PIGALLE sexe.
Le Pigalle des 90s. (Photo de Yan Morvan)
Culture

Dans le Pigalle des années 1990

Le photographe Yan Morvan a passé une bonne partie de la décennie 1990 à sillonner un Pigalle aujourd'hui un peu perdu de vue.

En cette fin octobre, le photographe Yan Morvan sort aux éditions La Manufacture du livre son ouvrage – Pigalle – dédié au quartier parisien. Entre 1993 et 2004, Morvan a sillonné ce coin de la capitale, épicentre de l’économie du sexe. Nous publions aujourd’hui un extrait de son témoignage écrit et photographique.

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Je suis connu pour mes reportages de guerre, Liban, Afghanistan, Iran-Irak, Irlande du Nord, Rwanda… J’ai assez bien rempli ma mission durant les années 1980 : collaborateur régulier d’une grande agence, attaché aux magazines américains Newsweek et Time. Je suis un des acteurs de ce qu’on nomme « l’âge d’or du photojournalisme ». Les institutions, musées, ministères, s’intéressent à moi, surtout à mes connections avec la presse américaine (correspondant permanent de Newsweek au Liban pendant près de quatre ans). J’affiche pas mal de prix prestigieux à mon compteur, World Press, Capa Special Award, Missouri Price, National Headliner…

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Pierre Carré est un chanteur français, décédé en 2013, qui se produisit depuis plus de quarante ans sur la scène des Noctambules, un bar de la place Pigalle à Paris.

Père (heureux) de quatre merveilleux enfants, j’habite avec ma compagne un atelier d’artiste au sixième étage sans ascenseur. Remercié par mon employeur un 1er janvier 1988, jour où il neige dru, les quatre petits avec moi, je me demande bien ce que je vais devenir. Je comprends très vite que le hot shot (première ligne de front) ne m’est plus réservé. J’ai trente-quatre ans et ma carrière semble terminée.

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Au Folie’s Pigalle (ancien cabaret aux dorures vieillottes), une étape mythique de la nuit parisienne.

Je rencontre Éric Neveu du magazine Lui, qui me commande un reportage sur le monde du porno. Je vais pour la première fois dans un sex-shop pour me documenter. Je découvre un nouvel univers. Le pape du porno s’appelle Michel Ricaud, la star de l’écurie Marc Dorcel. Mon reportage lui plaît, le flatte, et nous devenons assez proches. Je l’initie à la philosophie de Jürgen Habermas, la distinction entre la morale et l’éthique (dans une perspective kantienne), qui le rassure et il m’invite régulièrement à manger un pied de cochon dans un restaurant ultranationaliste du quartier de l’Opéra (il se dit membre de la luciférienne Wicca).

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Sado-masochisme : un grand classique dans la nuit de Pigalle.

Un peu plus tard, avec Jean-Marc Barbieux, rédacteur croisé au mensuel Globe, nous décidons de commencer une grande enquête sur l’univers du X. Il est beau gosse, c’est une bonne carte de visite dans ce milieu. Je lui présente Michel Ricaud, qu’il trouve assez dégoûtant. Le côté trash du projet convient bien à ses aptitudes de dandy punk parisien. C’est l’époque du porno chic ! Au début des années 1990 subsiste le spectre du sida, les années terreur, mais la fête doit reprendre et le modèle des films X américains avec gros budget et filles splendides va trouver un nouveau public de jeunes hédonistes friqués, pré-millenials, ni veggies ni écolos, mais libres d’esprit et de corps qui se la jouent décontractés – Sex is fun.

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Au Folie's Pigalle.

Thierry Ardisson lance sa revue Interview, Newlook suit de près, Penthouse et Lui cartonnent. Tous les mois, on nous donne à Barbieux et moi une page sur le “Monde du sexe” (je suis le pink doctor) dans Entrevue (le mensuel d’Ardisson avait dû changer de nom après les menaces de procès venant des ayant droits de Warhol). On devient les pros du c… Entrevue, Newlook, Penthouse, et même Actuel et Le Monde font appel à nos services de têtes chercheuses de la nouvelle économie sexuelle.

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Le boulevard de Rochechouart et le boulevard de Clichy, surnommé auparavant l’allée des veuves (au regard des nombreux règlements de comptes qui s’y étaient déroulés), sont le théâtre nocturne de la vie de la petite communauté de Pigalle.

