Société

La Yellow Fever n’est rien d’autre qu’un fétichisme raciste

Yellow Fever fetichisme

On oublie rarement son premier amant. Le deuxième non plus – surtout quand il s’avère être un fétichiste. « J’avais seize ans quand je l’ai rencontré », raconte Linh-Lan Dao, 30 ans. Encore inexpérimentée, celle qui est aujourd’hui journaliste à France Info, ne s’inquiète pas quand une amie les présente. « Il lui avait demandé si elle connaissait des filles asiatiques. Ça aurait dû m’alerter », confie-t-elle avant de raconter. « Dans sa chambre, il y avait un énorme poster de Marjolaine Bui [une obscure candidate de télé réalité, ndlr]. Je crois que je me suis rendu compte qu’il avait un problème avec les Asiat’ quand il m’a fait essayer une paire de lunettes…les mêmes que Marjolaine ».

C’est un fait : bon nombre d’hommes ont une fascination sexuelle pour les femmes asiatiques. Aux Etats-Unis, le phénomène a pris une telle ampleur qu’on lui a même donné un nom : la Yellow Fever – ou Fièvre Jaune. Et très clairement, le concept désigne un « fétiche raciste », pour reprendre l’expression de la philosophe Robin Zhen, professeur associée à l’université de Yale, et auteur d’une étude au titre éloquent : Pourquoi la Yellow Fever n’est pas flatteuse: un argumentaire contre les fétiches raciaux.Elle précise : « Même si cela ne concerne pas uniquement les hommes blancs, c’est généralement ce que les gens ont en tête quand ils utilisent ce terme pour désigner un phénomène social ».

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« Quand un mec me dit qu’il adore les femmes asiatiques, j’entends qu’on est interchangeables. Mais je ne suis pas un putain de vase Ming ! » – Grace Ly, militante asian-féministe

Et cela pèse lourdement sur le quotidien des concernées. « Dès que tu rencontres un nouveau copain, tu vérifies forcément qu’il n’était pas avec une Asiat’ avant, confie Grace Ly, 38 ans, blogueuse et militante asian-féministe, dont le premier livre, Jeune Fille Modèle, sortira à la rentrée aux éditions Fayard. Même chose pour Linh-Lan, qui a elle aussi développé son « radar à relou ». Premier indice : « Un mec qui me dit qu’il adore l’Asie, ça sent vraiment pas bon… ».
« La Yellow Fever impose un fardeau psychologique aux femmes asiatiques, pointe Robin Zheng. D’abord, elles se sentent homogénéisées. Mais aussi différenciées, c’est-à-dire séparées et maintenues à un niveau différent de celui des femmes blanches. Cela les amène à douter que leurs partenaires s’intéressent à elles pour ce qu’elles sont en tant qu’individus ». Aujourd’hui en couple, Grace Ly garde de mauvais souvenirs de ceux qui la désiraient uniquement pour ses origines : « Quand un mec me dit qu’il adore les femmes asiatiques, j’entends qu’on est interchangeables. Mais je ne suis pas un putain de vase Ming ! ».

Douces, soumises, douées au lit… Autant de clichés qui nourrissent cette Yellow Fever : « C’est comme ces mecs blancs européens qui vont chercher des petites femmes en Asie parce qu’ils pensent qu’elles sont bien obéissantes ! », peste Linh-Lan Dao. Elle-même fait régulièrement les frais de ce fantasme : en reportage ou au bureau, des hommes trouvent régulièrement pertinent de lui préciser qu’ils n’ont jamais couché avec une asiatique…

A l’origine de la websérie Ça reste entre nous, qui donne la parole aux Asiatiques de France, Grace Ly rencontre régulièrement son public lors de projections. Pour elle, les jeunes femmes asiatiques payent aussi les normes de beauté européennes construites sur la blanchité. « En France, quand on est d’origine asiatique, on grandit dans l’idée que l’on n’est pas vraiment jolie », avance la militante qui poursuit : « Donc, dès qu’un mec vient et te dit que tu es la plus belle, tu as un peu tendance à laisser faire les premières fois. Tu te sens comme “validée”. Et quand t’as faim… tu manges ! ».

« C’est comme ces mecs blancs européens qui vont chercher des petites femmes en Asie parce qu’ils pensent qu’elles sont bien obéissantes » – Linh-Lan Dao, journaliste

Cette hypersexualisation des femmes asiatiques est avant tout une question de représentation. De nombreux films consacrés au Japon des Geisha ou mettant en scène la guerre du Vietnam, relèguent les femmes au rang d’objets sexuels. Sans parler des mangas mainstreams où être une femme se résume souvent à un profond décolleté. « Historiquement, de nombreux facteurs associent les femmes asiatiques au sexe, développe Robin Zhen. Aux XVIII et XIXe siècle, le continent asiatique était présenté dans la culture populaire comme un territoire exotique, mystique…et sensuel. Au XXe siècle, la colonisation et l’occupation militaire sont venus renforcer ces stéréotypes ».

Les femmes asiatiques font souvent les frais d’un autre cliché, un cliché raciste, véhiculé par des décennies de colonisations et amplifié par les récits fait de la guerre du Vietnam : elles seraient des prostituées. « Une fois, illustre ainsi Grace Ly, j’étais dans un bar avec un pote. Un mec est arrivé et lui a demandé, avec ce regard de pote de vestiaire, combien il avait payé pour être avec moi ».

Longtemps tues, ces discriminations sont désormais mises en avant par une nouvelle génération de jeunes femmes asiatiques. Qu’elles militent au sein du Collectif Asiatique Décolonial, ou qu’elles se contentent d’en parler entre amis, elles refusent d’être réduites à leurs origines. Et tiennent, désormais, à le faire savoir.

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