Yan Morvan Gangs Story
Toutes les photos sont de Yan Morvan. Avec l'aimable autorisation de La Manufacture de livres.
Culture

Anatomie d'une bande par Yan Morvan

Retiré des bacs à cause de la plainte d’un ancien skin, « Gangs Story », le livre culte du photographe et de Kizo, ancien de la Mafia Z, ressort.
Alexis Ferenczi
Paris, FR

Publié une première fois en 2012 par La Manufacture de livres, Gangs Story se veut une anthologie des bandes, racontant en filigrane une histoire d’immigration, d’urbanisme et de culture. Qui de mieux pour l’écrire que Kizo, un ancien de la Mafia Z, et qui de mieux pour l’illustrer que le photo-reporter Yan Morvan, un mec qui a crapahuté dans tout ce que la planète peut offrir de coins chauds, des bordels de Bangkok aux réunions de Blousons noirs en passant par la piaule de Guy Georges.

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Le bouquin a une histoire au moins aussi agitée que ses auteurs. Il est retiré des étals l’année suivant sa sortie après qu’un ancien skin assigne Morvan et sa maison d’édition en justice. En cause ? Un cliché pris en 1987 sur lequel un mec pose calibré et belliqueux dans une chambre décorée par des posters de la Waffen SS. Au Tribunal de grande instance de Paris, le droit à l’oubli l’emporte sur le droit à l’information. Le photographe et La Manufacture sont condamnés à verser une amende de 5 000 balles et écopent d’une interdiction de commercialiser Gangs Story tant que le cliché incriminé y figurera.

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Les Fifties vivent dans le culte des années cinquante aux États-Unis, le culte d’une Amérique blanche et raciste. Ils en parlent comme d’un âge d’or.

Cette bible exhaustive est finalement ressortie en juin, chez la même maison d’édition. L’occasion de se replonger dans ce phénomène importé des États-Unis dans les années 1950. Conformément au modèle américain, les gangs de France – bikers de la bande de Répu, Black Dragoons ou Red Warriors – ont développé une véritable sous-culture ; logos, signes de ralliement, mode vestimentaire ou musique, à laquelle les 220 photos de Morvan et le texte de Kizo rendent justice.

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Yves dit « le Vent » est d’origine haïtienne, il est arrivé en France à la chute du dictateur Duvalier en 1983 pour rejoindre sa mère, déjà installée à Montreuil. Son père est le membre d’un gang black de Miami. C’est donc tout naturellement que « le Vent » crée l’année de son arrivée en France les Black Dragoons, ou BD, du nom du gang paternel, et en devient le chef fondateur. Il pratique les arts martiaux depuis l’âge de sept ans. En empruntant au vaudou le dragon noir, il réussit la synthèse du Black Power, des sports de combat, et de la magie noire. Ainsi le salut rituel des Dragoons est emprunté à la boxe chinoise. Leurs mouvements sont incompréhensibles à qui n’est pas initié. Pour les Dragoons, ils figurent le combat de l’esprit contre la force. Ces gestes difficiles à garder en mémoire permettraient aussi de piéger les faux Dragoons, une idée empruntée aux gangs de Miami.

Ce dernier, interviewé en 2012 à Grigny par Sylvain Levene pour VICE, donnait sa définition d’un gang : « C’est un rassemblement de personnes organisées dans le crime et reconnu sur trois points forts : drogues, territoires, argent. Une bande, c'est un regroupement de personnes qui partagent les mêmes valeurs, souvent des personnes issues du même quartier, et qui vont affronter une bande rivale ou un quartier voisin. Pour le livre, j'ai pris le mot ‘gang’ parce que c'est plus stylé. Enfin je trouvais ça plus stylé. »

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Et si vous aimez les bouquins stylés, Gangs Story est à nouveau disponible. Voilà quelques tofs pour vous faire une idée :

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Les Black Dragoons, depuis leurs origines, se veulent très structurés. Autour de Paris, des « patrouilles » de quinze à quarante membres contrôlent différents quartiers de banlieue, à Montreuil, Nanterre, Melun, Versailles, Cergy ou Villejuif. Les patrouilles empruntent leurs noms à des figures de la boxe chinoise : les Tigres, les Chimpanzés, les Mantes Religieuses, les Frégates ou les Kamikazes. Ils sont chargés de protéger les quartiers des bandes de « petits blancs », des skinheads, mais aussi des dealers et des voyous, avant de tomber très rapidement dans la guerre des gangs.

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Devant une cité de Vitry, Sté et le gang de l’underground, un groupe de rap. Dans le désespoir urbain, quelques individus réussissent à mener une vie « normale ». Grâce notamment à leur sainte trinité : rap, associations et sport, des jeunes recréent un lien social. Des petits miracles d’intégration et de persévérance.

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Dans les années quatre-vingt-dix, les filles, souvent enjeux et victimes des conflits des gangs, se regroupent en bandes, comme les Shoot Girls, les Amazones ou les Criminal Girls. Certaines ne se contentent plus de jouer les espionnes chargées de donner des renseignements sur les déplacements de l’adversaire ou de porter les flingues dans leurs sacs à main, mais passent à leur tour à l’action en dépouillant les gangs féminins adverses ou les bourges qui portent des vêtements de marque devant les collèges plus huppés.

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Skinhead depuis 1985, Philippe Wagner revendique à ses débuts un nationalisme ambigu. Il évoluera par la suite au point de devenir un militant antifasciste et surtout un des piliers du mouvement SHARP, Skin Head Anti Raciste Préjudice, à la fin des années quatre-vingt-dix. Depuis 2003, avec son groupe Hard Times, il diffuse un message de retour à l’esprit traditionnel des skinheads. Ce mouvement revendique l’esprit originel de 1969, la musique jamaïcaine et le NYHX. Philippe Wagner, « Phil » a également animé le fanzine Zéra, et est très impliqué dans la cause tibétaine.

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La Zegbid est une bande de jeunes originaire de la ville de Grigny qui a été fondée en 2006 dans le quartier de la Grande-Borne, rue du Labyrinthe. Depuis 2011 elle a investi la place de l’œuf et la rue de la Serpente qu’elle a rebaptisées « quartier nord ». Les gangs ont parfois des activités illicites, mais les gros trafiquants de stupéfiants, les « caïds » de cités sont des voyous soucieux de discrétion. Lors des révoltes de 2005, les cités pourvoyeuses de drogue sont restées calmes. Les trafiquants préfèrent vivre cachés. C’est la grosse différence avec les gangs nord-américains, comme les Crips et les Bloods. Si le membre d’un gang est dans l’exhibition outrancière, le trafiquant est lui un commerçant bien inséré dans la société.

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Un chômeur qui va téléphoner pour une embauche hypothétique croise une voiture au pare-brise éclaté.

Gangs Story, Yan Morvan et Kizo, La Manufacture de livres, 320 pages, 55 euros

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