Douane belgique drogue photo
Toutes les photos ont été fournies par la douane belge
Drogue

On peut vraiment cacher de la drogue dans tout et (surtout) n’importe quoi

La douane belge nous a envoyé des photos de planques assez originales.
Matéo Vigné
Brussels, BE

Quand j’étais ado, mes parents ne me cachaient rien et m’exposaient sans risques à tout ce que ce monde pouvait avoir de bon et de mauvais. Je me rappelle très bien des histoires que mon père me racontait de l’âge d’or des Pays-Bas pour les stoners. Ayant toujours vécu dans des pays relativement stricts en matière de drogues, j’arrivais pas à m’imaginer que ce soit légal de fumer un joint dans la rue à Amsterdam. Pire même, de pouvoir s’en procurer légalement dans un coffee shop, comme on demande du paracétamol en pharmacie, une bière ambrée dans un bar ou le dernier CD collector des meilleurs titres de Patrick Fiori à la FNAC.

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Je me souviens que les deux me racontaient, avec des étoiles dans les yeux (ou des feuilles de cannabis), cette époque dorée où l’on pouvait faire son petit marché : un peu d'amnesia par-ci, un peu d’indica par-là, un gramme, deux, trois. Sauf qu’en tant que stoners de haut niveau ayant les yeux plus gros que le ventre, il leur en restait toujours en rab avant de plier bagage pour rentrer vers le Sud. Autant dire qu’en tant que personne racisée, la probabilité pour mon père se fasse arrêter pour un « simple contrôle » dépassait les 100%. La solution ? S’envoyer tout ce qu’il restait, ou du moins une partie, par la poste, comme une belle carte postale consommable, au risque de se la faire saisir au départ ou à l’arrivée sans trop d’inquiétude.

Tous les pays n’ont pas les mêmes politiques en matière de produits illégaux et encore moins en ce qui concerne la drogue. Si des pays s’inspirent petit à petit du Portugal et de sa politique de dépénalisation d’une partie des stupéfiants pour lutter contre l’économie souterraine et mieux contrôler tout ça, certains resserrent la vis à l’infini quitte à installer un dogme du « tout-répressif ». Et pour contourner ça, il y a évidemment les colis. 

En interrogeant Florence Angelici, la porte-parole du ministère des finances (qui a la compétence en matière de saisies douanières), on en apprend un peu plus : « Au niveau drogues, on en trouve beaucoup dans les colis postaux, nous confirme-t-elle. Beaucoup partent de la Belgique vers le monde entier sans forcément être produites ici. On intercepte beaucoup de produits synthétiques : MDMA, XTC, Kétamine. Ces produits proviennent surtout des Pays-Bas, de zones frontalières qui déjouent le contrôle de la police aux frontières. Pour éviter d’être repéré·es dans leurs pays, les trafiquant·es ne postent pas depuis les Pays-Bas mais depuis la Belgique. »

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Cette pratique n’est pas nouvelle, mais les douanes observent une nette augmentation des saisies ces dernières années, avec des planques toujours plus originales. C’est difficile de quantifier, tant la nature et la forme des produits sont différentes. « En termes de nouveautés, je dirais que sur les cinq dernières années on retrouve tout ce qui est tranquillisants : kétamine, GHB, benzodiazépine, entre autres, m’explique la porte-parole. On a une augmentation pour tout ce qui est ecstasy par exemple. On a retrouvé plus de 100 kg en 2021 dans des colis postaux, plus ou moins 20% de plus qu’en 2020. » 

Grâce à la coopération des différents services douaniers, VICE s’est procuré quelques exemples de planques à drogue inattendues, retrouvées dans des colis cramés par les agent·es.

Méthamphétamine, 3-MMC et XTC cachés dans des lampes à lave vers l’Australie

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La rédaction assume la responsabilité du choix de l’arrière-plan de couleur. Pour le reste…

Avec 6 kilos de méthamphétamine, 50 grammes de 3-MMC et 15 ecstas, difficile d’invoquer la consommation personnelle. J’essaye de ne jamais être partial dans mes prises de position mais je pense que l’imaginaire collectif vis-à-vis des lampes à lave c’est un bon gros red flag à babos de type rasta blanc ou pire encore, hippie qui n’a jamais réellement tourné la page. 

Pas forcément le plus feng shui, ni le plus stylé, ni le plus discret.

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MDMA pure dans des emballages de produits revitalisants pour les pieds vers l’Equateur 

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Ça peut paraître anodin comme ça mais l’envoi et la réception de colis relèvent d’une réelle logistique de l’usurpation qui rend le travail de la douane quasi impossible en matière d’identification des auteur·es. « C’est très difficile de retrouver la personne qui a envoyé le colis et la personne qui la réceptionne, me confie Florence Angelici. En général, l’adresse d’envoi c’est soit une usurpation d’adresse, soit une fausse adresse qui n’existe pas. » Malgré une coordination internationale pour augmenter le nombre de saisies, le but des douanes semble être d’empêcher la transaction plutôt que d’en retrouver sa source.

Pour ce colis envoyé d’Anvers pour un particulier à Guayaquil, ça partait déjà plutôt mal : déclarer un envoi d’habits de seconde main alors que le paquet contient des bouteilles de soins pour les pieds. Erreur de débutant·e ? 

