Le mushary : quand sauter dans les buissons devient l'after préféré des bretons
Toutes les photos sont de Evan Lunven.
Life

En Bretagne, se jeter dans les buissons est une activité comme une autre

Inventé en 2002 par des rastas blancs à Concarneau en Bretagne, le Mushary a refait surface en 2017 et n’a pas fini de faire parler de lui.

Le vent souffle en pleine gueule. La pluie fine chatouille les oreilles. Le mercure affiche six degrés en ce lundi 27 décembre. Un type descend la rue Jean-Jaurès en tong-bermuda. Pas de doute, je suis bien à Brest. Je marche en direction des halles Saint-Martin pour y retrouver Nico, Thomas et Étienne. Les trois courageux bravent les conditions météorologiques du jour - plutôt habituelles ici - pour une session de Mushary. Ce sport, né au début des années 2000 à Concarneau, dans le sud du Finistère, consiste à se jeter dans les buissons environnants. Il y a cinq ans maintenant, ces trois Brestois et leur entourage ont repris le flambeau de cette discipline oubliée « avant tout pour se marrer en after ! »

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Aujourd’hui, Nico décide de démarrer par le square de la place des F.T.P.F. (Francs-tireurs et partisans français). Habitués à pratiquer le Mushary après de bonnes nuits arrosées, nos amis brestois se reposent sur leur mémoire infaillible des spots déjà ridés. « Il me semble que je ne l’ai jamais fait celui-ci », se questionne Nico. Sur place, le bonhomme s’empresse d’enfiler une combinaison en propylène spécialement dénichée pour l’occasion. Du haut de ses 20 ans, le cadet de la troupe a beau être le seul équipé, cela n’empêche pas ses camarades de s’envoyer en l’air avec la même passion.

« Ici, à Brest, on fait tout à pied. À force, je suis devenu comme un skateur quand je me déplace dans la ville, je suis toujours à la recherche de nouveaux spots »

Chacun leur tour, ils escaladent le transformateur électrique depuis lequel ils se jettent à corps perdus dans les arbustes habillant le fameux square. Après trois, quatre sauts chacun, les rideurs ont le dos bien griffé et soif de nouveauté. « Et si on allait du côté du pont bleu ? », balance Nico. « Bah non, c’est trop loin. On n’a qu’à retourner chez Charlie. Il y a des buissons aussi », propose Étienne qui, lui, sort fraîchement d’after. 

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Nico et Thomas, quant à eux, même s’ils enchaînent les bières depuis le début de l’après-midi, ils se sont pointés aux halles après une raisonnable nuit de sommeil. « Mais où est-ce que tu veux sauter vers le pont bleu? », demande Thomas. « C’est juste derrière le pont sur la gauche. Je l’ai déjà fait. Allez v’nez », renchérit Nico, sûr de lui. Le ciel menaçant n’entache aucunement la motivation de la petite équipe. Tandis que la pluie continue de s’abattre sur nos tronches, nous filons vers le fameux pont bleu, plus connu sous le nom de Robert-Schuman.

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En chemin, alors qu’Étienne m’explique que c’est une première pour lui de se donner rendez-vous spécialement pour une session, Nico se lance dans les buissons du Domino's Pizza en criant “MUSHARYYY” (subtilité nécessaire pour que le saut soit validé). La grande silhouette de Nico, resté allongé dans les fourrés, pousse certains automobilistes à ralentir autour du rond-point pour jeter un œil à la fois inquiet et amusé vers le petit groupe.

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De l’autre côté du pont Robert-Schuman, sur la gauche, des escaliers en béton laissent place à des bosquets de chaque côté. Un lieu visiblement familier pour Nico qui grimpe en haut du premier arbre. Quelques secondes suffisent à notre champion pour trouver le meilleur buisson. « Ça c’est vraiment un de mes lieux préférés. Ici, à Brest, on fait tout à pied. À force, je suis devenu comme un skateur quand je me déplace dans la ville, je suis toujours à la recherche de nouveaux spots », décrit-il juste après avoir troué sa combinaison.

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Deux pirouettes plus tard, il revient en boitant. « J’ai oublié d’enfiler ma chevillère », réalise le cascadeur en se tenant la jambe. Voilà déjà plusieurs mois que Nico se traîne une entorse au pied droit. Ce sont là les risques du Mushary. Depuis, le garçon, censé rééduquer sa cheville, n’a pourtant pas réduit la fréquence de ses acrobaties...

Cette blessure n’est pas sans rappeler à Étienne la raison pour laquelle il a levé le pied sur le saut de buissons. « Je me suis déjà retrouvé avec une côte pétée et une contusion au sternum, mais je l’avais bien cherché, assume l’intéressé. En after, le Mushary reste quelque chose de très instinctif. Tu ne réfléchis pas. Tu fonces. T’es pas assez conscient pour te dire qu’il y a un danger. » Avec de telles conditions, le Mushary n’a aucun mal à se classer dans la catégorie des sports extrêmes.

