On connaît tous l’histoire par cœur : on t’a refilé un nouveau numéro de dealer. Tu l’appelles, fébrile. C’est peut-être enfin le pourvoyeur de psychotropes honnête que tout le monde rêve de trouver. Il répond. Il t’écoute. Il te rassure. Tout te pousse à croire qu’il a à cœur la satisfaction et la sécurité de ceux qui l’ont choisi.Mais, avec la marchandise devant les yeux, tu déchantes vite. Non seulement la chose n’a pas le poids que tu espérais, mais elle contient des affaires dont tu ne voulais absolument pas.
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Justin Trudeau, patron de la décriminalisation
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Et il y a évidemment la promesse phare de légaliser la consommation récréative de cannabis en 2018, une première parmi les 20 pays les plus riches de la planète.Trudeau s’est même permis une pointe face au Bonhomme Sept Heures philippin de la « guerre à la drogue », la proverbiale cerise sur le sundae anti-prohibitionniste.Mais comme avec de la drogue mal coupée, un vague de paranoïa succède à la montée euphorisante.La multiplication des centres d’injections supervisées et l’interdiction d’importer des presses à comprimés et encapsuleurs non enregistrés — les deux éléments principaux de la loi — font consensus pour endiguer la crise du fentanyl. Il en est autrement pour la partie qui permet maintenant aux services transfrontaliers d’inspecter les lettres arrivant au Canada, sans mandat et sans informer l’expéditeur ou le destinataire.L’image de fonctionnaires scrutant les lettres que s’échangent les citoyens est la caricature par excellence de l’État totalitaire. C’est pourquoi la plupart des démocraties font une distinction juridique entre les colis (au Canada : qui pèse plus de 30 grammes), qui servent à échanger des marchandises, et les lettres (moins de 30 grammes), qui relèvent de la communication privée.Jusqu’à C-37, les colis suspects pouvaient être interceptés et ouverts directement. Pour les enveloppes de moins de 30 grammes, les douaniers devaient avoir l’autorisation écrite du destinataire ou de l’expéditeur.
Les fonctionnaires peuvent désormais lire votre courrier sans votre accord
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« Une enveloppe de 30 grammes peut contenir assez de fentanyl pour tuer 15 000 personnes », a martelé Ralph Goodale, le ministre de la Santé publique, pour justifier la modification, sans toutefois avancer de cas précis.Son attaché de presse nous a confirmé que c’était un exemple rhétorique : il n’existe pas de données publiques prouvant que des importateurs de fentanyl exploitent précisément cette nuance juridique.En fait, depuis l’application de la loi en juillet 2017, les saisies de fentanyl acheminé par la poste sont en baisse. Seuls 46 lettres et colis contenant du fentanyl ont été interceptés de juillet à novembre 2017, par rapport à 62 pour la même période en 2016 (l’Agence des services frontaliers du Canada - ou ASFC - ne communique plus de données détaillées sur les saisies depuis le début de 2018). Difficile de dire si c’est dû à changement de tactiques de la part des importateurs ou à une diminution globale de la quantité de fentanyl qui entre au Canada.
Il faut savoir que l’ASFC réclamait le droit d’ouvrir sans mandat le courrier entrant au pays bien avant l’arrivée du fentanyl au Canada.En mars 2001, en pleine hystérie post-11-Septembre, le Globe and Mail rapportait que l’ASFC ouvrait le courrier provenant de l’étranger et communiquait des renseignements au ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. Les fouilles visaient notamment l’envoi de faux papiers.George Radwanski, le commissaire à la protection de la vie privée de l’époque, avait enquêté sur cette affaire. Aucune loi n’avait été enfreinte, avait-il conclu, mais il avait tout de même rabroué les douaniers dans un plaidoyer sur la primauté du respect de la vie privée.