MDMA pure dans des produits alimentaires vers la République Dominicaine

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C’est vrai que là, il fallait avoir l'œil, et le bon. Ce qui pourrait passer pour un simple envoi de nourriture se révèle être une réelle opportunité de se faire de l’argent sale. De quoi être plus que suspicieux quant aux colis que vos parents vous envoient au moment de vous installer à l’étranger. Attention, bien vérifier à ne pas confondre tous ces délices de votre enfance et un sachet rempli de MDMA pure. 

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Car oui, je pense que certaines personnes peuvent vraiment se retrouver dans ces plats préparés Knorr, comme une madeleine de Proust pré-cuite vendue sous vide. Les slogans « Knorr, j’adore » ou encore « Trattoria Knorr, vous pouvez tout faire » prennent un autre sens en regardant cette image.

Pilules d’ecstasy à la place de croquettes pour chien vers le Pakistan

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Quand je disais que cette pratique relève d’un réel business international, on en a l’exemple parfait ici. 30.000 pilules pour le Pakistan, rien que ça. Les quantités et les pays destinataires ne sont pas le fruit du hasard mais d’un calcul mercantile très simple : le prix dépend du danger que courent les coursier·es, les revendeur·ses et surtout du prix de revient une fois sur place. « C’est envoyé vers des pays où le prix de vente est beaucoup plus élevé que chez nous, précise la porte-parole. 30€ la pilule au Pakistan. C’est la même logique pour l’Equateur ou la Nouvelle-Zélande. »

On savait que les industriels de la drogue avaient du génie, mais de là à reproduire exactement la même forme que les croquettes de nos meilleurs amis les toutous… Un seul conseil si jamais vous vous faites livrer cette bouffe canine, checkez la couleur que ça a, et dans le doute goûtez-la (ou pas), pour éviter à votre clébard un sale trip.

Méthamphétamine cachée dans des oeuvres d’art congolaises vers l’Australie

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Je dirais que celle-ci est sans doute la planque la plus technique. Cacher un kilo de méthamphétamine dans de l’art africain c’est pas donné à tout le monde. Tout est sujet à devenir un jour une cachette pour y introduire 250 grammes de crystal meth, super. L’histoire ne nous dévoile pas si les œuvres ont été faites sur mesure pour y cacher la drogue ou si les trafiquant·es ont tout simplement introduit leur livraison dans une pièce déjà existante. 

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Les Kinder Surprise de 2022 c’est autre chose, bravo l’artiste.

Kétamine dans des sachets de soupe vers les États-Unis

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Si la précédente prise était la plus technique, je dirais que celle-ci est la plus cute. C’est celle qui pourrait vraiment passer pour un envoi à destination d’une personne nostalgique du pays. 

Cacher de la kétamine dans des sachets de soupe limbourgeoise, ou comment faire camoufler son business dans un guilty pleasure local. Si les trafiquant·es ont particulièrement caché leur production dans ce plat d’exception, c’est que la soupe aux asperges du Limbourg doit avoir une certaine cote de popularité à l’étranger, du moins du côté des expats belges aux US. Une fierté à moitié assumée.


C’est plus un scoop, le trafic passe par la Belgique. La ville d’Anvers par exemple, grâce ou à cause de son port mondialement reconnu, est devenue la capitale européenne de la cocaïne. Ce leadership n’est pas nouveau et semble ne pas connaître la crise. Florence Angelici conclut : « On peut dire que le Covid n’a pas eu d’impact sur le commerce de la drogue, il y a très nettement une augmentation des saisies chaque année. D’un côté on a ces nouveaux lieux d’exportation qui se font connaître dans le monde entier pour la distribution de drogues synthétiques et puis surtout il y a l’explosion du commerce en ligne. Ça suit la courbe , car on a beaucoup d’achats sur le darknet. » En fait, plus les achats sur internet augmentent, plus la drogue peut se dissimuler dans des cargaisons de biens et marchandises.

Aujourd’hui, la douane belge compte 3 350 agent·es au sein d’équipes dispersées en différents départements (administration, saisies, inventaires, patrouilles mobiles…). Même si tous ne s'occupent pas des saisies, pour le gouvernement il est clair que cet arsenal est trop maigre pour continuer à lutter contre l’imagination débordante des industriels de la drogue. Plus il y aura de saisies, plus le risque augmentera pour les coursier·es et revendeur·ses et donc plus le prix des produits augmentera au final. « L’investissement public est prévu sur le long terme, 70 millions sur plusieurs années : pour de l’achat de matériel de scanner, du recrutement de personnel… », m’informe le ministère des finances.

Malgré les efforts des autorités fédérales belges tant matériels qu’économiques, il semblerait que la guerre contre la drogue et le tout-répressif ne fonctionnent pas. En 2022, à l’aube d’un passage vers une société qui s’affranchit de plus en plus des barrières terrestres (metaverse, dark web, mondialisation à gogo) et, comme l’on voit ici, s’en fout royalement des frontières, ne serait-ce peut-être pas l’heure de réfléchir à une nouvelle approche ?

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