Drogue

Les médias néerlandais ont involontairement popularisé une nouvelle drogue

Beaucoup de jeunes ont cherché à se procurer de la 3-MMC après avoir vu des reportages alarmistes sur le sujet.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Capture d’écran 2021-03-12 à 12
PHOTO : TOM KIEL

À l'automne 2020, la docusérie Verdoofd suivait le quotidien de Boaz, un Néerlandais de 27 ans qui ne dormait plus depuis qu’il avait découvert une nouvelle drogue : la 3-MMC. Il lui fallait désormais sa dose avant de faire quoi que ce soit, y compris plier le linge. Depuis la diffusion de son histoire, les médias néerlandais sont devenus obsédés par la 3-MMC, également connue sous le nom de métaphédrone – une molécule de synthèse de la famille des cathinones, proche de la 4-MMC, ou méphédrone. La plupart des pays qui ont interdit la 4-MMC ont également interdit la 3-MMC en raison de sa structure similaire, mais aux Pays-Bas, elle peut encore être achetée légalement.

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Plusieurs reportages sur le sujet sont sortis dans un court laps de temps afin d’alerter sur cette nouvelle drogue de l'horreur qui détruisait de jeunes vies. Les parents ont désespérément tiré la sonnette d'alarme au sujet de cette substance potentiellement mortelle, tandis que les maires du pays, apparemment « à bout », se sont unis pour écrire une lettre au ministre néerlandais de la Justice afin d'attirer son attention sur le fait que la 3-MMC était toujours disponible légalement.

Mais si la 3-MMC est aussi horrible et addictive, pourquoi est-elle populaire ? Les reportages alarmistes ont commodément omis cette question, alors nous avons demandé au mec qui a inventé la drogue en premier lieu. « La 3-MMC est très utile si vous voulez être momentanément plus gentil avec les gens qui vous entourent », explique celui qui se fait appeler Dr Zee. Il a mis au point la 3-MMC et des dizaines d'autres drogues de synthèse similaires pour une société basée en Israël, et affirme qu'il teste toujours ses inventions lui-même avant de les distribuer. Il est convaincu que ses drogues peuvent être utilisées dans toutes sortes d'applications thérapeutiques et médicinales, notamment pour améliorer la concentration et limiter les tics physiques chez les patients atteints de la maladie de Parkinson. 

Cela dit, Dr Zee reconnaît que certaines personnes ont du mal à contrôler leur consommation. « La 3-MMC fait croire au cerveau que tout va bien. C'est parce que, structurellement, elle ressemble à la dopamine », explique-t-il. La dopamine est un neurotransmetteur de bien-être produit par le cerveau. Malgré l'attrait de la 3-MMC et le risque d'en consommer trop, Dr Zee affirme qu'il existe un moyen sûr d'en profiter. « Il s'agit de créer un système et de trouver un moyen d'utiliser la 3-MMC de manière constructive. »

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Kaj Hollemans, conseiller juridique en matière de politiques nationales sur les drogues, l'alcool et les jeux d'argent, estime que les reportages des médias ont non seulement exagéré le problème de la 3-MMC, mais ont probablement fait exploser sa consommation. « Il y a quelques années, la 3-MMC était à peine connue par qui que ce soit », dit-il au téléphone. Les journalistes, les policiers et les maires se démènent pour informer les jeunes des dangers entourant cette drogue, mais Kaj pense que ces mises en garde pourraient avoir l'effet inverse. « Chaque fois qu'une histoire comme celle-là est publiée, les recherches sur Google pour savoir comment acheter de la 3-MMC connaissent un pic », poursuit-il.

« C'est exactement la raison pour laquelle nous ne voulons plus participer à une quelconque couverture médiatique », me dit par mail Jeannette Ooink, du centre néerlandais de désintoxication Tactus. Après quelques explications supplémentaires sur l'angle de cet article, elle se dit soulagée. Plusieurs journalistes l’ont récemment contactée au sujet de la 3-MMC avec la même série de questions et elle commence à en avoir assez, dit-elle. Elle ajoute que très peu de personnes ont contacté le centre de désintoxication pour obtenir de l'aide concernant cette drogue. La plupart des consommateurs qui ont un problème avec la 3-MMC prennent également des drogues dures plus populaires, comme la cocaïne et le speed. De plus, il n'existe pas d'estimations fiables sur le nombre de personnes qui en consomment. Le peu de connaissances que nous avons actuellement sur cette drogue ne justifie pas la frénésie médiatique aux Pays-Bas, note Ooink.

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Elle tient à souligner que la consommation de 3-MMC n'est pas sans risque et qu'elle peut créer une dépendance. Beaucoup d'utilisateurs disent ressentir un fort besoin de continuer à en consommer une fois qu'ils ont commencé pendant une soirée. En même temps, elle pense que la 3-MMC est surtout utilisée comme une drogue « accessoire » par des personnes qui consomment déjà beaucoup d'autres substances. Il s'agit de jeunes gens vulnérables qui choisissent d’ignorer les risques associés à une consommation excessive de drogues, comme les lésions cérébrales et l'insuffisance cardiaque. 

Les médias devraient regarder plus loin et se demander : pourquoi les jeunes sont-ils attirés par des drogues comme la 3-MMC ? « Les jeunes veulent sortir et s'amuser entre eux, explique Ruud Rutten, directeur de Tactus. Ils sont prêts à repousser les limites. Mais avons-nous créé l'espace dans notre société pour le faire en toute sécurité ? Les écoles se concentrent souvent uniquement sur les études et l'obtention d'un diplôme. Les bars sont de moins en moins adaptés à ces jeunes, car on n'a pas le droit d'y consommer des drogues. »

Par conséquent, les jeunes finissent par faire des expériences en privé, à l’instar de Masha*, qui se définit comme une « consommatrice occasionnelle à domicile ». L’ennui du confinement l’a poussée à chercher quelque chose de nouveau et elle a pris de la 3-MMC pour la première fois en octobre 2020 après en avoir entendu parler aux informations. « Je cherchais surtout des trucs faciles à obtenir, quelque chose qui ne nécessite pas de contacter un dealer peu fiable », explique-t-elle.

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 Le secrétaire d'État du Ministère de la Santé des Pays-Bas, Paul Blokhuis, veut criminaliser cette drogue, considérant qu'elle ressemble beaucoup à des substances illégales comme l'amphétamine et la MDMA. « Nous avons toujours un temps de retard sur les personnes qui produisent ces drogues de synthèse », a-t-il déclaré en novembre 2020. Il travaille actuellement avec le ministère de la Justice pour créer une loi de grande envergure visant à interdire des centaines d'ingrédients bruts utilisés dans la fabrication d’une multitude de substances différentes et à placer la 3-MMC dans la même catégorie juridique que des drogues comme la cocaïne et le speed. Il considère la prohibition comme la seule réponse à ce problème.

Mais Kaj Hollemans, qui connaît bien les politiques néerlandaises en matière de drogue, estime que ce n'est pas la solution. « L’interdiction va en fait créer plus de problèmes, dit-il. Ce n'est pas comme si les substances disparaissaient par magie une fois que vous les rendez illégales. Ce qui manque, c'est une conversation autour de la réduction des risques associés à ces substances. » 

De son côté, Dr Zee estime que le projet du gouvernement néerlandais d'interdire sa création est « clairement une erreur qui sera corrigée très bientôt ». « Bien sûr qu’il y a des risques de surconsommation, mais vous ne pouvez pas blâmer la drogue pour cela, dit-il. Tout dépend de la façon dont vous gérez vous-même cette substance. »

*Le nom a été modifié.

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