Craig Atkinson est le tout premier illustrateur dont je suis tombée amoureuse, et j’aime tout autant l’éditeur et photographe qu’il est devenu aujourd’hui. La première fois que je lui ai acheté des zines, il me les a envoyés dans une grande enveloppe cartonnée ornée d’un super beau timbre : je l’ai gardée des années, juste parce qu’il y avait son écriture dessus. Et je ne suis pas la seule groupie à faire ça, puisque même la Tate Modern lui achète une grande partie de ses bouquins pour sa collection.
En 2005, Craig Atkinson a fondé Café Royal Books, sa maison d’édition, après plusieurs années à bosser la peinture et l’illustration. Aujourd’hui il photographie, collectionne, et imprime les restes d’une Angleterre qui change, dressant une sorte d’état des lieux de ce qui s’est passé de l’autre côté du Shuttle ces trente dernières années.
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Avec CRB, Craig publie au rythme d’un par semaine, parfois par quinzaine, des petits photozines qui semblent sortir tout droit d’une imprimante jet d’encre de bureau. Chaque bouquin possède une sorte de thématique, traitée par un photographe ; souvent Craig lui-même mais aussi d’autres mecs doués comme John Claridge, Phil Marxwell ou John Darwell. Ses photozines sont édités à seulement 150 exemplaires – le dernier que j’ai chopé s’est écoulé en 56 minutes après sa sortie. C’est super beau, et ça ne coûte que 5 pounds. Je lui ai écrit pour discuter de changements sociaux en Angleterre, de pellicules photo anonymes et de son caractère obsessionnel.
VICE : Vous étiez plus dans l’illustration avant. Comment s’est passée votre transition à la photo, quand vous avez créé Café Royal ?
Craig Atkinson : Je fais encore pas mal d’illustration, et je file toujours des cours d’illustration, aussi. Au début, je peignais, et aujourd’hui je dessine, je prends des photos et je fais des livres. Je me suis mis à faire des bouquins pour pouvoir montrer mon travail rapidement, à l’international, sans que ça me coûte trop cher. Je me sers de la photo pour documenter les choses rapidement. La vitesse joue un grand rôle dans ce que je fais.
Ça fait maintenant 7 ans que vous avez créé CRB. Sachant que vous imprimez environ un livre par semaine, vous devez avoir un catalogue impressionnant. J’étais déçue de ne pas trouver de site Internet qui réunisse toutes vos archives.
Il existe des archives partielles en ligne. J’aurais besoin d’un stagiaire pour le faire, ou de temps pour le faire moi-même. C’est un énorme boulot. J’ai publié quelque chose comme 150 ou 200 bouquins jusqu’ici. Ça n’est pas si impressionnant que ça, mais je suis tout seul à le faire. J’aimerais bien avoir des archives complètes, mais je manque de temps.
J’ai l’impression que vous êtes un collectionneur assez compulsif – parfois, on ne sait même pas ce que vous collectionnez, ou ce qui relie vos fanzines entre eux… Des centrales nucléaires, des architectures géométriques, des râleurs londoniens, des portes cochères… C’est quoi le lien entre tout ça ?
Je suis assez compulsif, et très obsessionnel. J’aime collectionner des trucs, mais j’aime l’espace et je déteste le bordel, donc les objets imprimés c’est l’idéal, tout comme le numérique. Mais d’une certaine façon, les objets imprimés me rassurent.
Et ce rendu noir et blanc un peu granuleux ? Vos photos ont souvent l’air d’avoir dix ou vingt ans de plus qu’en réalité.
Parfois, je retravaille mes propres images d’une façon assez grossière. Je ne touche pas aux images que m’envoient les autres artistes, en revanche, sauf si c’est nécessaire. Mais certaines images remontent aux années 1960.
Donc vous ne vous limitez pas à une seule période. Vous sélectionnez des séries qui ont presque quarante ans, et d’autres beaucoup plus contemporaines. Juste après avoir sorti South Liverpool 1976-1982, vous avez publié London Circus, sur le Londres d’aujourd’hui.
Oui effectivement, London Circus, c’est une série qui date de l’été 2013, tandis que les photos de Liverpool par Phil Maxwell datent des années 1970 et 1980 – une période particulièrement difficile pour les habitants de Liverpool. Shooter cet endroit aujourd’hui serait encore intéressant, mais ce qui m’intéresse par-dessus tout, c’est que les défis sociaux et politiques soient documentés. Je ne nie pas les changements actuels en Grande-Bretagne, avec tous ces magasins des artères commerciales principales qui mettent la clé sous la porte, mais je ne pense pas qu’ils soient aussi importants qu’à l’époque où les mines ont fermé ou que les docks ont périclité.
Et les photographes que vous publiez à Café Royal : c’est vous qui les contactez, ou eux qui vous envoient leurs travaux ?
Je dirais moitié-moitié. J’invite d’autres artistes à participer, et certains m’envoient des propositions. Je n’ai jamais quelque chose de précis en tête, donc je cherche vraiment à ne rien chercher, justement. Si un thème vient à se développer, tant mieux.
À propos de la série « Someone Else’s… » : c’est assez surprenant de constater que les pellicules de parfaits inconnus collent à ce point à la plupart de vos autres publications. Comment vous vous les procurez ?
J’achète des appareils photo d’occasion. Je les achète seulement s’ils ont encore une pellicule à l’intérieur. La plupart du temps, il n’y a rien sur la pellicule, mais parfois ils contiennent assez de clichés pour mettre en place une sorte de récit. Je me laisse le temps d’y penser et je publie certaines photos.
CRB a pas mal de succès, on dirait. Vos fanzines sont épuisés très vite, parfois une heure après leur mise en vente, et la Tate les acquiert pour sa collection. C’est quoi vos prochains projets ?
CRB est une réussite, en effet. Beaucoup de galeries collectionnent mes livres, et beaucoup de librairies les vendent dans le monde entier. J’ai pas mal de projets en cours de discussion. En octobre, j’ai invité John Claridge à revenir en Angleterre pour parler de son boulot et lancer un ouvrage regroupant ses nouveaux travaux sur la Ribble Steam Railway à Preston. J’ai aussi de nouveaux bouquins sur l’architecture brutaliste à Londres et sur les stations de bus de Preston. Plus de trucs de Phil Maxwell, Hugh Hood, John Claridge Homer Sykes et de Jim Mortram…
J’ai hâte. Merci Craig !
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