Quand mère et fille militent pour le climat
Kelly et Béa. Photo par Betsy-May Smith
environnement

Quand mère et fille militent pour le climat

L’activisme a pris une place centrale dans la vie de Béa et de Kelly.

Sur la porte d’entrée, une affiche rouge accueille les visiteurs : « Climat. Justice. Transition. » Le ton est donné. C’est ici qu’habitent Béa, 14 ans, élève au collège de Montréal, et sa mère Kelly, 55 ans, professeure au cégep. Elles sont toutes les deux engagées dans des groupes de lutte pour le climat : Extinction Rebellion pour Kelly et Pour le futur Montréal pour Béa. Elles nous invitent dans leur salon aux murs recouverts d’œuvres colorées, où la bibliothèque occupe un mur du plancher au plafond. Cowboy, vieux chien pépère de 13 ans, essaie d’attraper discrètement un des biscuits posés sur la table, mais c’est sans compter le regard perçant de Béa : « Non, Cowboy, ils sont pas pour toi! »

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C’est le jour de la fête des Mères, mais « c’est pas trop notre truc », nous dit Kelly. Leur truc, c’est plutôt l’engagement et, dans la famille, on ne fait pas les choses à moitié. Quand on demande à Kelly ses plans pour les vacances d’été, elle répond, demi sérieuse, qu’elle compte se faire arrêter. Ça pourrait effectivement lui arriver, dans le cadre d’actions de désobéissances civiles organisées par le groupe Extinction Rebellion.

Kelly n’a jamais été activiste avant de s’engager dans la lutte pour le climat : « J’avais beaucoup de peurs, je savais que la Terre allait très mal, mais j’avais une partie de moi qui ne voulait pas complètement regarder les choses en face.

– Tu te rendais pas compte à quel point c’était urgent, dit Béa.

– Oui, c’est ça. Je restais dans cet état un peu. J’étais même assez inquiète d’avoir Béa, de la faire naître dans ce monde-là. »

Après l’élection de Donald Trump, Kelly a ressenti une profonde angoisse et une envie d’agir. Elle a amené Béa à une première marche pour le climat en 2016 : J'ai créé un groupe d'action sur les changements climatiques dans mon cégep au printemps 2018, j'ai réuni une formidable équipe d'enseignants, dont une géoscientifique qui m'a appris la science des changements climatiques, explique-t-elle. En tant qu’éducateurs, je pense que notre responsabilité est d’enseigner la vérité à nos élèves au sujet du changement climatique. J’ai passé des mois et des mois à lire toute la littérature et les études sur le sujet, et c’est quand j’ai appris la science… »

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Elle marque une pause et place sa main sur celle de Béa. « And I don’t want to upset you [Et je ne veux pas te bouleverser], mais, quand j’ai appris la science… c’est là que j’ai compris. »

Kelly n’a pas parlé tout de suite de ce qu’elle avait appris avec Béa. Trop intense, trop anxiogène. C’est à ce moment-là qu’elle a découvert l’existence du groupe Extinction Rebellion au Royaume-Uni, qui prône des actions coup de poing non violentes pour le climat, et dont les militants n’ont pas peur de se faire arrêter ou emprisonner pour la cause.

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« Je me suis dit : “Oh mon Dieu, ces gens sont géniaux! C’est ça qu’on doit faire : on doit prendre la rue, c’est notre obligation morale de désobéir” », explique Kelly.

Quand elle a vu qu’une branche d’Extinction Rebellion se créait au Québec, elle a contacté immédiatement le groupe. Et elle était à sa première assemblée générale.

Il y en a beaucoup qui ne croient pas aux changements, c’est fatigant à expliquer, mais je prends le temps et je le fais en souriant. - Béa

De son côté, Béa était à la première réunion du groupe Pour le futur Montréal. Après la première manifestation avec sa mère en 2016, elle s’est renseignée de son côté : « J’ai appris graduellement sur les changements climatiques, pour que ce ne soit pas trop choquant pour moi », explique Béa. Elle a dans un premier temps rejoint le comité vert à son école, pour proposer à ses camarades des « résolutions vertes » pour l’école et passer le message aux élèves climatosceptiques. « Il y en a beaucoup qui ne croient pas aux changements, c’est fatigant à expliquer, mais je prends le temps et je le fais en souriant », dit-elle. Puis, Béa a entendu parler de Greta Thunberg et elle a voulu, comme la militante suédoise, marcher chaque vendredi pour le climat. « J’étais contente qu’il y ait des gens plus vieux que moi, du secondaire 5, qui organisent, parce que je suis un peu trop jeune pour tout faire. »

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Béa, lors de la manifestation du 15 mars. Photo Charles William Pelletier

Aujourd’hui, Béa et Kelly se parlent de ce qu’elles apprennent sur les questions de réchauffement climatique, souvent le soir, autour de la table. Elles ont participé à la plupart des marches organisées depuis novembre 2018 à Montréal et sont membres actives de leurs groupes respectifs. Leur horaire est chargé : à elles deux, leur engagement représente souvent plusieurs réunions par semaine.

