Dans le camp de Cleunay à Rennes, 2014. Toutes les photos sont de l’auteur.
Samedi 2 août, vers 3h du matin, sept individus ivres sont entrés sur le campement des migrants du quartier de Cleunay, à Rennes. Ils y ont proféré des insultes racistes en dégradant à la chaîne et au bâton les parties communes puis les réserves de nourriture, avant de frapper les tentes et menacer leurs habitants. Selon l’un des habitants du campement, l’un d’eux aurait dit : « Crevez comme des porcs, vous qui vivez comme des chiens. » Tandis qu’une plainte a été déposée contre X pour menace en raison de la race, tout cela ne relèverait que d’un « incident de voisinage » pour la préfecture de Rennes.
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Le campement de Cleunay héberge aujourd’hui une soixantaine de personnes dont 23 enfants et trois femmes enceintes. Les communautés qui le peuplent viennent de Géorgie, d’Arménie, d’Albanie, du Kosovo, du Bangladesh, du Maroc et de Libye. « Ces nationalités sont représentatives de la population des migrants à Rennes, estimée à environ 300 personnes. La majorité de ces personnes sont présentes depuis de nombreuses années en France », explique Carole Bohanne de l’association Un toit c’est un droit. Parmi eux, on compte des personnes échouées ici après l’évacuation de l’Église St-Marc cet hiver. Le campement a quant à lui été construit par les migrants avec l’aide des associations Un toit c’est un droit, le MRAP et le RESF. Actuellement, cinq des 19 migrants en provenance de Calais après l’évacuation du Camp Salam début juillet et transférés au Centre de rétention de Rennes sont hébergés dans un squat géré par les mêmes associations.
Le camp, peuplé en majorité de migrants venant d’Europe de l’Est, 2014.
L’affaire a récemment fait le tour du web et de la presse locale. Simultanément, tandis que les associations se relayaient le jour et que les migrants mettaient en place des quarts de surveillance la nuit, le collectif antifasciste rennais a passé plusieurs nuits à surveiller les alentours.
Un commissaire de police s’est déplacé en personne au camp, accompagné de trois agents ainsi que de deux membres de la Brigade anti-criminalité (BAC). Ils ont pris les dépositions des migrants – dont certains parlent couramment le français – et ont entendu les propos et les différentes menaces proférées. Pourtant, dans la nuit du dimanche au lundi suivant, une voiture s’est à nouveau approchée du campement, et une personne en est descendue pour pousser « deux cris stridents » avant de s’enfuir dans la foulée, selon une militante de l’association Un Toit c’est un Droit présente sur les lieux.
Suite à ce deuxième incident, la surveillance nocturne a été renforcée par les associations et les militants de l’extrême gauche antifasciste, lesquels souhaitent désormais constituer une « ligne d’auto-défense » 24h/24. Ces derniers, qui refusent en général de s’adresser aux médias, ont répondu en exclusivité à nos questions à propos des racistes alcoolisés de Rennes et ses alentours.
Plusieurs migrants du camp en train de monter une tente, 2014.
VICE : Comment avez-vous réagi face à cette attaque ? S’agit-il d’une véritable agression raciste ?
E. des antifas de Rennes : Nous nous sommes immédiatement rendus auprès des migrants afin de nous assurer qu’il n’y avait pas eu de blessés et de leur témoigner notre solidarité. Ça peut paraître dérisoire, mais ce qu’ils vivent au quotidien est tel qu’affronter seuls ce genre d’agression rendrait les choses insupportables.
Nous avons discuté avec eux, ainsi qu’avec les militants qui les accompagnent au quotidien ; cela nous a permis d’identifier de façon indiscutable des membres connus de l’extrême droite rennaise. C’est ce qui nous permet d’affirmer qu’il s’agit bien d’une véritable attaque raciste perpétrée par des nazis, et donc de balayer les déclarations de la préfecture qui présente les évènements comme un banal conflit de voisinage.
S’agit-il selon vous d’un acte isolé ?
C’est un acte particulier, plutôt – il s’agit de la première attaque concertée et menée en groupe à l’encontre de ces migrants. Ça reste cependant ce que l’on pourrait qualifier de « pogrom festif », c’est-à-dire qu’on a affaire à des gens suffisamment malsains pour s’amuser à terroriser des familles qui ont déjà une vie infernale à cause de l’État et du Parti socialiste.
OK. Ils étaient saouls et se sont dit, « Tiens, et si on allait emmerder les familles d’Europe de l’Est », c’est ça ?
Comme souvent avec l’extrême droite, c’est un acte d’opportunité. Mais il ne s’agit pas pour autant de la seule attaque menée à Rennes – bien que les fascistes n’y soient pas très nombreux. Au fil des années, on ne compte plus les agressions physiques ni les tags racistes – voire ouvertement nazis – perpétrés dans la ville. Les individus qui ont attaqué le camp sont par ailleurs impliqués dans de nombreux méfaits de ce genre. On trouve notamment parmi eux un petit nombre d’individus que nous considérons comme dangereux. Ce coup-ci, ils ont simplement un peu monté la barre, on pourrait dire.
Pensez-vous que l’agression soit liée à des organisations de type Jeunesses nationalistes, Bloc identitaire, etc. ?
La question est en réalité plus délicate : une partie de ces individus sont ou ont été en effet membres d’organisations d’extrême droite telles que Jeune Bretagne. Cependant, ce qui s’est passé ce week-end relève plus d’une volonté de bien rigoler entre nazis. Il est impossible de dire que telle ou telle organisation est responsable de l’attaque – quoique, bien entendu, aucun de ces individus ne soit un électron libre.
À chacun de se faire une opinion sur la responsabilité des organisations d’extrême droite dans les violences racistes qui découlent de leur propagande politique – en ce qui nous concerne, nous les dénonçons depuis longtemps. On pourrait également citer la constante propagande menée par de soi-disant médias en ligne tels que Breizh Info ou Breiz Atao.
Quelle forme va prendre votre soutien aux migrants après cette agression à caractère raciste ?
C’est à notre connaissance la première fois que cela se produit ici. Notre attitude reste donc à discuter. Mais selon moi, la meilleure façon de protéger les migrants serait que la mairie cesse de les laisser en pâture aux fascistes et leur offre un hébergement pérenne. Après l’exercice d’une telle violence à leur encontre, les laisser à la merci des racistes est une responsabilité que la maire socialiste Nathalie Appéré et son équipe devraient soigneusement peser.
OK, merci les gars.