belgique legalisation cannabis
Drogue

Bon, maintenant qu’on a un gouvernement, on va légaliser ou pas ?

En 2021, la loi belge sur les drogues aura 100 ans. On ferait pas une petite mise à jour ?
Brecht Neven
Ghent, BE
LP
illustrations Lotte Peeters
Mechelen, BE

Peu à peu, on légalise le cannabis un peu partout dans le monde. Le Canada, le Luxembourg, une partie des États-Unis et l'Uruguay ont notamment légalisé la weed à usage récréatif. En Belgique, notre précédent gouvernement était parti dans le sens inverse : le Gouvernement Michel Ier avait mis en place une politique répressive. 

La N-VA étant maintenant dans l'opposition, la coalition Vivaldi pourrait prendre un chemin différent. D’autant plus que sa composition est assez similaire à celle du Gouvernement Verhofstadt I, qui avait, au début des années 2000, lâché du lest au niveau de la loi sur les drogues. De plus, quasi tous les partis de la coalition Vivaldi se sont déclarés en faveur d'une politique plus libérale niveau cannabis. 

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VICE s'est entretenu avec le président du sp.a. Conner Rousseau, le cabinet du ministre de la justice Vincent Van Quickenborne et Tom Decorte, professeur de criminologie et expert en drogues à l'UGent.

Quand la guerre contre la drogue devient une guerre contre les dealers 

En 2021, la loi belge sur les drogues aura 100 ans. On pourrait peut-être fêter ça en faisant une petite mise à jour ? La dernière actualisation majeure date de 2003. À l'époque, la ministre de la santé Magda Aelvoet (Groen), avait donné « la plus faible priorité » aux poursuites contre les détenteur·ices de drogues douces. En 2005, une circulaire est venue clarifier la loi. Détenir du cannabis ou en cultiver est punissable quand les conditions suivantes sont réunies :  vous êtes majeur·e, vous possédez un maximum de 3 grammes de cannabis ou une plante cultivée et votre détention ne s'accompagne pas de circonstances aggravantes ou de troubles à l'ordre public. 

Comparé à ça, le Gouvernement Michel Ier, avait donc une interprétation plus stricte de la loi sur les drogues. Par exemple, un accord stipulait : « La possession de drogues est interdite. La consommation de drogues dans l'espace public ne peut pas faire l'objet de tolérance. », signant le retour à une politique de tolérance zéro.

Le bourgmestre d'Anvers et président de la N-VA Bart De Wever – fervent partisan de la lutte contre la drogue – avait contribué à mettre en pratique cette interprétation plus stricte. Vu que la N-VA ne fait plus partie du gouvernement fédéral, cela pourrait-il signifier que Vivaldi va adopter une politique plus progressiste à l'égard du cannabis ? Le ministre de la santé Frank Vandenbroucke (s.pa), en charge de la politique des drogues, était trop occupé par la lutte contre le coronavirus pour nous répondre, mais son collègue de parti Rousseau a répondu pour lui : « Je ne peux pas cacher le fait qu'au cours des négociations, j'étais favorable à la légalisation. Seulement, il n'y a pas eu de consensus. En tout cas, on ne va pas rejeter totalement l’idée de la légalisation ». 

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Au sein du gouvernement actuel, seul le CD&V semble s'en tenir à une position plus ferme contre la consommation de drogues. Cela n’empêche qu’on pourrait voir le nouvel accord de coalition comme une bouffée d'air frais. À part le CD&V, tous les autres partis étaient favorables à la légalisation avant les élections, que cela ait été inscrit dans leur programme ou évoqué dans les médias. 

Malgré ça, la légalisation, c’est pas gagné d’avance. « La composition de ce gouvernement est extrêmement adaptée à une réforme en profondeur de la loi sur les drogues, mais cela nécessite beaucoup de courage politique. », avance Tom Decorte. La légalisation est peut-être un objectif trop ambitieux pour la coalition Vivaldi. Alors, à quoi s’attendre à la place ?

« Pour la politique en matière de drogue, nous déplaçons la guerre contre la drogue vers une guerre contre les trafiquant·es. Nous voulons réduire la consommation problématique et rendre l'utilisation récréative moins dangereuse. Je ne peux rien promettre, mais j'espère que nous pourrons travailler sur des lois qui se concentrent sur la réduction des risques et la prévention et non sur la répression, comme c’est le cas au Portugal. », ajoute Conner Rousseau.

La Belgique va-t-elle ouvrir la porte aux cannabis social clubs ?