Je pense que c’est tellement important, l’engagement, parce que ça aide énormément de ne pas se sentir seul face à quelque chose d’aussi vertigineux. - Kelly

« Je pense que c’est tellement important, l’engagement, parce que ça aide énormément de ne pas se sentir seul face à quelque chose d’aussi vertigineux. Je la supporte totalement de faire les grèves du vendredi, et tous ses niveaux d’engagement. Je ne veux juste pas qu’elle rate des examens. Il est possible que l’école ne soit plus pertinente à un moment donné, mais, pour l’instant, on vit encore avec », explique-t-elle.

« Oui, il faut que j’aie au moins une base d’éducation », plaisante Béa.

On sent une grande complicité entre ces deux-là. Elles racontent qu’elles ont toujours eu cette grande connivence. « On a toujours été très proches, dit Kelly.

– Oui, et c’est sûr que ça nous donne encore plus de sujets de conversation, le mouvement, poursuit Béa, mais on se voit moins souvent, parce qu’on est très occupées. »

Kelly lui jette un regard tendre : « Parfois, je la regarde et j’ai des love surges [des élans d’amour] ». Béa connaît bien ça.

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Béa estime qu’elle a de la chance. Les parents de ses amis ne sont pas activistes, ils sont juste « corrects » avec le fait que leurs enfants manquent l’école une fois de temps en temps. « Je pense qu’à cause de leurs parents, mes amis ont moins de motivation pour s’impliquer. Ils viennent aux grandes manifs comme celle du 15 mars, mais pas tous les vendredis. C’est vraiment frustrant. Je comprends pas comment on peut penser moitié-moitié sur ce sujet. »

J’aime l’adrénaline et je me sens vraiment forte quand je suis en train de faire une manif. - Béa

Si elle était plus âgée, Béa aimerait aussi faire des actions de désobéissance civile, comme sa mère : « J’aime l’adrénaline et je me sens vraiment forte quand je suis en train de faire une manif. » L’idée que Kelly se fasse arrêter dans un avenir proche ne lui fait pas particulièrement peur. « Je veux juste que ce ne soit pas violent, dit Béa. Si ça lui arrive, j’aimerais qu’elle ne se débatte pas trop contre la police. »

Béa n’est pas anxieuse, ou plutôt elle ne l’est plus : « Avant que je commence ma vie d’activiste, j’avais beaucoup plus d’anxiété et j’arrivais pas à me coucher la nuit parce que j’y pensais, et ça me faisait vraiment peur, mais j’ai moins peur maintenant que j’essaie de faire ma part. »

Béa fait un geste de la tête vers Kelly : « Elle fait beaucoup d’écoanxiété, par exemple.

– C’est vrai. Je pense que c’est la réaction assez logique quand on sait la vérité. J’ai beaucoup de peurs, et beaucoup de tristesse », répond Kelly.

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Quand elles parlent de l’avenir, elles s’accordent sur une double possibilité : « On parle du bon futur ou du mauvais futur? demande Béa. Vas-y, raconte le mauvais futur, et je raconte le bon! »

– Le mauvais futur, malheureusement, c’est celui qui va arriver, je pense, répond Kelly. Même si le gouvernement réagit maintenant, il risque d’y avoir des conséquences graves, des catastrophes, plus de guerres, migrations de masse, on va manquer de nourriture… »

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Photo par Betsy-May Smith

Pendant qu’elle parle du « mauvais futur », Cowboy se met à gémir doucement. « Il est très écoanxieux! dit Béa en riant. Moi, ce qui va m’affecter vraiment beaucoup, enchaîne-t-elle, c’est la disparition des espèces, végétales et animales, et les injustices sociales qui vont s’aggraver, et ça va être juste chaotique. »

Dans le « bon futur » décrit par Béa, on s’entraide, on réussit à freiner les changements climatiques, on crée des communautés et on s’éduque : « J’espère que ça va devenir une norme de savoir ce que sont les changements climatiques, d’être végane, de ne pas utiliser des voitures à essence », dit-elle. Béa insiste sur le fait qu’elle garde espoir.

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Elle espère d’ailleurs qu’elle n’aura pas à aller « to summer school » . Elle ne voudrait rater pour rien au monde les actions et les manifestations prévues cet été. Elle aimerait notamment aller rejoindre des camarades qui marchent dans d’autres villes québécoises. Béa et Kelly ne vont pas toujours aux mêmes événements pour le climat, chacune vit son activisme de façon indépendante : « Béa est très autonome, elle mène sa propre vie, et je mène la mienne, explique Kelly. Mais on se consacre à la même cause, c’est ce que je trouve beau.

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– C’est vrai, je vis ma propre vie, dit Béa. Et j’ai toujours eu une personnalité d’activiste, c’est-à-dire têtue et annoying ! »

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Photo par Betsy-May Smith

Kelly confie qu’elle découvre chaque jour des nouvelles facettes de la personnalité de sa fille : « Je vois vraiment Béa sous un autre jour après cette entrevue, nous dit Kelly à la fin de notre rencontre. Elle est poised et très articulée, je suis épatée par ses public speaking skills, je suis vraiment très fière. »

Béa lève les yeux au ciel en soupirant, mais pose tout de même sa tête sur l’épaule de Kelly. Un love surge, version 14 ans.

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