Un pote photographe, Patrick Frilet, rencontré pendant les événements d’Irlande du Nord en 1981, me propose de travailler en binôme sur certains sujets. Je suggère Pigalle, nourri de cette toute nouvelle littérature et curieux d’en connaître les dessous. Nous avons nos entrées à Paris-Match. Rendez-vous est pris avec Michel Sola, le rédacteur en chef photo pour lui exposer notre projet commun : raconter Pigalle.

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Des professionnels en sado-masochisme en ont fait leur gagne-pain et mêlent jouissance et vrai plaisir au travail rémunérateur.

Leurs locaux sur les Champs-Élysées sont situés au cinquième étage d’un immeuble haussmannien, avec sur le même palier les rédactions de Newlook et Photo où je publie régulièrement. Difficile d’accès pour les non-initiés, Paris-Match devient un passeport, avec la bénédiction et l’autorisation de Mme Hélène Martini, l’impératrice de Pigalle, toujours bien servie par l’hebdomadaire. Je vais passer plusieurs semaines dans les lieux emblématiques de Pigalle.

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L’accès est parfois difficile, l’anonymat y règne ; les filles qui se produisent sur scène, certaines qui vont au-delà, n’aiment pas se raconter. C’est un job provisoire. Jamais un métier. Le racolage dans les rues est interdit et les passes se font discrètement, dans les lieux privés de certains bars de nuit ou dans les hôtels du quartier où les entraîneuses ont leurs habitudes. La loi française (1983) interdit le racolage : « La prostitution n’est pas interdite, sauf lorsqu’elle porte atteinte à l’ordre public. »

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Les clubs de Pigalle étaient un lieu de recrutement privilégié pour la nouvelle industrie du porno chic. Les réalisateurs et casteurs X fréquentaient assidûment les lieux chauds à la recherche de nouvelles égéries pornographiques.

Mais les dispositions sur le racolage (loi sur la sécurité intérieure de 2003) l’interdisent de facto, au moins dans ses manifestations visibles, c’est-à-dire sur les trottoirs. Le Pigalle des chromos de la littérature et du cinéma, avec ses filles qui vous aguichent sur les trottoirs, va s’en trouver transformé. Le sida crée un vent de panique et limite les contacts trop faciles. Le port du préservatif devient une obligation et les clients se font de plus en plus rares. La prostitution « sauvage » et sans contrainte émigre sur les boulevards extérieurs, les bois de Vincennes et de Boulogne.

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Sur les boulevards, dandys démodés, homosexuels décomplexés, rockers sans le sou, junkies overdosés, marchands des quatre saisons, baraques à frites, à crêpes, à kebabs, portiers de nuit alpaguant le chaland, transexuels prostitués proposant leurs services, dealers de shit, de coco ou d’héroïne, chacun y trouve sa joie ou sa peine.

Montmartre se transforme peu à peu en une destination touristique à l’usage d’étrangers attirés par l’aura du nom et prêts à se faire plumer pour un peu de frisson et de fantaisie. Les rumeurs sont la règle, tel établissement est protégé par les condés (police), la drogue se vend, elle y circule librement. Les Russes ont remplacé les Corses et les règlements de compte n’ont plus cours. Les « bars à bouchons » – les filles sont rémunérées au nombre de bouteilles vendues (les bouchons) – deviennent des lieux d’arnaque où les fins de nuit sont bien difficiles pour les clients alcoolisés…

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J’ai mes entrées chez Michou, anciennement Madame Untel, la scène parisienne où se produisent les plus élégants travestis de tout Paris. Le sujet n’est pas publié, j’assiste à la mercantilisation de Pigalle et l’afflux de touristes venus du monde entier pour se rincer l’oeil et vivre des émois bien ordinaires. Un lieu retient mon attention : le Sexodrome, tentative d’établir un hypermarché du sexe où chacun peut réaliser ses fantasmes et déviances dans une atmosphère « cool et décontractée ». Nous sommes en 2004 et le mensuel Max me commande le sujet.

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Spectacle sado-maso.

Le reste de l’histoire du quartier est à découvrir dans l’ouvrage Pigalle de Yan Morvan, disponible aux éditions La Manufacture du livre.

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