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Racisme

Pourquoi il est nécessaire d'identifier publiquement les néonazis

Aux États-Unis, le débat fait rage entre partisans et opposants au « doxing » – à savoir, le fait de balancer les informations personnelles d'un individu sur Internet.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
doxing

Cet article a été initialement publié sur Broadly.

Quand un suprémaciste blanc présent au rassemblement de Charlottesville a perdu son emploi dans la restauration le week-end dernier, une vague de satisfaction a parcouru la gauche américaine sur Twitter. Peut-être que le tissu social des États-Unis n'est pas complètement dissous et que, même si d'après le président, les torts sont « des deux côtés », la participation à un rassemblement néonazi ne se fait pas en toute impunité.

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Bien sûr, les réseaux sociaux ont des antécédents peu reluisants en matière d'identification des suspects, et les événements de Charlottesville ne font pas exception. Un matin, à son réveil, Kyle Quinn, ingénieur à l'université d'Arkansas, a découvert que son compte Twitter était assailli de messages d'insultes après qu'il a été confondu avec un manifestant.

Toutefois, la sympathie n'a pas été de mise à l'égard d'extrémistes identifiés. Certains d'entre eux, comme Peter Tefte, ont été publiquement désavoués par leurs amis et leur famille. Même Jon Ronson, auteur d'un ouvrage sur le phénomène de l'humiliation publique, est intervenu, déclarant que la stigmatisation des suprémacistes blancs était justifiée. « [Les suprémacistes blancs de Charlottesville] ont participé, à visage découvert, à un rassemblement hautement controversé et couvert par les médias », a-t-il écrit sur Twitter. « Il y a une grande différence entre un suprémaciste blanc et, par exemple, Justine Sacco », a-t-il ajouté en référence à la responsable RP licenciée après avoir fait une blague laissant entendre que les Blancs ne peuvent pas attraper le SIDA.

Sur Internet, les nationalistes blancs utilisent des VPN, des pseudonymes et autres techniques pour essayer de masquer leur identité, de crainte d'être doxés ou de voir leurs informations personnelles fuiter. Mais à Charlottesville, il leur était impossible de rester dans l'ombre.

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« La différence entre Charlottesville et d'autres événements publics est que les organisateurs ont mis les participants en garde contre le doxing », déclare Keegan Hankes, analyste pour le Southern Poverty Law Center. « Ils se doutaient [qu'ils pourraient être identifiés] étant donné le tollé qui a précédé l'événement – quand les tensions se sont intensifiées sur Internet entre certains groupes antifascistes et des partisans de l'Alt-right. »

Des groupes comme la Ligue du Sud ont également appelé leurs membres à se préparer à de potentiels affrontements avec les antifascistes et les militants de Black Lives Matter. Dans un post Facebook qui a depuis été supprimé, l'organisation a également déclaré que le rassemblement était l'occasion pour les Blancs « d'affirmer leur droit de s'organiser pour défendre leurs intérêts propres, à l'instar de tout autre groupe, et ce, à l'abri de la persécution ». En règle générale, ajoute Hankes, les nationalistes blancs ont tendance à être « incroyablement méticuleux » quant à la dissimulation de leur identité. « Ils prennent soin de retirer tout détail permettant d'identifier une personne avant de publier une photo, et essaient de ne laisser échapper aucune donnée personnelle », déclare-t-il. Et ce pour une bonne raison. « Le fait d'être étiqueté en tant que membre d'un groupe extrémiste engendre d'énormes conséquences – vous devenez inemployable pour nombre de gens. »

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Dans les jours qui ont suivi le rassemblement de Charlottesville, les suprémacistes blancs se sont faits du mauvais sang face aux risques liés à la divulgation de leur identité sur les réseaux sociaux. Sur un forum du Daily Stormer – publication raciste censurée par Google et GoDaddy – un utilisateur déplorait la pratique du doxing, qui l'empêchait d'assister à un quelconque rassemblement, désormais trop effrayant pour lui. « L'idée d'apparaître comme un "suprémaciste blanc" aux yeux de nos employeurs est une perspective horrible », a écrit l'utilisateur Ignatz. S'il avait le choix entre assister à un rassemblement, s'attirant de fait une exposition non volontaire, ou subvenir aux besoins de sa famille blanche, il choisirait la dernière option.

Logan Smith, l'utilisateur Twitter derrière le compte Yes You're Racist, a déclaré ouverte la chasse aux néonazis de Charlottesville, ce qui lui a valu des menaces de mort, comme il l'a rapporté au News and Observer. « Ils ont aussi menacé ma famille. La réaction générale a bien sûr été à 99 pour cent positive, mais il y a toujours cette minorité extrêmement faible, mais aussi extrêmement bruyante et énervée, qui mord en retour. » Le compte a également diffusé des photos mal identifiées.

Il arrive parfois que les membres de l'Alt-right se doxent eux-mêmes, ce qui ne surprend pas Hankes. « L'Alt-right n'est rien d'autre qu'un groupe d'anticonformistes pernicieux qui se chamaillent sans cesse les uns les autres. Charlottesville était un cas particulier à bien des égards dans la façon dont ils se sont coordonnés et ont réduit leurs luttes internes au minimum. »

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Le doxing de néonazis médiatisés peut avoir des conséquences sur l'ensemble du mouvement, en particulier si les informations divulguées se révèlent incompatibles avec l'idéologie publiquement professée. Il a notamment été révélé que la femme de Mike Pienovich, fondateur du site d'extrême droite « The Right Stuff », co-animateur du podcast « The Daily Shoa » et antisémite virulent, était juive. (Le couple s'est depuis séparé.) Il a invité par la suite ses milliers d'auditeurs à venir armés au rassemblement de Charlottesville.

« Quand vous lisez des articles qui disent : "Nous pouvons sortir de l'ombre à présent et arrêter de cacher notre identité", ce ne sont que des foutaises. »

Les membres du mouvement qui oseraient s'auto-doxer sont minoritaires, mais ils existent. « Bien sûr, certains de ces types publient des posts sous leur propre nom, comme Richard Spencer, par exemple, ce qui divise les extrémistes de droite, déclare Hankes. Mais, dans l'ensemble, les gens ont peur de le faire. Il est difficile de trouver un boulot et de mener une vie normale quand tous vos proches savent que vous prônez le nettoyage ethnique. »

L'analyste pense que les articles concernant la montée de l'Alt-right obscurcissent le fait que rares sont ceux qui souhaitent réellement être associés au mouvement. « Quand vous lisez des articles qui disent : "Nous pouvons sortir de l'ombre à présent et arrêter de cacher notre identité", ce ne sont que des foutaises. Ils essaient d'enhardir leurs partisans ou d'enrôler des gens qui, en temps normal, ne seraient que de simples observateurs ou resteraient à l'écart par crainte des conséquences », déclare-t-il.

« La vérité est qu'ils sont terrifiés. »