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Estimant qu’il ne faut pas trop théoriser sur la question, Nico nous guide vers un dernier spot. Direction le square de Swansea, près de l’appartement d’Émilie, une des rares musharideuses qui a préféré ne pas nous accompagner pour des raisons de Covid. Sur place, nous trouvons deux haies “de qualité”, dont une qui fait l’unanimité auprès des trois loustics. À tel point que nous restons sur place jusqu’au soir. Saltos, sauts à trois, galipettes, et autres pirouettes. Les buissons derrière le square Swansea garderont longtemps les traces de cette session.

« Je fais du dirt bike depuis plusieurs années et j’ai toujours kiffé ce genre de délires à la jackass. J’ai même déjà fini dans les orties avec mon vélo »

La fin de la journée mène nos sportifs du jour vers le supermarché le plus proche pour acheter de quoi s’hydrater. À l’occasion, Étienne revient sur ses premiers sauts de buissons lorsqu’il était encore en BTS à Quimper. « Avec deux potes, Gourmiche et Thibault (le grand frère de Nico, ndlr), on tombe sur la vidéo de Tracks en soirée, se souvient l’étudiant. Direct, on devient fan du délire ! » Mis en lumière par la fameuse émission d’Arte, le Mushary serait né au début des années 2000 près de Concarneau. À cette époque, Boris et ses amis, des jeunes concarnois, se sont amusés à se jeter dans les buissons après un concert punk au point d’en conceptualiser un sport.

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Plus de dix ans après, en 2017, Étienne entre en BTS Design graphique à Quimper avec Thibault. Sensiblement touchés par la vidéo, rejoints par leur pote Gourmiche, ils s’empressent de copier leurs aïeuls. « Eux le faisaient sérieusement au point de faire la com’. Nous, on le fait vraiment juste pour se marrer entre deux afters », précise Étienne. Vivant tous à Quimper la semaine, Gourmiche, Étienne et Thibault arpentent les bars de la ville. « J’ai rencontré les gars à ce moment-là. Que ça soit après le V and B, le Ceili, le Café des Arts, Le Baron ou encore la Pépie, à chaque sortie de bar, on faisait du Mushary », confie Gourmiche. Le jeune homme, qui bosse alors chez Castorama, retrouve chez ses deux potes étudiants un certain goût pour la connerie et les performances extrêmes. « Je fais du dirt bike depuis plusieurs années et j’ai toujours kiffé ce genre de délires à la jackass. J’ai même déjà fini dans les orties avec mon vélo », continue Gourmiche.

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Après leur BTS, Étienne et Thibault reviennent vers Brest pour bosser. Alors que ce délire d’étudiants en after aurait pu s’arrêter là, le trio en décide autrement. Chaque week-end, après les soirées techno des différents collectifs locaux, ils soumettent le concept à leurs potes. La sauce prend. Depuis, il n’est pas rare de croiser une troupe de jeunes se jeter dans la verdure brestoise à n’importe quelle heure du week-end. En juin 2018, Gourmiche créé “mushariders”, un groupe Facebook privé, pour référencer les vidéos des meilleures performances.

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Aujourd’hui, la petite communauté compte 343 membres issus de toute la Bretagne. Même si c’est moins régulier, on y trouve toujours quelques vidéos de temps en temps. « Au lieu d’envoyer les stories des uns et des autres sur les réseaux, je me suis dit que ça serait plus pratique de tout réunir au même endroit, se souvient Gourmiche. À l’époque, j’avais parlé du Mushary à une bande de skateurs et de surfeurs de Douarnenez. Ils ont tué le game dès leur première vidéo avec un mec qui saute d’un toît de 4 ou 5 mètres. »

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De leur côté, les Brestois ont pour habitude de se retrouver l’été autour de soirées barbecue chez les grands-parents de Nico et Thibault à Portsall, sur la côte au nord de Brest. « On a fait des beaux afters Mushary là-bas », se rappelle Gourmiche. Malheureusement c’est aussi à cette période que Nath’, un de leurs potes, s’explose les côtes en se réceptionnant sur un poteau en béton. « Ça a calmé les moins téméraires, ajoute Gourmiche, qui, lui-même, a réduit la fréquence de ses sauts. Avant, je bossais en intérim donc je m’en foutais. Maintenant, ça la fout mal si j’peux pas venir bosser le lundi à cause de conneries d’after. » Peu importe, le Finistérien estime qu’il peut compter sur la nouvelle génération pour garder la flamme du Mushary allumé. « Ça reste des potes de potes, mais ça me fait marrer de voir que le groupe vit encore, se réjouit le fondateur. La relève est assurée ! »

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