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Tiens donc, « coronavirus » est trending sur Pornhub

À l'instar du journalisme, le porno n'échappe pas au règne mortifère du clickbait dérégulé.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR
Pornhub coronavirus
Capture d'écran : Pornhub

Chaque jour que Dieu fait vient nous rappeler ce proverbe éternel : tous les kinks sont dans la nature. Y compris les kinks dits « d'actualité » : en se rendant sur Pornhub aujourd'hui, on peut y découvrir qu'après les Gilets jaunes l'année dernière, c'est désormais au tour du coronavirus d'avoir l'insigne honneur de devenir un trending topic sur le célèbre site de vidéos de cul. On attend avec impatience le mot-clé « 49.3 », avec Edouard Philippe en hentai qui fait passer la réforme des retraites « en force ».

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Aux côtés de la mention « fake taxi barely legal », on note le nom de Lysandre Nadeau, influenceuse québécoise qui créait la polémique il y a quelques jours car elle avait décidé de vendre des photos intimes d'elle à un site Internet. Mais on trouve également l'actrice Florence Guérin, mamounette relativement obscure du cinéma français dont la dernière apparition sur grand écran remonte à 2016. On repassera sur l'actu chaude donc. Il n'empêche, ce fantasme de la « vraie vie » n'a rien de nouveau chez Pornhub : en décembre dernier, quand le site publiait son bilan de fin d'année, on découvrait que beaucoup de recherches concernaient des célébrités on ne peut plus normies, comme Neymar, PewDiePie ou encore Kylie Jenner. Avec, soit dit en passant, pas mal de deep fakes à la clé.

Le cas du coronavirus diffère toutefois sensiblement des autres sujets de proximité (comme les gilets jaunes ou, au hasard, le salon de l'agriculture), sur lesquels ont pu surfer des marques comme Jacquie & Michel. Car si le porno reflète la société, qu'est-ce que ça dit de notre monde contemporain de vouloir se pougner sur des gens qui vont potentiellement bientôt crever ?

Le regain d'intérêt du film Contagion de Soderbergh pourrait apporter un début de réponse. Ce film, sorti d'abord en 2011 mais qui a connu un regain de popularité suite à l'actualité récente, dépeint une épidémie qui a pas mal de points communs avec le coronavirus 2019-nCoV apparu en Chine en fin d'année dernière – comme la (supposée) transmission par un animal sur un marché chinois, ou le fait que le virus commence par des symptômes grippaux – avant de décimer à peu près toute la population mondiale. Le film de Soderbergh nous permet de vérifier cet adage qui veut que la fiction consiste souvent à jouer à se faire peur, pour déjouer les affres de la réalité ou pour simplement s'amuser un peu, ce qui renforce à la fois la psychose ambiante et le petit frisson de plaisir alimenté par la machine à fantasmes du cinéma.

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Car pour l'instant, le coronavirus est encore au stade du fantasme. Comme on l'évoquait récemment en ces pages, la psychose autour de l'épidémie résulte principalement dans sa communication médiatico-apocalyptique : ces derniers temps, il suffit d'allumer BFM TV ou de capter l'hystérisation des pseudo-spécialistes sur les plateaux télé pour avoir l'impression d'être au bord de l'extinction de l'espèce humaine. Et existe-t-il quelque chose de plus excitant que de baiser quand c'est la fin du monde ?

Le plus simple serait encore d'aller juger sur pièce. À défaut, on peut donc déjà se rendre sur Pornhub. Quand on tape « coronavirus », les premiers résultats ne sont pas trop déroutants, ni même très variés dans leurs propositions : grosso modo, ça va du fantasme classique du touche-pipi de docteur aux Chinoises - rappelons que les termes les plus recherchés en 2019 étaient « japanese », « hentai », « lesbian », « milf », « korean » et « asian ». On trouve même des vidéos à visée informative, comme celle qui s'intitule « Les escortes chinoises portent ces jours-ci des masques pour se protéger ». Globalement, on sent une volonté de capitaliser sur l'actu chaude, avec des vidéos sans grosse prise de risque, vouées à mourir dans les limbes de l'Internet au moment même où elles sont digérées. Rien de bien révolutionnaire, donc.

Si la fonction du porno est d'offrir du prêt-à-consommer et à digérer instantanément, elle semble ici atteindre son stade terminal – d'ailleurs, la vidéo la plus vue plafonne à 240 000 vues (« le coronavirus ne pourra pas la stopper ! »), et ne montre qu'une simple vidéo de masturbation (avec tout de même une pince à linge accrochée au clitoris) sans aucun rapport direct avec le coronavirus, si ce n'est que la jeune femme en question est vraisemblablement chinoise. Ce qui qui accrédite la thèse de la vilaine récupération sans foi ni loi, où il suffirait juste de rajouter « coronavirus » dans le titre pour appâter le chaland. À l'instar du journalisme, le porno n'échappe pas au règne mortifère du clickbait dérégulé.

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Juste après, on tombe sous la barre des 30 000 lectures, ce qui place le mot-clé « coronavirus » dans la catégorie des succès de niche – mais à l'image du virus, on ne sait pas comment les chiffres vont évoluer. Les pitches sont tout de même plus aguichants que leur contenu : ici, pour contrer la maladie, on trouve un remède à base de creampie. Là, on trouve une vidéo de « protestation » contre le coronavirus – mais rassurez-vous, c'est juste une vidéo de fellation avec un masque (même pas sanitaire) tout ce qu'il y a de plus banal. Plus loin, on sent que l'écriture a été un peu plus travaillée, une vidéo au ton franchement parodique qui présente un couple qui tente de s'embrasser en portant un masque, avec le classique 80's cheesy « Take My Breath Away » de Berlin en fond sonore - l'effet est tout de même un peu bizarre. Notons que cette dernière est la seule qui semble venir d'un compte professionnel, littlesquirties, tenu vraisemblablement par un « vrai couple ». Ce qui nous conforte de la soif de réalisme qu'induit le mot-clé « coronavirus » sur les sites de cul. Le site Topito nous indique d'ailleurs que « la recherche "amateur" a augmenté en 2019 de 108% et "verified couples" de 93%. »

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Capture d'écran : Pornhub.

Au milieu de ce marasme, une vidéo assez « golri » surnage. Intitulée « Nuke Iran » (soit, « lâcher une bombe nucléaire sur l'Iran »), elle nous présente un individu vêtu d'un hoodie rouge expliquant doctement pourquoi il déteste ce pays et qu'il faudrait le bombarder. Je ne sais pas vraiment quoi faire de cette information, ni même quel est le rapport avec le coronavirus. Mais quand on sait que les deux ennemis déclarés de Trump, l'Iran et la Chine, sont ici en surreprésentation, ça nous fait au moins une belle mise en abime autour du fantasme et de la paranoïa. Qui se cache derrière ce coup d'éclat ? Les Chinois ? Poutine ? Trump qui se serait mis en cheville avec le géant du porno pour y planquer de la propagande anti-Iran ?

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Capture d'écran : Pornhub.

À défaut de pistes concrètes, on préférera laisser planer le mystère. Dans tous les cas, s'il y a une chose à retenir de toute cette histoire, c'est que si le porno est vraiment le reflet de notre société, pas de panique, cette dernière est toujours aussi malade.

Marc-Aurèle Baly est vaguement sur Twitter.

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