Société

« Même au sein des LGBTQI, certains groupes se regardent d’assez loin »

On a demandé à un sociologue du genre de nous éclairer sur les dissensions au sein de certaines communautés.
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Gay Pride, Paris, 29 juin 2019. 

CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Tout est parti d’une conversation entre amis. Untel aurait eu des propos homophobes. « Mais il est lui-même homo » - « Et alors ? » - « Tu ne peux pas être homo et homophobe ». Pour Arnaud Alessandrin, c’est un peu plus compliqué que ça. Sociologue du genre, il développe : « Du fait de l’expérience même de subir des discriminations, les LGBTIQ sont moins nombreux à être discriminants ». Moins nombreux certes, mais impossible de conclure qu’ils ne sont pas exempts. Pour qu’Arnaud nous éclaire sur les dissensions qui ont pu naître au sein de ces communautés, on lui a posé quelques questions à propos de discrimination, d’hétérosexualité et des symboles identitaires.

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VICE : « C’est plus compliqué que ça », dites-vous. L’homophobie existe donc au sein même de la communauté LGBTIQ ?  
Arnaud Alessandrin : Oui. Il n’y a que de l’extérieur que la communauté LGBTIQ semble unifiée. À l'intérieur - et c’est la même chose dans la plupart des communautés d’ailleurs, hétéro comprise -, elle est composite. Sont regroupés derrière le sigle LGBTIQ, différents groupes, genres, personnes ou encore caractères. Il y a des âges différents aussi, des critères et des revendications différentes.

Le but de ce sigle, c’est justement de montrer la diversité du milieu LGBTIQ dont les seuls réels points communs sont ; primo, de ne pas correspondre à la sexualité majoritaire dans laquelle un homme (né homme) a un rapport avec une femme (née femme) et vice-versa, secundo, d’être régulièrement victimes de discriminations, à cause de leur genre, de leur identité de genre ou de leur sexualité.

Du fait de ces expériences, les personnes discriminées sont moins nombreuses à être discriminantes. Mais on ne peut pas en conclure qu’elles ne le sont pas du tout. Même au sein des LGBTIQ, certains groupes se regardent d’assez loin. Même au sein de la communauté LGBTIQ, il y a du sexisme, de l'homophobie, de la transphobie etc. 

Avez-vous des exemples en tête ?
Oui. En 2019, l’humoriste Pierre Palmade - pourtant homosexuel - avait été taxé d’homophobie lorsque sur le plateau de l’émission On n'est pas couché sur France 2, il avait comparé les gays efféminés aux homosexuels intégrés et assimilés, en opposant ceux qui « mangent gay, qui rient gay, qui vivent gay, qui parlent gay, qui font des films gays » et ceux « qui sont homos mais ce n’est pas marqué sur leur front [...] on ne le sait que quand on va dans leur chambre à coucher ».

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Toujours en 2019, dans les colonnes du magazine Têtu, huit femmes avaient lancé un appel pour mettre fin au sexisme et à la misogynie ordinaire au sein de la communauté LGBT, notamment dans les associations. Last but not least, parmi les différents théâtres de discriminations figurent les sites de rencontres. Sous couvert de recherche du plaisir, certains utilisateurs s’offrent une parenthèse dans laquelle ils s’autorisent des propos injurieux. Bien qu’encore une fois, du fait de l’expérience même de subir des discriminations, les LGBTIQ sont moins nombreux à être discriminants.

Est-ce que les TERF (trans-exclusionary radical feminist) font partie de ces exemples ?
Les TERF sont des militantes féministes qui ne reconnaissent pas les femmes trans comme des femmes. Selon elles, on ne peut pas se déclarer femme en possédant le corps d’un homme ou en ayant été socialisé comme tel. Le corps conditionne la personne, point. Pour les femmes trans, ce postulat est difficile à entendre. Parce qu’on aurait tendance à penser que les féministes sont leurs alliées, qu’elles se battent ensemble pour leurs droits et pour le droit de leurs corps. Sauf qu’ici, cet « allié » devient un opposant. Un de plus. 

On a parlé de l’appellation LGBTIQ. Outre ce sigle qui rassemble ces groupes, ces genres et ces personnes, il existe d’autres symboles identitaires comme le drapeau arc-en-ciel - pour ne citer que le plus connu. Pourquoi sont-ils si importants ?
Par définition, les symboles identitaires sont des éléments d’auto-identification qui démontrent l’unité, la fierté et les valeurs partagées par ceux qui les revendiquent. À chaque communauté, chaque groupe, ses propres symboles. Exemple tout bête avec les supporters de foot. Ils possèdent chacun leurs couleurs, leurs logos, leurs chants. Les LGBTIQ, c’est pareil. Ils disposent de leurs propres symboles, codes, vocabulaire ou encore drapeaux.

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Justement. On n’imaginerait pas un hétérosexuel revendiquer son hétérosexualité via un drapeau par exemple. Pourquoi ?
C’est là la grande différence entre les LGBTIQ et les hétérosexuels. Les hétéros n’ont pas besoin de se créer d’espace à eux. Leur place dans la société, ils l’acquièrent dès leur naissance. C’est ce que j'appelle « l’insouciance de l’hétéro ». À l’inverse, les LGBTIQ - surtout les personnes transgenres - doivent se créer eux-mêmes leur alcôve. Un endroit de repos psychique dans lequel ils n’ont pas à se justifier.

Et ce sont justement ces symboles identitaires qui leur permettent d’intégrer puis d’appartenir à telle ou telle communauté. Une communauté choisie. D’ailleurs pour revenir rapidement sur le drapeau arc-en-ciel, s’il reste à ce jour l’un des symboles du mouvement LGBTIQ les plus connus à travers le monde, il est loin d’être le seul qui existe. Beaucoup d’autres représentent les différents genres et différentes orientations sexuelles des nombreuses communautés.

Merci.

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