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« Il n'en reste pas moins que l'ouverture et la consultation de courrier sans mandat judiciaire ni consentement portent atteinte à la vie privée et sont des plus troublantes. Le Canada est un pays libre et démocratique dans lequel l'ouverture de notre courrier par le gouvernement soulève un très fort symbolisme, et doit par conséquent ne s'effectuer qu'avec les plus grandes compréhension et modération. »Pour Radwanski, l’ASFC avait déjà en main toutes les lois permettant de retenir, inspecter et ultimement ouvrir tout document – lettres comprises – suspecté de contrevenir à la loi.Il proposait même d’étendre le statut particulier à tous les types de lettres, sans discrimination de poids, car « la distinction établie entre le courrier de moins et de plus de 30 grammes me semble arbitraire et inappropriée ». Autrement dit, il n’y avait pas de raison pour qu’une longue (et lourde) lettre de plusieurs pages soit moins privée qu’une courte missive.Pour ce qui est du cannabis, on aurait pu croire que sa légalisation se ferait tout simplement en éliminant les lois interdisant son usage. D’ailleurs, une bonne partie des économies promises par la légalisation du cannabis doit provenir du désengorgement du système judiciaire. La panoplie de nouvelles lois et règlements régissant la consommation et la vente de cannabis est en voie de mettre à mort l’idée de ce désengagement judiciaire.
La légalisation du cannabis comme arme de contrôle social
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Pour James Foy, avocat en droit pénal, la superposition de lois fédérales et provinciales sur l’usage du cannabis va compliquer le travail de toutes les cours du pays. Cela pourrait donner aux policiers plusieurs « routes » pour traiter une même infraction, selon le contexte ou, potentiellement, le nom et le faciès de la personne interceptée.Les différentes lois provinciales vont également contribuer au chaos. Foy cite en exemple un Ontarien de 18 ans qui achète du cannabis au Québec. En retraversant la frontière, il pourrait être accusé de possession illégale parce qu’il n’a pas 19 ans, et de possession illicite, car le cannabis n’a pas été acheté en Ontario.« Je m’inquiète que la police ait trop de liberté sur la manière d’appliquer les lois, particulièrement auprès des jeunes et des minorités ethniques. J’ai peur que la légalisation du cannabis accentue le profilage », conclut Foy.Même son de cloche chez Céline Bellot, professeure titulaire à l’Université de Montréal et membre de l’Observatoire sur les profilages. Elle s’attend à voir les cas de profilages se multiplier dans les premiers temps suivant la légalisation du cannabis.« Politiquement, il va falloir faire la démonstration que les policiers agissent en matière de cannabis », prédit-elle.Les deux groupes particulièrement visés seront les conducteurs et les jeunes.Comme la consommation de cannabis est moins connue que celle de l’alcool, Bellot pense que les policiers vont utiliser leur pouvoir discrétionnaire plus souvent. « Quel profil de consommateur vont avoir en tête les policiers? Comment on va construire ce profil? Ils vont aller à la pêche. Et malheureusement quand tu vas à la pêche, généralement tu y vas avec des stéréotypes », prévient-elle.
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Buveurs et stoners sous surveillance
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« absurde », selon Kirk Tousaw, avocat spécialiste des lois relatives cannabis.Il n’existe pas de consensus scientifique sur l’effet du cannabis sur la conduite. Par contre, il est prouvé que des traces résiduelles de cannabis demeurent dans le système bien après la fin des effets psychotropes. Il est donc à peu près certain que les tests de salive vont pénaliser injustement des consommateurs de cannabis. Cette mesure va particulièrement discriminer les patients qui utilisent le cannabis à des fins médicales, pour qui la conduite automobile pourrait devenir pratiquement impossible.Au téléphone, Tousaw énumère une série d’articles de la Charte des droits et libertés du Canada avec lesquels les tests de salive sont potentiellement en contradiction.« On va empiéter sur l’intégrité physique et les libertés individuelles pour amasser des preuves qui seront utilisées dans des poursuites civiles ou criminelles. Ça n’a rien à voir avec la détection de la conduite en ébriété », explique Tousaw.L’initiative de la légalisation a beau être fédérale, une manche cruciale de la légalisation va se jouer au palier municipal. L’Union des municipalités du Québec réclame déjà le droit des villes d’imposer ses propres règles, par exemple traiter le cannabis comme l’alcool et l’interdire dans des lieux publics.« Ça va être quoi la portée de la légalisation si on ne peut pas consommer dans l’espace public? demande Céline Bellot. Tous ceux qui ne peuvent pas consommer dans l’espace privé vont se retrouver essentiellement en infraction. Ça va toucher les populations qui n’ont pas d’espaces privés et les jeunes qui ne peuvent pas consommer chez eux. »