En réalité, la Belgique a longtemps eu ce genre d’endroit. Le plus connu – et le plus ancien – était Trekt Uw Plant (TUP). Après avoir remporté plusieurs procès en appel, ce cannabis social club anversois a fini par fermer en juin 2019. Le staff avait lancé une campagne de financement participatif, mais a déposé le bilan en avril 2020. Sans surprise, c’est la juridiction d’Anvers qui a fini par l’achever. 

« Pendant un certain temps, il y avait environ huit cannabis social clubs en Belgique. Ils profitaient d’une zone grise niveau tolérance. Le raisonnement était simple : si chaque adulte est autorisé·e à cultiver une plante de cannabis, pourquoi ne pas laisser une asbl de 25 personnes s’en occuper ? », explique le professeur Decorte. 

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Le modèle du cannabis social club vient d'Espagne, où il en existerait environ un millier. Il existe d’autres asbl de ce genre dans 11 autres pays européens. L’Uruguay a été le premier pays où ce modèle a été récemment mis en place de manière totalement légale et réglementée. « Les social clubs semblent donc être un bon moyen d’encadrer la légalisation du cannabis : le gouvernement garderait le contrôle du marché tout en tenant à l’écart les acteurs commerciaux à but lucratif. », ajoute Decorte.

S’il n’est pas question de régulariser, quelle est la prochaine étape ? Une seconde chance accordée aux social clubs ? Déjà avant les élections, Rousseau était très favorable à la création de social clubs. Dans une tribune parue dans De Morgen en mars 2019, il déclarait : « Notre proposition : des cannabis social clubs. Des lieux à but non lucratif où la culture du cannabis sera autorisée uniquement pour leurs membres. » Plus récemment, Rousseau a réitéré son plaidoyer pour la légalisation dans l’émission flamande  « Slimste Mens Ter wereld ». 

Dans le passé, l'actuel ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), avait également fortement préconisé une politique plus tolérante en matière de drogue. Dans une interview accordée en mai 1999 à Het Laatste Nieuws, il avait déclaré qu'il aimerait fumer un joint au Sénat s’il est élu. « De temps en temps, je fume un joint. Ça me rend heureux. Et au pire, j’ai un fou rire. », avait-t-il ajouté. À l’époque, Van Quickenborne plaidait en faveur du retrait total du cannabis du droit pénal.

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En mai 2019, 20 ans plus tard, juste avant les élections, il réitère cette position dans Het Laatste Nieuws : « Les opposant·es criminalisent les consommateur·ices de cannabis. Pour moi, c'est une question de santé. Beaucoup de gens l'utilisent de manière raisonnable, comme l'alcool. » Comment Van Quickenborne considère-t-il ces déclarations aujourd'hui ?  

Dans une réponse par e-mail, le porte-parole du ministre déclare que les poursuites judiciaires dans les cas individuels relèvent de la responsabilité du ministère public. Il fait référence à une circulaire de 2018 qui traite en détail de la distinction entre l'usage personnel, la possession dans le but de vendre et les circonstances aggravantes.

VICE n'a pas eu de réponse à la question de savoir si le ministre Van Quickenborne envisage les social clubs comme une option ou non. Toutefois, son porte-parole a confirmé que la justice se concentrera davantage sur la lutte contre les gros trafiquants, la mafia de la cocaïne, et orientera plus activement les consommateur·ices à problèmes vers les services sociaux. 

La Belgique va-t-elle rester à la traîne ?

Il semble plutôt clair que ce n’est pas non plus sous Vivaldi que la politique en matière de cannabis changera de manière radicale. La Belgique risque donc d’accumuler son retard sur d’autres pays. La weed récréative est légale dans 15 États américains. Dans de nombreux autres États, la possession est décriminalisée et le cannabis médicinal s'est installé. Le Canada, le Luxembourg, l'Uruguay, l'Afrique du Sud, bientôt rejoints par la Macédoine et le Mexique, ont complètement légalisé l’usage non-médical du cannabis. 

Le déficit budgétaire de la Belgique atteint des niveaux records à la suite de la crise du coronavirus. Ce ne serait pas une si mauvaise idée de laisser la légalisation du cannabis jouer un rôle dans une stratégie de relance économique. Le commerce de CBD a par exemple rapporté 4,8 millions d'euros en moins d'un an à l'État belge. C’est l’actuel Premier ministre Alexander De Croo – alors ministre des finances – qui avait sorti le cannabis sous forme de CBD de la zone grise en 2018. 

Lentement, mais sûrement ?

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