Le Google humain : la mamie qui collectionnait les journaux

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Le Google humain : la mamie qui collectionnait les journaux

Edda Tasiemka, 93 ans, possède plusieurs dizaines de milliers de pages d'informations.

Tout juste âgée de 10 ans, Edda Tasiemka a été interrogée par la Gestapo. Elle pose un regard distant sur cette expérience traumatisante. « Mon grand frère et mon père ont été déportés, ma mère a fini en prison », précise-t-elle tout en sirotant son thé.

Cette nonagénaire vit aujourd'hui dans le nord de Londres. Sa maison est remplie de meubles anciens et de livres poussiéreux, mais elle n'a rien à voir avec la demeure classiqued'une vieille dame. En effet, Edda Tasiemka collectionne journaux et magazines par milliers, et les classe tant bien que mal par thème – des Spice Girls à l'État islamique en passant par Kim Kardashian. C'est cette habitude qui lui vaut le surnom de « Google humain ».

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Edda et son mari Hans ont inauguré cette collection dans les années 1950. Après la mort de son époux en 1979, elle n'a pas cessé cette habitude. Des dossiers entourés de papier kraft jonchent le sol de sa maison, tandis que des journaux jaunis s'entassent dans les couloirs. À chaque thème sa pièce : la politique dans le salon, la médecine dans la cuisine, le sport dans les toilettes, la religion dans la chambre et les faits divers dans le grenier.

On a eu la chance de passer un petit moment avec Edda afin d'en savoir plus sur la façon dont elle s'y retrouve parmi ces millions de bouts de papier, et sur le regard qu'elle porte sur Internet – son alter ego numérique.

VICE : J'ai lu quelque part que vous aviez grandi au cœur de l'Allemagne nazie.
Edda Tasiemka : En fait, mon enfance est difficilement descriptible. Je me souviens que je vivais avec ma mère dans un immeuble et que nos voisins refusaient de nous saluer parce que nous disions « Bonjour ! » au lieu de « Heil Hitler ! ».

Notre vie était très difficile, bien entendu. La Gestapo débarquait une fois par semaine chez nous pour fouiller l'appartement. Je me souviens de types portant de longs manteaux, qui tambourinaient sur notre porte en hurlant.

Votre vie était-elle en danger ?
Dans mon école, près de Hambourg, j'étais la seule gamine sur 300 à ne pas faire partie des Jeunesses hitlériennes. Je n'avais pas d'uniforme. Ma mère rendait tout le temps visite au directeur de l'établissement, un certain Honko, qui essayait de la convaincre de me faire rejoindre le mouvement.

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Mon père était communiste. Il a été arrêté par les Nazis puis relâché lors de l'amnistie de Noël, en 1933 – par erreur, ce qu'il a appris plus tard. Un policier de la ville a fini par lui conseiller de quitter le pays, ce qu'il a fait en traversant la frontière en ski pour atteindre la Tchécoslovaquie ! La Gestapo a arrêté ma mère par la suite, et a condamné notre appartement. J'ai emménagé chez un ami, qui était juif – vous imaginez bien que je n'étais jamais sereine.

Quand avez-vous pris la direction de Londres ?
J'ai rencontré Hans alors qu'il faisait partie de l'armée britannique, stationnée à Hambourg à la fin de la guerre. Il travaillait en tant que journaliste à Berlin avant l'arrivée des Nazis. Il avait toujours sur lui des coupures de presse, qu'il envoyait à un ami vivant à Londres. C'est comme ça que tout a commencé.

Hans a été naturalisé puis démobilisé en 1949. On a voulu se marier et il m'a convaincue de le rejoindre à Londres. Après l'achat d'une maison à trois étages, les journaux ont commencé à prendre de plus en plus de place.

Comment fonctionne le classement ?
En fait, on a classé les articles en fonction de leur thème principal. Toutes les coupures sont classées alphabétiquement et, lorsqu'un thème devient trop volumineux, un fichier spécial est créé. Au départ, tout était parfaitement ordonné mais, aujourd'hui, il y a juste trop de choses.

Les gens cherchent souvent des vieilles coupures, parce que les articles récents sont tous sur Internet. Certains de mes journaux datent de l'ère victorienne !

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Quels sont les thèmes les plus recherchés ?
Les célébrités britanniques. Le show-biz passionne les gens. Je conserve la trace de tous les envois de coupures dans un carnet. Récemment, on m'a demandé des articles au sujet de la Reine, d'Helena Bonham Carter ou encore des fantômes de la famille royale.

Un journaliste allemand a cherché à en savoir plus sur les jumeaux Kray – ça tombait bien, je possède deux larges dossiers sur eux. Les médias en parlaient tellement, vous imaginez bien.

Que va-t-il advenir de toutes vos coupures ? Vous cherchez à les vendre, n'est-ce pas ?
En fait, je souhaite vendre toutes mes archives d'un seul coup – ce qui rend les choses compliquées. Malgré tout, je n'ai pas hâte de voir tous mes journaux disparaître. Je serai très triste.