, cogner à sa porte pour lui dire “Hey, on vous surveille”. C’est dans ces moments-là qu’on peut voir ces groupes s’effondrer », relate Ryan Scrivens.

Ne pas voir la menace

Scrivens remet le tout en contexte: lorsque Perry et lui ont mené leurs recherches, les groupes d’extrême droite ne faisaient presque jamais les manchettes; ils étaient pour ainsi dire absents du débat public. Plus difficile de saisir l’ampleur du phénomène.

Il reste qu’entre 1985 et 2015, les chercheurs ont recensé au Canada quelque 150 actes de violence associés à ses groupes, notamment des agressions de personnes issues de minorités visibles et des affrontements avec Antifa.

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Scrivens explique que « l’après 11 septembre » a aussi joué dans la perception de la menace terroriste au pays. Tant chez les forces de l’ordre que les médias, les projecteurs se sont braqués sur les musulmans, les dépeignant sous un mauvais jour. Les ressources se sont mobilisées autour des « ennemis à la peau foncée », relate Scrivens.

« On est 2018 et on observe toujours ce phénomène. Notre priorité, au SCRS en particulier, c’est ce “terrorisme musulman” », observe-t-il.

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Il juge que la Gendarmerie royale canadienne (GRC) et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) considèrent le radicalisme musulman comme étant un enjeu de sécurité intérieure, tandis que l’extrême droite serait plutôt une menace pour l’ordre public.

En résumé, pas le même genre de menace, d’où l’inaction de la police. « Une menace demeure tout de même une menace », dénonce pourtant Ryan Scrivens.

Le vent tourne

La perception de l’extrême droite est en train de changer pour la population comme pour les policiers, nuance Ryan Scrivens. La raison majeure de ce changement, c’est toute l’attention médiatique qui a été donnée aux groupes vers 2015.

« Ça a permis [aux policiers] de réaliser ce qu’il se passait en terrorisme et en extrémisme au pays, et que ça ne pouvait pas se limiter à rechercher le prochain “ennemi au teint foncé” », explique Scrivens.

Pour le chercheur, les policiers peuvent toujours en faire plus, « mais ils vont dans la bonne direction ». Il note que de nombreux corps policiers qui balayaient le problème sous le tapis investissent désormais beaucoup plus d’énergie dans ces dossiers.

C’est d’autant plus pertinent maintenant, à une époque où Donald Trump a su fomenter le racisme et l’islamophobie dans son pays comme au Canada.

L’entrée en scène d’un tel président a enhardi les groupes d’extrême droite, venant justifier leurs opinions anti-islam, décrit Ryan Scrivens. Son arrivée a coïncidé avec un pic dans les activités de l’extrême droite, comme le ciblage de personnes racisées, la distribution de tracts et les graffitis.